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Faut-il un prix numérique "Albert-Londres" ?

Le Prix Albert-Londres récompense chaque année depuis 1933 un journaliste pour ses grands reportages. A cette date, le prix célébrait un journaliste de presse écrite. Il a fallu attendre 1985 pour voir apparaître un « prix audiovisuel ». Peut-on aujourd’hui s’attendre à la création d’un « prix numérique » ? Le débat est ouvert.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le Prix Albert-Londres du grand reportage va-t-il créer une catégorie "numérique" ? (AFP)

«Décerné pour la première fois en 1933, il couronne chaque année à la date anniversaire de sa mort, le meilleur "Grand Reporter de la presse écrite". En 1985, à l'initiative d'Henri de Turenne, le jury a créé un prix Albert-Londres de l'audiovisuel », précise le site officiel du Prix Albert-Londres. Voila le cadre. Les gestionnaires du Prix –les anciens lauréats– ont montré qu’ils étaient capables de le faire évoluer. Pour certains la question se pose aujourd’hui d’ajouter une nouvelle rubrique, concernant le numérique.

«Les membres du Jury s’interrogent », reconnait le porte parole du Prix Albert-Londres qui explique que, actuellement, des œuvres numériques ne sont pas exclues du Prix. Des journalistes publiant sur des sites web ou des webdocs ont déjà été candidats, explique Stéphane Joseph.


« Un nouveau moyen technologique, utilisé par toute la planète, permet de raconter le monde. Il serait évident qu’on lui consacre ce qui serait « la  » version numérique du prix Albert-Londres ! », plaide Hervé Brusini, lauréat 1991 du prix dans la catégorie audiovisuel, et aujourd’hui directeur des rédactions numériques de France Télévisions.

«Toucher un public planétaire»
Reste à coller à l’esprit du Prix. Du grand reportage effectué par un journaliste de moins de 40 ans. La planète numérique offre-t-elle ce genre de choses ?
«Le premier argument en faveur d’un Albert Londres numérique serait qu’il remet les moyens d’une publication à la portée du journaliste, même s’il est dépourvu de moyen. La capacité de toucher un public planétaire en un clic, transformant ainsi le porteur du Smartphone ( par exemple, même chose pour la tablette ou l’ordi portable ultra léger ) en un média à part entière est l’événement clé de nouveau journalisme. Il n’est plus nécessaire de passer par les fourches caudines d’Antennes ou d’impressions papiers pour faire connaître le fruit de son travail », défend Hervé Brusini.

«Le net apparaît donc comme le moyen de liberté journalistique par excellence, et donc doit être accompagné par un Prix qui salue l’engagement professionnel d’un jeune confrère ou d’une jeune consœur », ajoute-t-il tout en reconnaissant la difficulté de l’entreprise : «est ce du journalisme ? Est ce du reportage ? De quoi s’agit il exactement, de l’écrit, de la photo, de la vidéo ??»

«Journalisme de chair»
Patrick de Saint Exupéry qui obtint le prix la même année qu’Hervé Brusini, dans la catégorie presse écrite, a lui une vision plus critique du journalisme numérique, opposant le « journalisme de chair » au « journalisme d’écran ».  Dans le manifeste XXI, qui n'aborde en rien la question du prix Albert-Londres, il affiche une certaine méfiance à l'égard des évolutions de la presse en général et du numérique en particulier et défend son approche du grand reportage, au coeur de la revue XXI qui connaît un grand succès.

Dans ce manifeste, sans se prononcer sur la question d'un prix numérique, il oppose volontiers le grand reporter qui crapahute sur le terrain aux journalistes électroniques qualifiés de  «nouveaux Shiva à cent bras et aux compétences multiples ils doivent en parallèle construire une communauté tout en publiant à jet continu informations,  opinions et  alertes sur les réseaux sociaux, sans oublier si possible de tenir leur blog ».

Pour lui, le journalisme d’écran n’a rien à voir avec le mythe de la presse de Lazareff ou du Monde qui dans «les années 60 et 70 regorge de reportages en trois parties, type "la révolution agraire nord coréenne"».  Patrick de Saint Exupéry est pourtant conscient des évolutions qui ont touché la presse qui à l’arrivée d’Internet se révèle «comme vieillie, vieillotte, coupée de larges pans de la société , enfermée dans un tête-à-tête avec les élites, écartelées entre l'esprit du passé qui souffle encore, et  des logiques marketing de ses nouveaux maîtres ».
 
«En basculant sur le web, le journalisme ne change pas simplement de support, il change aussi de nature », estiment les créateurs de XXI pour qui «le journaliste d’écran ne voit souvent que le chemin qu’il emprunte, matin et soir, pour se rendre à son bureau open space ».  Et ils ajoutent : «la sanction du clic immédiatement comptabilisé est immédiate. Elle pousse aux titres accrocheurs et aux sujets qui "buzzent" ».

Des catégories claires
Hervé Brusini reconnait d’ailleurs que «la nécessité de définir des catégories claires semble indispensable, ne serait ce que pour tenter de cadrer quelque peu la production numérique. Depuis 2006, le prix Pulitzer a créé une distinction numérique. Au début, il ne consacrait que les sites des journaux et magazines papier. En 2009, il évoluait pour saluer "les organes d’actualité sur internet dédiés en premier lieu au reportage d’actualité original et la couverture d’événements en cours". Il fut même prévu de créer une catégorie de reportage local, ou d’actualité brûlante en valorisant la "rapidité et la précision du reportage" ».

Pour Henri de Turenne, lauréat 1951, pour un livre sur la guerre de Corée, "Retour de Corée", et promoteur du prix audiovisuel, c’est l’esprit du reportage qui compte. Le réalisateur estime qu'un nouveau prix pour Internet n'exclut pas l'autre.


Reste que le Prix Albert Londres n’est pas un prix récompensant le journalisme en général, le scoop en particulier (pas de récompense pour la radio ou la photo par exemple), mais le grand reportage. Quelque soit le support ?

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