Procès du "comptable d'Auschwitz", une survivante du camp témoigne
70 ans après la seconde guerre mondiale, c'est peut-être le dernier procès d'un nazi. Il s'est ouvert aujourd'hui à Lunebourg en Allemagne. Le procès d'Oskar Gröning comptable du camp d'Auschwitz-Birkenau. L'ancien SS de 93 ans est accusé de complicité dans l'extermination de 300 000 juifs hongrois. Il était chargé de vider les valises des déportés, de récupérer leurs effets personnels. L'homme ne nie pas les atrocités commises à Auschwitz mais s'estime juridiquement innocent. "Je n'ai été qu'un rouage dans la machine" c'est sa défense. C'est précisément parce qu'on ne pouvait pas lui avoir reproché d'avoir tué aucun détenu qu'en 1985, la justice allemande avait renoncé à le juger. Mais la jurisprudence a changé la donne depuis. Dans ce procès ouvert ce matin : 60 parties civiles. Certaines présentes à l'audience.
Mathilde Lemaire a rencontré aujourd'hui l'une des survivantes françaises d'Auschwitz pour qui forcément ce procès à une résonnance particulière.
Elle habite Noisy-le-sec. Elle s'appelle Yvette Levy, née Dreyfus s’amuse-t-elle. Elle a 89 ans et une énergie impressionnante. Yvette aujourd'hui arrière-grand-mère aux cheveux blancs était une jolie jeune fille de 18 ans quand elle a été arrêtée une nuit de juillet 44 dans l'institut de jeunes filles où elle vivait dans le 5ème arrondissement de Paris. A l'époque, les Américains ont débarqué en Normandie. Les nazis acculés cherchent à accélérer les déportations de juifs...Pour Yvette, direction Drancy puis Auschwitz. Où elle reste 3 mois, 3 mois en enfer dit-elle. Mais elle échappe finalement aux chambres à gaz. Elle est envoyée dans un autre camp en Tchécoslovaquie qui ne sera libéré qu'en mai 45. Quand elle rentre péniblement à Paris Yvette pèse 30 kilos. Cette déportation a marqué sa vie à tout jamais. Dès les années 70, elle a consacré énormément de son temps à témoigner raconter aux plus jeunes, dans les collèges, les lycées. Avec ces adolescents, elle est retournée 200 fois à Auschwitz ! Témoigner pour l'Histoire, c’est capital pour elle. Et elle estime capital aussi ce procès Gröning qui a débuté ce matin en Allemagne. Ce matin elle s'est précipité sur les informations pour suivre au plus près les comptes-rendus d'audience.
France Info : Vous n’avez pas de souvenir d’Oskar Gröning en particulier, mais vous avez été déportée alors qu’il était en poste dans le service chargé de récupérer les effets personnels des déportés. Est-ce que ce procès Gröning est important pour vous, est-ce que vous allez le suivre ?
Yvette Levy : Ah oui je voulais voir sa tronche. J’ai allumé la télévision ce midi pour voir. J’ai vu un vieux monsieur de 93 ans. Mais malgré son vieil âge et son déambulateur, je n’ai pas pitié de lui. Il a semble-t-il bien vécu pendant 70 ans puisqu’il a l’air alerte. Il ne donne pas l’impression d’avoir de trous de mémoire. Il semble lucide.
France Info : La première chose qu’il a fait à l’ouverture de son procès, c’est de demander Pardon ? Qu’en pensez-vous ?
Yvette Levy : C’est un peu tard pour demander pardon, tant de temps après. Pendant 70 ans, il a bien vécu, il s’est tu. A aucun moment, au cours des mois qui ont suivi la guerre ou même après, il ne s’est dit qu’il pouvait se constituer prisonnier en avouant ce qu’il avait fait. Non, il a profité allègrement de sa vie. Alors que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants que lui et ses collègues avaient choisi d’exterminer, eux, n’ont pas pu profiter de l’existence. Ils ont été assassinés et leurs cendres versés dans l’étang de Birkenau. Alors que ce procès s’ouvre, je ne peux m’empêcher de penser à toutes mes petites camarades qui n’ont pas eu le droit de vivre. Ça n’est pas à nous qu’il doit demander pardon, mais à tous les morts qui ne lui répondront pas.
France Info : Lui explique qu’il n’est pas coupable juridiquement, qu’il n’a tué personne, qu’il n’était qu’un "rouage dans la machine". Comment jugez-vous cette défense ?
Yvette Levy : Il n’a peut-être pas eu de sang directement sur les mains, mais il est un criminel car il a vu, il a entendu, il savait ce qui se passait : les fosses, les chambres à gaz, les fours crématoires… Il aurait pu démissionner. Il ne l’a jamais fait. Il a préféré rester que d’être envoyé sur le front russe. Il a préféré rester à l’abri, à compter et à tenir des registres à Auschwitz.
France Info : Oskar Gröning ne nie pas les atrocités. Il reconnait que ça a bel et bien existé. Mais lui explique que sa seule tâche était d’ouvrir des valises.
Yvette Levy : Ça c’est vrai. Mais il ne dit pas tout ce qu’il s’est mis dans les poches. Quand on est arrivés à Birkenau, on a dû laisser toutes nos affaires dans le wagon. Ensuite, tout était emmené dans un endroit précis où se trouvaient 30 baraques où lui et ses collègues opéraient le tri. Ils triaient les vêtements, les costumes, la layette, les chaussures de tous les déportés d’Europe qui arrivaient là. L’argent était récupéré les bijoux triés l’or fondu transformé en lingots et transporté tous les mois à Berlin. Vous croyez que c’était visible si une bague disparaissait ? Non ils en ont aussi volé pour eux-mêmes. Ils en ont profité de manière sordide pour faire du commerce pour eux même, et cela même après la guerre. Donc il en a largement profité.
France Info : Oskar Gröning est accusé de complicité dans l’extermination de 300 000 hongrois arrives en 1944, en 1944 comme vous.
Yvette Levy : Mais bien sûr, il y avait beaucoup de hongrois en 44 à Auschwitz. 425 000 ont été déportés cette année-là. Ils étaient là avec nous dans les baraques. On avait beaucoup de hongroises avec nous. Pour certaines de ces hongroises, c’était tellement rapide. Les fours crématoires ne brûlaient pas assez vite au goût des SS. Ils devaient attendre que les crématoires soient vidés et nettoyés. Certaines attendaient hors des baraques, dans la foret. Je me souviens de cette image de celles qu’on appelait les Magyars.
France Info : Et donc il y a aussi des françaises que vous avez vues à cette même époque partir pour les chambres à gaz.
Yvette Levy : Bien sûr. Nos camarades… Celles qui étaient les plus faibles parmi mes copines y sont parties. Régulièrement il y avait des sélections organisées. A chaque fois c‘était la terreur. On passait une par une devant un SS. On était à poil. Si certaines d’entre nous avaient un bobo, une croute ou se tenait voûtée car elles étaient épuisées, les SS les montraient du bout de leur baguette et une secrétaire les attrapait. Elles partaient dans un convoi vers le fond du camp où se trouvaient les chambres à gaz qu’elles pensaient être de simples douches. C’était fini pour elles. Il y avait parmi elles des camarades qui avaient 15 16 ou 17 ans.
France Info : 70 ans après, ce procès, ça n’est pas un peu ?
Yvette Levy : C’est tard, très tard. Mais mieux vaut tard que jamais. Au moins là nous avons un témoignage direct de quel qu’un qui a été concerné, qui ne nie pas les faits. Un témoignage de sa bouche à lui ancien SS, c’est précieux. C’est fort et plus marquant encore qu’un récit écrit des évènements. Le témoin dans ce procès c’est lui !
France Info : C’est peut-être le dernier procès d’un ancien nazi ?
Yvette Levy : c’est fort possible et c’est pour ça qu’on doit lui donner une grande importance. Ça doit être un procès ouvert pour que la jeunesse comprenne que tout ça peut malheureusement recommencer. Il suffit d’écouter en France les discours de l’extrême droite qui sont des discours de rejet de l’autre. Il suffit de voir ce qui s’est passé au Cambodge, au Rwanda alors qu’on avait dit « plus jamais ça ». Voyez ce qui se passe en Syrie et en Irak…. Ça peut recommencer, c’est ce qui me fait très peur.
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