Pourquoi le RN a tort de persister à dire qu'un "migrant fraîchement arrivé" est mieux loti qu'un "retraité qui a cotisé toute sa vie"
L'assertion de Marine Le Pen, démentie par plusieurs médias dont franceinfo, est réitérée sur des visuels du Rassemblement national. Mais reste fausse.
Le Rassemblement national se répète. "Oui, un migrant fraîchement débarqué touche plus qu'un retraité ayant travaillé toute sa vie !", peut-on lire sur un visuel publié sur Twitter par le porte-parole du parti d'extrême droite, Sébastien Chenu, jeudi 28 février. La comparaison n'est pas nouvelle : lors d'un discours donné dimanche 24 février à Caudry (Nord), Marine Le Pen avait assuré "qu'un migrant fraîchement débarqué" pouvait "toucher davantage qu'un retraité modeste qui a travaillé et cotisé toute sa vie".
Comme de nombreux médias, dont la rubrique "Vrai ou Fake" de franceinfo, l'avaient alors expliqué, cette affirmation est fausse. Ce qui n'a pas empêché le Rassemblement national de la réitérer dans un "droit de suite" publié sur son site internet, puis de nouveau grâce à ce visuel diffusé sur les réseaux sociaux.
Les français ont les yeux ouverts! pic.twitter.com/wJSzHSBqNN
— Sébastien Chenu (@sebchenu) 28 février 2019
Ce dernier assure qu'"une retraitée française qui paye ses impôts, son logement et sa santé" ne perçoit qu'un "minimum vieillesse de 868 euros", tandis qu'"un migrant qui n'a jamais cotisé" peut compter sur 934 euros d'aides diverses. Le député du Nord avait auparavant diffusé un premier visuel – depuis supprimé – avec des montants différents. Si, dans l'ensemble, les sommes évoquées correspondent à l'ordre de grandeur, ce visuel mélange des montants difficilement comparables. Et omet plusieurs aides accessibles pour un retraité modeste. On vous explique pourquoi la situation est plus complexe que la présentation du RN.
Comme nous vous l'expliquions, les retraités de plus de 65 ans peuvent, sous condition de ressources, bénéficier de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) jusqu'à 868,20 euros mensuels pour une personne seule, et 1 347,88 euros pour un couple. Sous condition de ressources, les demandeurs d'asile peuvent de leur côté bénéficier de l'allocation pour demandeur d'asile (Ada) jusqu'à 440,20 euros par mois pour se nourrir, s'habiller et se loger. Soit quasiment deux fois moins que le montant maximum de l'Aspa.
Allocations versées et coût d'une mesure d'aide
Le troisième nombre indiqué par l'élu (600 euros par mois sur le premier visuel, 480 euros sur le second) correspond au "logement financé par l'Etat". Mais en accolant ce chiffre aux précédents, Sébastien Chenu confond deux choses très différentes : d'une part des allocations (Aspa et Ada) et d'autre part le coût de revient, pour les finances publiques, du dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile. En effet, pour bénéficier de l'Aspa, le demandeur d'asile doit accepter d'être hébergé dans un Centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada), ou dans un autre type d'hébergement d'urgence. Ce dispositif n'est donc pas une allocation qui lui est versée, comme l'Ada. Il représente en revanche d'un coût pour les finances publiques.
Ce coût s'élève à "18,9 euros par jour et par place", soit 585,90 euros pour un mois de 31 jours, indique le projet de loi de finances pour 2018. Cet hébergement comporte "le logement et l'accompagnement administratif" du demandeur, précise à franceinfo Gérard Sadik, responsable des questions d’asile à la Cimade, une association d'aide aux migrants. L'hébergement fourni aux demandeurs d'asile (et non à tous les migrants) est d'ailleurs obligatoire, au nom de la directive européenne du 26 juin 2013 et de plusieurs traités internationaux (charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant...).
Cette erreur de raisonnement est valable pour le nombre suivant, présent sur les visuels du RN : 290 euros (ou 250 euros) par mois, correspondant selon Sébastien Chenu à "l'aide médicale d'Etat" . Mais les demandeurs d'asile, qui ne sont pas des étrangers en situation irrégulière, ne sont pas affiliés à l'aide médicale d'Etat (AME). Ils bénéficient de la protection universelle maladie (Puma). Ce dispositif garantit une prise en charge continue des frais de santé à "toute personne travaillant ou résidant en France de manière stable et régulière" (soit plus de six mois par an), rappelle l'administration.
Là encore, il ne s'agit donc pas d'une somme versée chaque mois aux demandeurs d'asile, mais du coût, pour les finances publiques, de l'assurance-maladie – par ailleurs ouverte à tous les Français et étrangers en situation régulière. Aucune donnée ne permet de connaître le coût de la Puma concernant les demandeurs d'asile. Contactée pour connaître le coût de revient individuel de cette protection, l'assurance-maladie assure que ce chiffre "n'a pas de sens", car "le coût est très variable en fonction du malade".
Omission d'autres aides
Par ailleurs, Sébastien Chenu oublie de mentionner sur ces visuels de nombreuses aides. Notamment concernant les les personnes âgées : les aides au logement (APL, ALS, ALF), l'aide à l'acquisition d'une couverture maladie complémentaire (ACS, soit 550 euros pour les 60 ans et plus), l'aide sociale à l'hébergement (ASH), l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa, soit 1 737,14 euros maximum)... Le tout en plus de l'Aspa.
"Il est difficile de faire un calcul exhaustif du total de ces aides, explique Isabelle Sénécal, car certains sont nationales, d'autres départementales ou municipales [gratuité dans les transports, aides à la restauration...]. Sans compter l'aide que peuvent apporter les familles de certains." Mais au final, "le chiffre brut du minimum vieillesse avancé par Sébastien Chenu ne représente rien".
De leur côté, les bénéficiaires de l'Ada peuvent, compte tenu de leurs ressources et comme d'autres Français modestes, bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Il ne s'agit pas d'une somme d'argent versée au bénéficiaire, mais d'une protection complémentaire, comme une mutuelle.
Au total, "la comparaison entre les retraités modestes et les migrants n’a pas lieu d’être, soutient Isabelle Sénécal, des Petits Frères des pauvres. Le fait d’accueillir de la façon la plus digne possible les demandeurs d’asile ne pénalise pas les personnes âgées les plus modestes. Pour preuve, l’Aspa a été revalorisée deux fois ces dernières années [une fois en 2018, et une fois en 2019], malgré la hausse des demandes d’asile."
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