"C'est de l'intimidation" : à 75 ans, Léopold Jacquens va connaître son sixième procès en huit ans pour avoir aidé une femme sans-papiers
Bénévole de la Croix-Rouge, Léopold Jacquens va être jugé une nouvelle fois le 4 juin par la cour d'appel d'Amiens.
Il préfère en plaisanter. "Le Havre, Rouen, Caen, Amiens... J'ai l'impression de faire le tour de France des tribunaux", ironise Léopold Jacquens. A 75 ans, ce retraité de l'usine Renault de Sandouville (Seine-Maritime), va connaître le 4 juin son sixième procès devant la cour d'appel d'Amiens (Somme). Depuis 2011, ce "délinquant solidaire", comme il se surnomme, est poursuivi pour avoir fourni une attestation d'hébergement à une femme sans-papiers, afin qu'elle puisse demander un titre de séjour.
Bénévole pour la Croix-Rouge au Havre, il aide régulièrement des étrangers à préparer leur dossier. "En 2011, j'ai reçu une dame, congolaise, gravement malade, qui souffrait d'une grosse dépression. Je lui ai expliqué qu'il lui fallait une adresse, retrace Léopold. Elle m'a dit 'Je n'en ai pas, je ne connais personne au Havre'. Je lui ai répondu que j'allais lui donner la mienne". Il rédige alors une attestation d'hébergement indiquant que cette femme réside chez lui.
Deux relaxes et 500 euros d'amende
C'est le début des ennuis. La police aux frontières débarque chez Léopold Jacquens et le retraité est condamné, le 2 octobre 2013, à 500 euros d'amende avec sursis pour fausse attestation. Avec son avocat, Antoine Mary, il fait appel. Le 8 décembre 2014, il est relaxé parce que "l'état de nécessité" a été reconnu par la Cour d'appel de Rouen. "Elle a estimé qu'il y avait bien infraction mais qu'on ne pouvait pas le condamner dans la mesure où il a agi pour préserver les intérêts physiques d'une personne", détaille son avocat.
En face, le parquet ne lâche pas l'affaire et décide de se pourvoir en cassation. L'instance casse le jugement en mai 2015, estimant que la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé l'état de nécessité. Le dossier de Léopold Jacquens rebondit à la cour d'appel de Caen, qui le relaxe en novembre 2016, comme le raconte France 3 Normandie, pour... un tout autre motif : l'infraction n'est pas constituée parce que le retraité n'avait pas conscience qu'il la commettait. "Il y a une telle ambiguïté dans ce que disait la préfecture qu'il était convaincu de rédiger une attestation de domiciliation [pour recevoir et transmettre le courrier de la personne]", résume Antoine Mary.
"L'objectif est de décourager la solidarité"
Une nouvelle fois, le parquet saisit la Cour de cassation, qui lui donne raison le 19 décembre 2017. Huit ans après le début de l'affaire, c'est désormais à la cour d'appel d'Amiens de se pencher, le 4 juin prochain, sur le cas de Léopold Jacquens pour son sixième procès. "Je pense que c'est pour faire peur aux gens. Pour leur dire 'si vous aidez les immigrés, voilà ce que cela vous coûte'. C'est comme dans la vallée de la Roya, c'est de l'intimidation", analyse le prévenu.
Il ne doit pas se passer grand-chose en France pour que la justice s'occupe de 'délinquants solidaires' comme nous.
Léopold Jacquensà franceinfo
Son avocat, Antoine Mary, qui a refusé de se faire rémunérer dans ce dossier, estime lui aussi que l'Etat a voulu faire "un exemple" avec son client. "Cet acharnement, j'espère qu'il ne portera pas ses fruits. L'objectif est de décourager la solidarité. S'il y a quelque chose d'abject dans notre société aujourd'hui, c'est bien ça", s'enflamme-t-il. Contactée, la préfecture de Seine-Maritime n'a pas donné suite à nos sollicitations. La femme que Léopold Jacquens a aidée vit aujourd'hui à Paris, avec des papiers en règle. "C'est une satisfaction, confie le retraité. Je ne regrette pas de l'avoir aidée".
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