Cet article date de plus de dix ans.
Michel Foucher: de «l'influence française au XXIe siècle» dans le monde
Michel Foucher, géographe et diplomate, va à l’encontre de bien des idées reçues, en particulier celle toujours rebattue que la France serait en forte perte de vitesse dans le monde. Pour l’auteur de l'«Atlas de l’influence française au XXIe siècle» (et tous les collaborateurs de cet ouvrage collectif), le problème serait plutôt que le pays ignore, ou pour le moins exploite mal, ses atouts.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Quelques phrases en gras piquent la curiosité : «On n’est pas indifférent à la France, que ce soit pour l’admirer ou pour la critiquer» ou encore «un des gâteaux préférés des Russes, une sorte de mille-feuilles, s’appelle Napoléon». Au fil des pages de cet atlas, que l’on déguste pour sa clarté comme pour sa fraîcheur, les cartes dressent le constat de «l’influence française au XXIe siècle» (éditions Michel Laffont)... Michel Foucher s'en explique à Hervé Brusini, directeur des rédactions numériques de Francetélévisions.
L’influence, qu’est ce que c’est ?
En fait, on fait une confusion entre présence dans le monde et influence sur la scène internationale. La présence française est comme chacun sait, ancienne, multiforme, évolutive, et tente aujourd’hui de s’adapter. L’influence, elle, a quelque chose de plus. C’est la transformation de certains éléments de la présence en véritables références universelles ou nationales pour les pays étrangers. Par exemple, à titre de comparaison, on peut être présent dans un Etat, y vendre des produits et repartir. Etre influent, c’est venir avec une valise pleine d’idées et laisser la valise sur place.
Le cas du Brésil est de ce point de vue très parlant. Sur le drapeau national, la devise est «ordre et progrès». Or, cela vient d’Auguste Comte (philosophe, père du positivisme, NDLR). Cela signifie que les élites brésiliennes depuis plus d’un siècle ont installé dans leurs systèmes de formation des références françaises dans toute une série de domaines. Il y a quelques semaines, la présidente Dilma Rousseff a demandé à François Hollande d’organiser la visite en France de 10.000 étudiants brésiliens pour un long séjour de travail. En fait, tout cela est la condition même de la poursuite de notre collaboration industrielle et technique.
Ce qu’on attend de la France, c’est donc aussi de continuer d’avoir des idées dans ses valises de voyageur, de proposer des idées qui intéressent les autres et de collaborer avec eux pour les mettre en œuvre. La France a une image de lieu où l’on pense.
Ce n’est pas la tonalité générale de ce que l’on entend à propos de la France. Nous serions plutôt dans un déclin inexorable et cela a fortiori dans le monde ?!
Non, en fait, nous existons sur la scène internationale. Mais certes, il ne faut pas cacher que la société française a encore bien des difficultés à s’adapter au monde tel qu’il est, d’autant qu’on a tendance à surjouer le culte de la mémoire (je pense à toutes les commémorations de 2014) et à sous-estimer l’importance civique de la culture géographique. Il faut un peu moins de mémoire et un peu plus de lecture des cartes au sens où le culte la mémoire, c’est l’entretien du passé et l’auto-glorification. On parle de la «Grande guerre». Alors que la géographie, c’est l’ouverture sur le monde, l’actuel, bref la vie ! C’est tout le sens de cet atlas, car ce monde est rempli d’opportunités.
La France est largement présente sur nombre d’aspects. En revanche, dans plusieurs domaines, notamment l’économie, la France connaît des phénomènes d’érosion de ses parts de marché, même si en volume cela peut augmenter. Tel est le cas par exemple de nos échanges avec l’Algérie. De fait, nos entreprises ont du mal à sortir de ce que j’appelle la «francosphère», à savoir les 36 pays qui utilisent la langue française. Il y a là une sorte de paresse linguistique de ces entreprises qui travaillent très difficilement en anglais. Ce qui n’est pas le cas de l’Allemagne.
Et puis nous connaissons un autre problème, notre image. Dans plusieurs domaines, nous ne sommes plus prescripteurs. C’est le cas de la radio (en dehors de RFI). Pour la télévision, il y a TV5 monde, peut-être France 24, mais en tout cas, on n’a pas de média écrit national d’envergure mondiale. A la différence du Financial Times, ou du Wall street Journal ou de l’International New York Times…
Autre exemple, nous sommes souvent bien placés dans les recensions artistiques, nous figurons aussi dans les palmarès universitaires, comme Shangaï, mais ce n’est pas nous qui fabriquons ces classements. Je ne veux pas dire que nous devrions les produire sur mesure, mais ils servent de stimulant. Donc, nous sommes influents, mais on maîtrise mal notre image et notre présence est sous-estimée sur notre propre territoire.
L’Europe peut-elle nous aider à combler ces handicaps ?
C’est certainement un levier possible. Dans la phase de mise en place du marché commun, il y avait une concordance géographique entre le progrès politique et le progrès économique. Un marché commun avec des institutions. Aujourd’hui, le marché est mondial, mais le projet européen reste régional. Et qui plus est dans le marché mondial, en dehors d'Airbus ou de quelques lanceurs dans le domaine spatial, l’offre est strictement nationale. Ainsi, sur le marché chinois, c’est Renault contre Volkswagen, ou la charcuterie italienne contre la française ; nous sommes en concurrence les uns contre les autres. Tout cela peut conduire à détruire le projet politique européen.
Autre difficulté : en dehors de la zone Afrique-Méditerranée, la vision strictement mercantiliste de ce qui se passe dans le monde est prépondérante. On laisse aux Américains le soin de parler stratégie, géopolitique, ou équilibre des forces en Asie orientale, par exemple. Nous sommes complètement absents des débats stratégiques qui vont marquer l’année 2014 et au-delà.
Dans votre atlas, vous mettez en cause les médias dans cette vision strictement économique de la marche du monde ?
Oui, les Français semblent assez mal à l’aise dans cette célébration de la performance des économies, des sociétés, des classes moyennes. Désormais, la hiérarchie des valeurs est celle là. Mais s’il faut nous adapter, c’est en ne perdant pas la voix singulière de la France. Nous devons offrir une alternative face au rouleau compresseur de l’Occident qui prétend à une globalisation absolue. Il revient à nos responsables politiques de faire la pédagogie de notre indispensable effort d’adaptation comme de nos atouts.
Selon vous, le projet des responsables politiques au gouvernement ou dans l’opposition est-il conforme à ce que vous souhaitez ?
Pas encore. Quand des membres du gouvernement font des voyages, ils se sentent encore presque obligés de s’excuser sur le fait qu’on rapporte des contrats. Actuellement, le gouvernement est extrêmement présent dans les affaires internationales, c’est même impressionnant. On en verra sans doute le résultat en termes de parts de marché. Mais il y a d’autres dimensions que le marché. On ne peut pas ramener la situation d’un pays exclusivement à l’emploi et au taux de croissance. Il y a d’autres réalités. D’ailleurs il peut même y avoir des crises dans les zones de prospérité comme on va le voir entre Japon et Corée.
Il y a aussi les dimensions politique, géopolitique et même symbolique. Et là, on a toute notre place. On revient au monde des idées et des représentations.
L’Europe va connaître prochainement des élections, tout le monde redoute une abstention massive...
Le discours actuellement tenu sur la construction européenne est de l’ordre du techno-disciplinaire. On ne parle que de contraintes, d’efforts. On a perdu de vue le projet politique à cause de cette discordance entre l’unité géographique de l’Europe et les défis qui sont mondiaux. L’hétérogénéité règne dans la zone euro, par exemple. La convergence des performances économiques ne s’est pas produite. Au contraire. De plus, la commission n’a pas fait son travail. La promesse de Mitterrand qui voulait que l’Europe assure une protection n’a pas été tenue. Ou plus exactement, elle n’est pas perçue comme telle, alors qu’en réalité elle l’a été. L’euro est sorti d’affaire, c’est la deuxième monnaie de réserve du monde ─ 40% des réserves de la Banque centrale de Russie, 28% de la banque centrale de Chine ─, et l’Union européenne reste la première économie du monde.
Mais en même temps tout cela n’est qu’une agrégation statistique. Cela a une valeur pour les exportateurs étrangers, mais cela n’a pas un vrai sens politique. Il y a un désaccord entre la politique et l’économie, donc il faut remettre de la politique dans le discours européen.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.