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Reportage Vue de Syrie, la guerre en Ukraine comme une sinistre répétition : "C'est le même scénario"

Le reporter de franceinfo a pu se rendre dans la province d’Idlib, au nord de la Syrie, contrôlée par le groupe jihadiste Hayat Tahrir Al Sham. Les Syriens qui ont vécu les bombardements russes y observent attentivement la guerre en Ukraine. Avec le sentiment que l'histoire se répète. 

Article rédigé par Aurélien Colly
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Sur la ligne de front de Saraqeb, des combattants rebelles du bataillon Al-Zuber appartenant au groupe jihadiste Hayat Tahrir Al-Sham, qui contrôle la province d'Idlib, en avril 2022. (AURELIEN COLLY / RADIO FRANCE)

Sur la ligne de front de Saraqeb, au sud de la province d'Idlib (Syrie), les jihadistes du groupe Hayat Tahrir Al Sham surveillent les mouvement du régime syrien et de son allié russe, à seulement 700 mètres de leurs positions. Un calme précaire règne depuis deux ans et la signature d'un cessez-le feu. Ici, on regarde la situation en Ukraine avec un sentiment de déjà-vu. Alors que la guerre en Ukraine en est à son 41e jour, les méthodes de la Russie ont un écho particulier dans cette province syrienne où tout le monde est solidaire de Kiev. Moscou a en effet sauvé le régime de Bachar Al Assad en intervenant militairement à partir de 2015.

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Depuis cette enclave d'Idlib, située au nord de la Syrie et contrôlée par le groupe jihadiste, Abou Zaid n'oublie pas la férocité du parrain russe de Damas. "Les Russes ne font pas de distinction entre civils et combattants : ils détruisent tout, puis ils avancent", affirme ce membre du bataillon Al Zuber. Pour fuir les bombardements russes, 1,5 million de Syriens ont trouvé refuge ces dernières années dans ce dernier bastien de la rébellion syrienne.

"Ce sont des barbares. Ils tuent les civils et ne font pas de différence entre les enfants, les femmes... Ils visent les hôpitaux et les infrastructures. C’est la méthode de la terre brûlée, pour faire fuir les gens."

Abou Zaid, membre du bataillon Al Zuber

à franceinfo

À quelques kilomètres du front, au milieu des champs d’oliviers, Souheil peut lui aussi voir les positions ennemies. "Les Russes et [Vladimir] Poutine sont des criminels de guerre. Le président russe est mon ennemi ainsi que celui de tous les Syriens. Il a détruit mon pays et tué mes concitoyens." 

Suheil Hammoud pose avec son lance-missile BGM-71. (AURELIEN COLLY / RADIO FRANCE)

Souheil est une légende de la rébellion syrienne, avec 147 cibles détruites grâce à son bébé : un lance-missiles BGM 71 Tow offert par les Américains. Il le transporte toujours dans son coffre de voiture : trois kilomètres de portée pour détruire des tanks, des véhicules de transport de troupes ou des batteries d’artillerie. Souheil est prêt à aller en Ukraine. "Quel que soit l’endroit où la Russie combat, je voudrais être en face. Mon rêve est de faire une montagne avec des chars russes détruits." 

Aziz al-Asmar, artiste syrien, a commencé il y a cinq ans à peindre des fresques sur les ruines laissées par les bombardements à Idlib. Depuis la guerre en Ukraine, il en peint d'autres, en solidarité avec le peuple ukrainien. (AURELIEN COLLY / RADIO FRANCE)

Ce n'est pas le cas d'Aziz, 50 ans, un artiste qui est lui aussi solidaire des Ukrainiens. Ses armes : des peintures dans les ruines de bâtiments détruits par les bombardements russes. L'une d'elle montre les drapeaux syrien et ukrainien côte-à-côte alors que Vladimir Poutine est à califourchon sur un ours. "Avec cette fresque, je montre l’ours russe attaquant l’Ukraine. Entre ses griffes dégoulinantes de sang, il y a aussi la Tchétchénie et la Syrie, détaille l'artiste. Il crache de sa gueule les bombes qui s’abattent aujourd’hui sur l’Ukraine."

Même méthode, même stratégie, même réthorique

Si les Syriens reconnaissent la méthode et la stratégie russes qui les ont frappés, Hussein retrouve également la même réthorique. "C’est le même scénario qui se déroule en Ukraine", assure celui qui a vécu le siège d'Alep en 2016. S'il ne combat plus, il reste hanté par ces semaines infernales, encerclé et bombardé, malgré la présence de milliers de civils dans la ville. "Ils encerclent au prétexte que ce sont tous des nazis, comme ils disaient qu’on était des terroristes de Daech ou Al Nosra. C’est leur technique : les Russes veulent montrer au monde qu’ils combattent des terroristes ou des extrémistes."

"Ils disent : 'On n’est pas là pour bombarder des civils'. Et avec cette excuse, ils bombardent tout le monde, en commençant – justement – par les civils, et pas par les combattants."

Hussein, qui a vécu le siège d'Alep en 2016

à franceinfo

Abou Fadi a fait l’amère expérience du discours russe. Sa femme et ses cinq enfants sont morts quand sa maison a été pulvérisée par une frappe de Moscou. Il fait désormais partie des centaines de milliers de civils qui ont fui, pour trouver refuge dans les camps de fortunes de la province d’Idlib. "On a fui tout seul, alors que les réfugiés ukrainiens fuient en bus ou en voiture, déplore-t-il. Ils trouvent des maisons prêtes à les accueillir, quel que soit le pays où ils vont. Tout est prêt pour eux alors que personne ne se préoccupe de nous. On est seuls."

Pour les réfugiés d'Idlib, la guerre en Ukraine, "c'est le même scénario" qu'en Syrie - le reportage d'Aurélien Colly

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