Guerre en Ukraine : que change l'arrivée du commandant en chef Oleksandre Syrsky à la tête des forces armées de Kiev ?
La situation est "extrêmement complexe". Pour sa première visite en tant que commandant des forces armées sur le front dans l'est de l'Ukraine, Oleksandre Syrsky a tenu des propos peu rassurants, mercredi 14 février. Le haut gradé reconnaît que ses soldats sont mis en difficulté, notamment dans la ville d'Avdiïvka où les Russes sont à l'offensive depuis le 10 octobre. "La situation opérationnelle est extrêmement difficile et tendue", souligne-t-il dans un message publié sur son compte Telegram mercredi. "Nous faisons tout notre possible pour empêcher l'ennemi d'avancer sur notre territoire et pour tenir nos positions".
Après sa contre-offensive estivale dans les oblasts de Zaporijia et de Donetsk à l'été 2023, l'armée de Kiev est sur la défensive. Le nouveau commandant en chef des forces armées ukrainiennes, qui a remplacé le très populaire et iconique général Zaloujny le 8 février, a la lourde tâche de préparer un plan d'action "réaliste", réclamé par Volodymyr Zelensky, pour l'année 2024. Confronté à un front figé et à des soldats Russes plus nombreux et mieux armés, le commandant en chef Oleksandre Syrsky dispose d'une marge de manœuvre limitée pour sortir de l'impasse militaire et répondre aux objectifs fixés par la présidence.
Un "candidat naturel" au poste
La nomination de cet ancien soldat de l'Armée Rouge à la tête des forces armées ukrainiennes ne constitue pas une surprise pour Oleksiy Hontcharenko, député et membre de Solidarité européenne, interrogé par franceinfo. "Il s'imposait comme un candidat naturel à ce poste", explique l'élu de la Rada. Auréolé de nombreux faits d'armes depuis le début de l'invasion, Oleksandre Syrsky a acquis la réputation d'être un tacticien hors pair qui a mis en déroute les Russes."Il s'agit de l'homme qui a remporté la bataille de Kiev (...) et planifié les contre-offensives victorieuses de Kherson et Kharkiv en 2022", justifie Oleksiy Hontcharenko.
Après presque deux ans de combats, l'ancien commandant des forces terrestres traîne également une réputation d'officier inflexible, surnommé le "boucher" par certains de ses soldats, comme le relate l'agence de presse ukrainienne RBK-Oukraïna. Le sobriquet semble exagéré aux yeux de Thibault Fouillet, directeur scientifique de l'Institut d'études de stratégie et de défense à l'université Jean-Moulin Lyon III. "Cette réputation d'un homme qui ne chercherait pas l'économie des moyens est en partie distordue par la réalité", précise-t-il.
Subordonné au général Valery Zaloujny depuis 2021, le nouveau numéro 1 commandait jusqu'à présent l'armée de terre et mettait en application les directives de son supérieur. "Si Valery Zaloujny a pensé la stratégie ukrainienne depuis le début de l'invasion, c'est bien Oleksandre Syrsky qui l'a mise en pratique", insiste l'historien militaire Frederik Mertens, analyste au Centre d'études stratégiques de La Haye (HCSS), aux Pays-Bas. Par ailleurs, faute de forces vives dans ses rangs, le nouveau commandant en chef "ne pourra pas 'gaspiller' des soldats dans des assauts meurtriers dans les prochains mois. De toute façon, l'Ukraine n'en a pas les moyens", poursuit le spécialiste. Volodymyr Zelensky avait révélé en décembre que l'état-major voulait enrôler 500 000 soldats supplémentaires pour regarnir les rangs d'une armée décimée par les combats.
Regagner un "potentiel offensif"
D'après les chercheurs interrogés par franceinfo, l'armée ukrainienne, éprouvée par l'échec de sa contre-offensive, n'est plus en mesure de lancer une nouvelle attaque d'ampleur. Le nouveau chef des forces ukrainiennes hérite aussi d'une situation délicate sur le plan matériel. Compte tenu du retard dans la livraison d'armes occidentales et du faible stock d'obus, "Kiev dispose de moyens militaires limités", rappelle Tim Sweijs, directeur de recherche au HCSS.
"Je m'attends à ce que les Ukrainiens restent sur la défensive pour l'instant, d'autant plus qu'ils manquent de munitions d'artillerie pour passer à l'offensive."
Frederik Mertens, analyste stratégique et historien militaireà franceinfo
Cette situation oblige le nouveau commandant en chef à temporiser en "maintenant une stratégie défensive afin de régénérer un futur potentiel offensif", confirme Thibault Fouillet. Mais cette période remobilisation va prendre du temps. D'après Tim Sweijs, "les quatre à six prochains mois, seront consacrés au réarmement, au ré-entraînement" et à la préparation d'opérations mêlant artillerie, blindés et infanterie. Des offensives qui visent à percer les fortifications ennemies. "Mais ces dernières nécessitent un niveau de préparation et de coordination élevé", poursuit Frederik Mertens.
Il est plus facile de réaliser une "défense statique avec des troupes peu entraînées que de réaliser une percée" d'une ligne fortifiée. Depuis plusieurs mois, les Russes ont mis en place un réseau défensif sur toute la ligne de front, ralentissant l'avancée des Ukrainiens.
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