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Guerre en Ukraine : quatre questions sur le procès de Vadim Chichimarine, le premier soldat russe jugé à Kiev pour crime de guerre

Ce soldat de 21 ans devra s'expliquer sur la mort d'un homme de 62 ans, le 28 février dans le nord-est du pays, dans un procès à forte valeur symbolique pour l'Ukraine.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 4 min
Le soldat russe Vadim Chichimarine, 21 ans, lors d'une audience préliminaire en vue de son procès au tribunal à Kiev, en Ukraine, le 13 mai 2022. (EFREM LUKATSKY / AP / SIPA)

Son visage juvénile était apparu vendredi aux caméras du monde entier, lors d'une audience préliminaire. Vadim Chichimarine, un soldat russe âgé de 21 ans, crâne rasé et jogging gris et bleu, était arrivé menotté au petit tribunal de district Solomiansky en Ukraine. Il est jugé à partir du mercredi 18 mai pour crime de guerre. Il s'agit du premier procès de ce genre en Ukraine depuis l'entrée des troupes russes sur son territoire. Franceinfo revient en quatre questions sur les éléments clés de ce procès.

1Pourquoi ce procès a-t-il lieu dès maintenant ?

Depuis le début du conflit, le 24 février, de nombreuses ONG, des civils mais aussi des Etats se mobilisent pour rassembler des preuves des exactions russes, afin que les responsables soient jugés rapidement. Ils sont accusés de multiples crimes de guerre dans les territoires occupés en Ukraine, notamment dans la banlieue de Kiev, d'où les troupes se sont retirées fin mars.

Si plusieurs enquêtes ont déjà été ouvertes par des juridictions internationales, comme la Cour pénale internationale (CPI) et le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, des juridictions nationales ukrainiennes enquêtent également. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, avait annoncé début avril qu'un "mécanisme spécial" allait être créé pour "enquêter sur tous les crimes des occupants dans [le] pays et les poursuivre". "Jamais on n'a eu, en temps de guerre, autant d'enquêtes en même temps", analyse sur franceinfo Reed Brody, membre de la Commission internationale de juristes, spécialiste de la défense des droits de l'Homme.

Comme le souligne Le Parisien, le crime dont Vadim Chichimarine est accusé est le premier parmi une liste de 11 846 autres recensés par Kiev. Selon le parquet ukrainien, il a été commis le 28 février, quatre jours après le début des combats.

Preuve de la détermination ukrainienne à ne pas perdre de temps sur un plan judiciaire : deux militaires russes devraient être jugés à partir de jeudi pour avoir tiré des roquettes sur des infrastructures civiles dans la région de Kharkiv, la deuxième ville du pays, dans le nord-est.

2De quoi Vadim Chichimarine est-il accusé ?

Malgré son jeune âge, Vadim Chichimarine, originaire d'Irkoutsk en Sibérie, était commandant d'unité dans une division de chars basée dans la région de Moscou. Il est accusé d'avoir tiré avec une kalachnikov sur un civil de 62 ans ;non armé, depuis la fenêtre d'une voiture dans laquelle il circulait, le 28 février. Selon le parquet ukrainien, le soldat se déplaçait avec quatre autres militaires après l'attaque de leur convoi. Ils avaient volé une voiture près du village de Choupakhivka, dans la région de Soumy, dans le nord-est du pays.

La victime – qui n'a pas été identifiée – circulait à bicyclette sur le bord de la route non loin de son domicile et est morte sur le coup. "L'un des militaires a ordonné à l'accusé de tuer le civil afin qu'il ne les dénonce pas", a précisé le bureau de la procureure générale, Iryna Venediktova.

Les autorités ukrainiennes avaient annoncé l'arrestation de Vadim Chichimarine début mai sans donner de détail, tout en publiant une vidéo dans laquelle il disait être venu combattre en Ukraine pour "soutenir financièrement sa mère". Concernant les accusations à son encontre, il expliquait : "J'ai reçu l'ordre de tirer, je lui ai tiré dessus une fois. Il est tombé et nous avons continué notre route."

3Quelle peine encourt-il ?

Le soldat a beau avoir agi, selon ses dires, sur les ordres d'un supérieur hiérarchique, il encourt la prison à perpétuité pour crime de guerre et meurtre avec préméditation. "Il comprend les accusations portées contre lui", a déclaré à l'AFP son avocat, Viktor Ovsiannikov, sans révéler sa stratégie de défense. Selon les autorités ukrainiennes, il coopère avec les enquêteurs et reconnaît les faits.

Le procureur, Iaroslav Ouchtchapivski, a pour sa part affirmé au média ukrainien Ukraïnska Pravda que le soldat russe avait plaidé coupable et s'était repenti.

4Pourquoi ce procès a-t-il valeur de test en Ukraine ?

Ce procès, qui devrait être rapidement suivi par plusieurs autres, a valeur de test pour le système judiciaire ukrainien. Le dossier est difficile, reconnaît l'avocat de Vadim Chichimarine. "On n'a jamais eu un tel chef d'inculpation en Ukraine, on n'a pas de précédents, de verdict", a-t-il souligné. "Mais on va y arriver", a ajouté Viktor Ovsiannikov, en assurant n'avoir constaté "aucune violation des droits" de l'accusé par les autorités.

Comment éviter de faire de ce procès un outil de propagande et préserver l'impartialité de la justice ? "L'Ukraine veut opposer aux armes le droit, la loi (…) Si l'Ukraine veut utiliser l'arme du droit, il faut qu'elle soit utilisée vraiment à perfection", analyse sur franceinfo le spécialiste Reed Brody.

"Il faut que ce procès se déroule de manière juste, exemplaire, transparente. C'est l'un des procès les plus importants, car il va donner une idée de comment peut fonctionner la justice ukrainienne en ce moment."

Reed Brody, membre de la Commission internationale de juristes

sur franceinfo

Reed Body s'étonne toutefois que Kiev ait choisi "le cas d'un petit soldat" pour mener ce premier procès. "Il a reconnu des faits. Mais les faits sont qu'il a reçu des ordres. Ce n'est pas un cas évident. Quelle était son obligation ?" poursuit-il.

La procureure générale a également souligné, dans une série de messages sur Twitter, l'enjeu du dossier pour son pays. "Nous avons ouvert plus de 11 000 enquêtes pour crimes de guerre et arrêté 40 suspects", a rappelé Iryna Venediktova. En attendant qu'ils arrivent devant les tribunaux, "avec ce premier procès, nous envoyons un signal clair : aucun bourreau, aucune personne ayant ordonné ou aidé à commettre des crimes en Ukraine n'échappera à la justice."

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