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Guerre en Ukraine : pourquoi l'Allemagne a-t-elle un droit de regard sur les chars d'assaut de la Pologne ?

Si le gouvernement allemand hésite encore à livrer des chars Leopard à l'Ukraine, la Pologne a déjà pris cette décision, mais doit obtenir l'accord de Berlin avant de céder ce matériel.
Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Des chars de combat Leopard 2 de l'armée polonaise lors d'un exercice militaire à Nowa Deba (Pologne), le 8 avril 2022. (STR / NURPHOTO VIA AFP)

La procédure a de quoi étonner, surtout en temps de guerre. La Pologne a fait savoir, lundi 23 janvier, qu'elle allait demander à l'Allemagne l'autorisation de livrer à l'Ukraine quatorze chars de combat Leopard de fabrication allemande. "Nous allons demander un tel accord, mais c'est une question secondaire", a commenté le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, qui milite depuis plus d'un moins pour la livraison de chars d'assaut à son voisin.

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Pourtant, ce type de demande est loin d'être une formalité, car les ventes d'armes sont généralement encadrées par des règles précises, qu'il s'agisse du choix des clients, de l'usage prévu ou encore de la revente ou de la cession à des pays tiers. Franceinfo fait le point sur l'accord qui lie l'Allemagne et la Pologne au sujet des très convoités chars Leopard 2.

Des règles similaires en France

Comme le souligne le ministère allemand de l'Economie sur son site, les ventes d'armes "ne sont pas des exportations comme les autres". En conséquence, l'Allemagne se targue de suivre "une politique particulièrement restrictive" en matière de ventes de matériel militaire, décrites comme un "domaine sensible". Le gouvernement doit ainsi s'assurer que le matériel militaire en question ne serve pas à "violer les droits de l'homme" ou à "aggraver des crises" dans les pays qui les achètent.

Avant de donner son feu vert à un contrat, l'Etat doit aussi veiller à ce que la vente ne dessert pas sa politique étrangère et n'enfreigne pas les différents accords internationaux que le pays a ratifiés. Ces règles sont d'ailleurs similaires en France. Comme le rappelle le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) sur son site, les exportations de matériel militaire fabriqué en France doivent en principe "garantir le respect des engagements internationaux souscrits par la France" sans risquer de voir les technologies "les plus sensibles" transférées à des pays tiers.

Au nom du traité sur le commerce des armes (TCA), dont l'Allemagne et la France sont signataires, une licence est obligatoire pour toute vente d'armes, sur le marché national, européen ou extra-européen. Une distinction est aussi faite entre les pays membres de l'Otan ou non. Dans ces contrats figurent notamment des règles concernant le "réexport", c'est-à-dire le transfert d'armes de guerre par l'acheteur initial à d'autres pays. Cela sert à garder une trace de ces armes, mais aussi à empêcher que des pays hostiles, voire des régimes visés par des embargos, ne mettent la main sur certaines armes grâce à un circuit de revente. Puisque les Leopard 2 sont fabriqués en Allemagne, le pays peut choisir ou non d'autoriser le transfert de ces chars de combat depuis la Pologne vers l'Ukraine – et ce même s'il s'agit d'un don.

Un feu vert sous la pression

Ces dernières semaines, de nombreuses voix se sont élevées dans le camp des alliés occidentaux de l'Ukraine au sujet de la livraison de chars d'assaut à Kiev. En France, la livraison de chars lourds Leclerc représente un dilemme de taille. Par la voix de Boris Pistorius, son nouveau ministre de la Défense, l'Allemagne continue d'appeler à la retenue et à "peser très soigneusement le pour et le contre", comme l'a rapporté la Deutsche Welle. Le pays craint notamment que la livraison d'armes plus sophistiquées à l'Ukraine n'envenime davantage les relations entre le régime de Vladimir Poutine et les Etats membres de l'Otan.

Depuis le 19 janvier dernier, la Pologne ne cachait plus son désarroi et laissait même entendre qu'elle passerait en force si l'Allemagne tardait ou refusait de donner son accord pour le réexport des quatorze chars de combat. "Le consentement est secondaire ici", avait déclaré le Premier ministre polonais sur Polskie Radio (en polonais). Face aux craintes d'une nouvelle offensive terrestre russe de grande ampleur, Mateusz Morawiecki s'était alors montré très incisif. "Soit nous obtiendrons ce consentement rapidement, soit nous le ferons nous-mêmes", avait-il déclaré, évoquant la mise en place d'une "petite coalition" de donateurs de chars d'assaut, rassemblant le Danemark, la Finlande et la France notamment.

Les pressions de la Pologne semblent avoir fini par payer. Dimanche soir, sur LCI, Annalena Baerbock, la cheffe de la diplomatie allemande, a finalement assuré que l'Allemagne ne poserait pas son veto à une livraison de chars Leopard par Varsovie. "Si on nous posait la question, nous ne nous y opposerions pas", a-t-elle garanti. L'annonce en ce sens de la Pologne laisse entrevoir le déblocage et la livraison rapide de ces chars à l'Ukraine. Sans toutefois alléger les critiques visant l'Allemagne, qui dispose de 212 chars Leopard opérationnels, selon un récent décompte publié par Der Spiegel (article payant).

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