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Guerre en Ukraine : on vous raconte l'histoire de ce père russe séparé de sa fille pour un dessin contre le conflit

Condamné à deux ans de prison pour avoir "discrédité" l'armée russe, ce père de famille de 54 ans a tenté de prendre la fuite. Sa fille de 13 ans a été placée sous tutelle.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 4 min
Alexei Moskaliov alors assigné à résidence, à Efremov, en Russie, le 23 mars 2023. (NATALIA KOLESNIKOVA / AFP)

Leur vie a basculé pour quelques coups de crayon. Un père de famille russe a été séparé de sa fille à cause d'un dessin contre la guerre en Ukraine. Alexeï Moskaliov, 54 ans, a été condamné à deux ans de prison pour avoir "discrédité" l'armée russe. Mais il n'était pas au tribunal, mardi 28 mars, pour entendre le verdict. Placé en résidence surveillée, il a pris la fuite. Il a été arrêté par la police dès le lendemain, non pas en Russie, mais près de Minsk, la capitale biélorusse, a fait savoir le ministère biélorusse de l'Intérieur, cité par les agences de presse russes. Sa fille Maria (surnommée Masha), 13 ans, a été placée dans un foyer. L'affaire est devenue le symbole de la répression qu'inflige Moscou à ses citoyens qui critiquent, dénoncent ou s'opposent à l'offensive lancée depuis fin février 2022 en Ukraine.

Le calvaire d'Alexeï et Maria a commencé en avril 2022 lorsque l'enfant a réalisé le dessin suivant. Dans le fond, des triangles représentent les montagnes. Deux missiles russes dessinés au feutre noir menacent une femme et un enfant, debout à côté d'un drapeau ukrainien, bleu et jaune. On peut aussi y lire "non à la guerre" et "gloire à l'Ukraine", selon l'ONG de défense des droits de l'homme OVD-Info, qui a médiatisé l'affaire.

Un dessin politique en cours d'arts plastiques

Ce n'est pas le genre de dessin qu'espérait la professeure d'arts plastiques de ce collège d'Efremov, à 300 km au sud de Moscou, qui attendait, selon le récit du Monde, des crayonnés de soutien aux soldats engagés dans "l'opération spéciale" russe. Dans cette petite ville russe de 37 000 habitants, le soutien au régime s'affiche à coups de grands "Z" sur les bâtiments municipaux.

Dans une Russie qui ne tolère aucune critique, le dessin de Maria fait scandale. En voyant le croquis, la directrice de l'établissement alerte la police, qui enquête sur le père de la collégienne. Les autorités inspectent le profil du quinquagénaire et assurent avoir découvert des publications en ligne critiquant l'offensive russe. Voilà Alexeï Moskaliov poursuivi pour avoir "discrédité" l'armée de son pays.

"Il a disparu"

Le 1er mars, l'affaire s'envenime. Le père de famille est assigné à résidence et sa fille placée dans un foyer et privée de tout contact avec son père. Au terme d'une instruction et d'un procès éclair, le procureur d'Efremov requiert deux ans de prison, lundi 27 mars. Alexeï Moskaliov plaide "non coupable", selon son avocat, Vladimir Bilienko, cité par l'AFP.

Dès le lendemain, le tribunal rend sa décision et suit le réquisitoire. Mais l'histoire prend un tournant rocambolesque lorsque le tribunal annonce que le condamné s'est volatilisé alors qu'il était en résidence surveillée. "Le verdict a été lu en l'absence du prévenu, car il a disparu et ne s'est pas présenté à l'audience", déclare la responsable de la communication du tribunal. L'avocat déclare avoir vu son client pour la dernière fois lundi. Alexeï Moskaliov a pris la fuite. Sa cavale a été de courte durée : il a été rattrapé dès mercredi, près de Minsk, en Biélorussie. La police biélorusse l'a arrêté à la demande des autorités russes.

Mercredi, le Kremlin a dit suivre l'affaire de près et a accusé ce père célibataire de "remplir ses obligations parentales de façon déplorable". La paisible ville d'Efremov a été secouée par cette histoire, mais ses habitants hésitent à condamner la répression à visage découvert. "Quand on parle aux gens en privé, ils sont désolés et ne comprennent pas la dureté affichée. Mais l'attitude générale est de se taire, de faire profil bas, les habitants ont peur que ça leur arrive aussi s'ils s'expriment", explique Olga Podolskaïa, une députée de district indépendante, interrogée par Le Figaro (article payant).

"Là pour servir d'exemple"

Au-delà de la région, l'histoire de ce père de famille choque une partie de la société russe. Signe de cette indignation, une pétition en ligne pour demander le retour de l'enfant chez son père avait recueilli 65 000 signatures début mars, selon l'AFP. L'affaire est même remontée aux oreilles du patron du groupe paramilitaire russe Wagner, Evguéni Prigojine, dont les hommes combattent en Ukraine. Le chef des mercenaires a apporté son soutien à Maria, critiquant les autorités locales pour avoir envoyé la jeune fille aux services sociaux.

Maria Moskaliova a été placée sous tutelle, selon l'avocat de son père, et pourrait être "envoyée dans un orphelinat d'ici un mois". L'avenir de la famille se jouera lors d'un autre procès, à partir du 6 avril, au cours duquel Alexeï Moskaliov risque d'être définitivement privé de son autorité parentale. "Ces sentences de plus en plus impitoyables sont là pour servir d'exemple, afin d'effrayer les gens, de les dissuader de sortir du rang, regrette la députée Olga Podolskaïa. La privation de la liberté de parole est devenue pire qu'à certaines périodes soviétiques." L'ONG Memorial y voit "une tentative d'intimider tous les opposants à la guerre". "Nous considérons Alexeï Moskaliov comme un prisonnier politique", a appuyé l'organisation, dissoute l'an passé par la justice russe.

Une lettre écrite par Maria, dans laquelle elle dit son soutien à son père, a été rendue publique mercredi. "Je t'aime beaucoup, tu n'es coupable de rien, je serai toujours de ton côté", écrit la jeune fille, qui ajoute : "Je suis sûre que tout ira bien et que nous serons de nouveau ensemble (...) Je sais que tu ne céderas pas, tu es fort, nous sommes forts (...) Je vais prier pour toi et pour nous."

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