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Guerre en Ukraine : l’écrivain Erri de Luca frappé par "la transformation de tout un peuple dans une unique forme de résistance"

L'écrivain italien a participé à un convoi humanitaire organisé par une ONG en Ukraine. Il raconte mercredi à franceinfo une guerre 'intimement et cruellement fratricide".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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L'écrivain italien Erri de Luca le 17 septembre 2020 à Paris. (DAVID ADEMAS / MAXPPP)

L’écrivain, journaliste et poète italien Erri de Luca, de retour d’Ukraine où il a participé à un convoi humanitaire de l’ONG Time for Life, raconte mercedi 29 mars à franceinfo avoir été frappé par "la transformation de tout un peuple dans une unique forme de résistance, armée ou non armée". L’écrivain de 71 ans, qui avait participé à plusieurs convois humanitaires pendant la guerre de Bosnie dans les années 90, relate son expérience en Ukraine dans une tribune publiée par le journal Le Monde.

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Il décrit à franceinfo "un soutien et une solidarité européenne qui n'existaient pas à l'époque de la guerre de Bosnie". Il témoigne également d'avoir été marqué par "le comportement des femmes et des enfants" ukrainiens, semblables à "des petits soldats sans uniforme".

franceinfo : Ce que vous avez vu en Ukraine vous a-t-il ramené aux années de guerre en Bosnie ?

Erri de Luca : Oui, c’est comparable sur l’échelle de la nécessité majeure d’une aide et d’un soutien. J’ai pu constater qu’il y a un soutien et une solidarité européenne qui n'existaient pas à l'époque de la guerre de Bosnie, qui a causé la destruction de l'ex-Yougoslavie. C'était une guerre qui pouvait se poursuivre tranquillement au centre de l'Europe, sans trop de soucis. Au contraire, tout au long de la frontière ukrainienne, de la mer Baltique jusqu’à la mer Noire, on constate le soutien de l’Europe. Il y a une prise de conscience beaucoup plus intense de l’Europe que lors de la guerre de Bosnie.

Pourquoi avoir voulu aller en personne en Ukraine ?

Parce que l’ONG me l'a demandé et il y a des invitations qui sont pour moi des ordres. Je suis donc parti avec eux et je me suis retrouvé aux côtés de ce qu’il y a de meilleur parmi les citoyens italiens.

Vous dites dans cette tribune que "toute guerre a une forme fratricide, mais celle-ci encore plus". Pourquoi ?

Parce que les Russes et les Ukrainiens parlent une langue semblable, ils ont la même tradition religieuse, Kiev faisait partie de de la grande Russie, les grands écrivains nés en Ukraine ont écrit en russe, comme Nicolas Gogol, Isaac Babel et Vassili Grossman - le plus grand selon moi. Je relis actuellement ces écrivains ukrainiens et en particulier Vassili Grossman qui, à l'époque, écrivait des prophéties qui nous éclairent sur la réalité d'aujourd'hui. Cette guerre est intimement et cruellement fratricide. Ils se tuent entre frères, cousins, familles.

Qu'est-ce qui vous a frappé au cours de ce voyage dans un pays en guerre, un pays envahi ?

La transformation de personnes normales en petits soldats, notamment les enfants et les femmes. Ils se comportent comme des petits soldats sans uniforme. Ils ont les mêmes soucis et préoccupations, font les mêmes gestes. Même lorsqu’ils jouent, les enfants le font sans agitation, ils répondent tout de suite si on les appelle. On voit la transformation de tout un peuple dans une unique forme de résistance, armée ou non armée. Partager un sous-sol pendant des bombardements est une expérience qui forge le caractère, ça peut vous détruire ou vous rendre invincible.

Chez vous, en Italie, cette guerre provoque le même élan de solidarité qu'en France ?

Oui, des personnes organisent des convois d’aide alimentaire ou médicale. Il y a un immense élan de solidarité dans toute l’Europe. Si Poutine pensait que l’Europe n’était qu’une alliance économique, il se trompe. Il a peut-être même fait de l’Europe une alliance politique du point de vue de l’accueil et de la solidarité.

Dans quel état d'esprit êtes-vous revenu de cette guerre ? Triste ? En colère ?

Non, je suis revenu plus convaincu que l'Ukraine ne sera pas vaincue. Mais c'est toujours difficile de rentrer chez soi, de retrouver la tranquillité quand on laisse derrière soi des personnes. Je ressentais déjà ce même sentiment de culpabilité pendant la guerre de Bosnie.

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