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Guerre en Ukraine : "Il y a eu un changement d'attitude du côté russe" à l'aube de nouveaux pourparlers, selon un spécialiste

Invité lundi sur franceinfo, Julien Théron, spécialiste des conflits et de sécurité internationale, voit dans le changement d'attitude des forces russes la stratégie typique du Kremlin d'ouvrir le canal diplomatique alors que ses militaires butent depuis bientôt trois semaines sur la résistance ukrainienne.

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Julien Théron, sur franceinfo, lundi 14 octobre. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Julien Théron, spécialiste des conflits et de sécurité internationale, et co-auteur de "Poutine, la stratégie du désordre", estime lundi 14 mars sur franceinfo qu'il "y a eu un changement d'attitude du côté russe", alors que de nouveaux pourparlers avec les représentants ukrainiens ont lieu lundi.

franceinfo : La nouvelle session de pourparlers peut-elle déboucher sur quelque chose ?

Julien Théron : Il y a eu un changement d'attitude du côté russe. Depuis des mois, les Russes disaient : "Il faut obéir à nos conditions, on ne cherchera pas un consensus, il faut absolument appliquer l'ensemble de nos demandes, y compris donc la démilitarisation de l'Ukraine et sa dénazification." Pour la première fois, les Ukrainiens expliquent que les Russes commencent à écouter leurs demandes. La première est l'arrêt des combats, donc un cessez-le-feu et le départ des troupes russes de l'ensemble du territoire ukrainien. On ne peut pas affirmer encore qu'il y a des possibilités d'entente très avancées, mais on note un changement d'attitude des forces russes. C'est assez typique de la stratégie du Kremlin : une fois qu'ils sont confrontés à une impossibilité d'aller beaucoup plus loin, ils commencent à ouvrir un peu le canal diplomatique, ce qui n'a absolument pas été le cas jusqu'à maintenant.

La résistance est-elle plus forte que ce qu'attendait la Russie ?

La Russie bute depuis bientôt trois semaines sur la résistance ukrainienne, sur les armements de l'Occident qui lui sont livrés, sur la détermination de l'ensemble de la population, sur la résilience de l'Etat ukrainien. Après quelques mises à l'écart au sein des services de renseignement russes, l'armée comprend que c'est assez difficile de progresser selon une stratégie d'opérations en profondeur. Même s'il y a toujours une volonté de progresser, à quel coût économique, militaire et politique [cela se ferait-il] ? Au Kremlin, on commence à comprendre que ce n'est pas si simple.

A-t-on une idée de la présence des forces tchétchènes ?

Ces forces tchétchènes, qui sont des forces russes, ont été déployées et ne sont pas du tout aussi efficaces qu'on aurait pensé. Il y avait une image des Tchétchènes extrêmement puissants et la réalité sur le terrain est bien autre. Ce sont des troupes qui ont été notamment déployées en Syrie, mais en tant que police militaire, censée maintenir l'absence de d'insurrection dans la ville d'Alep notamment, qui n'ont pas combattu de manière aussi intense que d'autres unités russes.

Leur efficacité est assez moindre. La Russie, de manière générale, en termes militaires comme économiques, ne peut pour beaucoup compter que sur elle-même. Elle a fait un projet d'autonomisation de son économie, notamment en matière agricole depuis 2014, en sachant que c'était une possibilité de résister aux sanctions. En termes militaires, elle a une industrie de défense qui est extrêmement souveraine, ce qui lui permet de pouvoir continuer. Mais ce n'est pas une autarcie que Moscou pourrait maintenir ad vitam aeternam.


Des mercenaires syriens sont-ils recrutés par la Russie comme l'affirme le Pentagone ?

C'est tout à fait plausible. Je crois que le Kremlin ne s'en cache pas. On pense à 16 000 troupes syriennes. Il s'agirait de soldats de l'armée arabe syrienne ou de combattants locaux, parfois même d'anciens révolutionnaires, qui seraient payés 1 500 dollars. On leur promet qu'ils auront une amnistie s'ils vont se battre en Ukraine. Il y a un intérêt direct qui n'est pas celui des volontaires étrangers rejoignant l'Ukraine sur la motivation de défense de la démocratie. Ceci dit, j'évalue de façon assez pessimiste, du point de vue de Moscou, l'idée de recruter 16 000 Syriens. Dans certains bureaux syriens, les tentatives de réconciliation de la part du régime n'ont pas été couronnées d'un énorme succès. Je doute que les locaux veuillent aller combattre contre les Ukrainiens en Ukraine.

La Chine dément les affirmations américaines selon lesquelles la Russie lui aurait demandé de l'aide militaire : c'est envisageable ou non ?

La Chine hésite sur le fond, mais sur la forme, elle entend protéger la Russie. Elle reprend tout un tas de discours sur la légitimité de ces demandes, malgré le fait qu'elle essaye aussi de conserver l'idée de la souveraineté des Etats dans le monde, un principe que viole la Russie aujourd'hui. Du point de vue de Moscou, on sait que Pékin est un allié essentiel, peut-être moins en termes militaires qu'en termes économiques. La Chine pourrait se substituer au manque à gagner des sanctions, mais elle s'exposerait peut-être aussi elle-même à des sanctions de l'Occident. Or, le marché occidental est immensément plus intéressant pour la Chine que le marché russe.

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