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Guerre en Ukraine : dans la région de Kherson, Moscou évacue des civils, mais ses intentions sont floues

Les autorités d'occupation affirment avoir évacué 15 000 personnes en deux jours.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des personnes évacuées de la région de Kherson (Ukraine) débarquent d'un bateau, le 19 octobre 2022 (image extraite d'une vidéo diffusée par l'administration d'occupation). (MAXPPP)

Le rendez-vous est fixé la gare fluviale de Kherson, ville du sud de l'Ukraine occupée par la Russie. Des groupes de civils prennent ici la route de l'exil, à bord de navettes affrétées pour l'occasion. Cinquante kilos de bagages par personne sont autorisés, avec l'obligation d'y mettre une étiquette avec son nom. Pour traverser le Dniepr, la route n'est plus une option. Le pont Antonovsky, notamment, est ciblé par l'artillerie ukrainienne. Les ferries débarquent à Oleshky, à l'est, et Hola Prystan, au sud. Des centres d'hébergement temporaires doivent y accueillir les évacués.

Avant d'embarquer, les habitants sont invités à s'inscrire par téléphone, et à prendre le nécessaire avec eux (téléphonie, documents d'identité, vêtements, vivres...). Ils doivent également couper l'électricité, l'eau et le gaz dans les appartements abandonnés. Certains d'entre eux avaient reçu des SMS leur demandant d'évacuer "immédiatement", en raison de frappes ukrainiennes imminentes, rapporte l'agence russe Tass. Les autorités d'occupation ont affirmé mercredi 19 octobre avoir évacué 15 000 personnes, pour un objectif affiché de 50 à 60 000 personnes en une semaine. La ville seule comptait 280 000 âmes avant la guerre, mais le nombre d'habitants est aujourd'hui inconnu.

Depuis deux jours, les médias russes diffusent des images des files d'attente devant l'embarcadère. En parallèle, il est désormais interdit pour les civils de se rendre sur la rive droite du Dniepr, à moins de présenter un laissez-passer, délivré par l'armée. Il est aussi prévu que l'administration civile régionale soit transférée sur la rive gauche, ont précisé les autorités d'occupation, mais les services municipaux resteront dans la ville.

Des promesses d'aide au logement

Selon les autorités d'occupation, les personnes évacuées ont le choix de rester dans la région, ou bien de rejoindre la Crimée annexée ou les régions russes de Rostov, Krasnodar et Stavropol. Des bus assurent les liaisons plusieurs fois par jour. Le vice-Premier ministre russe, Marat Khousnoulline, a dévoilé un projet de "certificats de logement" donnant droit à des aides de l'Etat pour acheter un nouvel appartement. Une simple annonce, pour le moment, car aucun décret n'a été publié.

Le sénateur Andreï Tourchak, secrétaire général du parti Russie unie, a tenté de rassurer les habitants sur ce point, lors de la visite d'un centre de bénévoles installé sur la rive gauche. "Ce certificat sera calculé en fonction du nombre de personnes dans la famille et vous pourrez choisir n'importe quelle région de Russie", a-t-il assuré. "Nous devons renforcer notre travail d'information, afin que les gens se sentent rassurés", a-t-il toutefois convenu.

Quelles sont les motivations russes ? Difficile d'y voir clair. Le chef d'occupation régionale, Vladimir Saldo, avait d'abord annoncé les noms de quatre localités à évacuer en priorité, mais l'appel concerne à présent tous les candidats au départ, y compris à Kherson. L'objectif, selon lui, était de laisser la place à l'armée russe, occupée à établir une ligne défensive. Le général russe Sergueï Sourovikine, en charge des opérations en Ukraine, avait affirmé que l'armée russe allait "assurer l'évacuation sécurisée de la population" de la capitale régionale, alors que les forces ukrainiennes poursuivent leur contre-offensive.

Kiev dénonce une "déportation massive"

Kiev, de son côté, accuse la Russie de se servir des civils comme d'un bouclier humain. Pour le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien, Oleksiy Danilov, le Kremlin organise "la préparation de la déportation massive de la population ukrainienne" vers la Russie "afin de modifier la composition ethnique des territoires occupés". L'armée russe "veut utiliser le peuple pacifique de Kherson comme un bouclier humain", a également écrit le gouverneur ukrainien de la région, Iaroslav Ianouchevitch.

"Nous exhortons les habitants de Kherson à ignorer ces appels des occupants."

Iaroslav Ianouchevitch, gouverneur ukrainien de la région de Kherson

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Un autre élément doit être considéré : le stratégique barrage hydroélectrique de Kakhovka. Vladimir Saldo accuse les forces ukrainiennes de vouloir détruire l'infrastructure, ce qui entraînerait des inondations dans toute la région. Le général Sourovikine dénonce d'ailleurs des frappes de missiles Himars (des armes américaines) sur l'ouvrage. Une carte des dommages potentiels a été largement partagée sur les réseaux sociaux russes, affirmant que des flots de 5 mètres s'abattraient en deux heures sur la capitale régionale en cas de destruction.

Le barrage de Kakhovka (Ukraine) sur une image satellite du goupe Maxar, le 26 février 2022. (- / AFP)

Kiev accuse en retour les forces russes de préparer les esprits avant de détruire elles-mêmes le barrage et d'accuser l'Ukraine. "Une brèche pourrait couvrir le retrait russe sur la rive droite et empêcher, ou retarder, l'avancée des forces ukrainiennes à travers le fleuve", analyse également l'Institute for the Study of War (en anglais). Enfin, selon les mêmes experts, cette évacuation est aussi "probablement destinée en partie à évacuer les responsables de l'occupation russe et leurs collaborateurs".

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