Accord sur le blé entre l'Ukraine et la Russie : il devrait s'appliquer "très vite", mais "est conditionné par l'état du conflit", tempère un spécialiste
Kiev et Moscou sont en train de conclure un accord pour permettre la reprise des exportations de blé. Pour le chercheur Thierry Pouch, cela répond à un besoin "vital", pour l'Ukraine comme pour plusieurs pays du monde.
Après cinq mois de guerre, l'Ukraine et la Russie ont trouvé un accord pour permettre la reprise des exportations de blé via la mer Noire. Il devrait être signé ce vendredi à Istanbul, la Turquie ayant joué l'intermédiaire avec les Nations Unies. Cet accord devrait s'appliquer "très vite", mais il "est conditionné par l'état du conflit et son éventuel prolongement", a tempéré ce vendredi sur franceinfo Thierry Pouch, chef économiste des Chambres d’Agriculture et chercheur associé au laboratoire Regards de l'Université de Reims-Champagne-Ardenne. Cet accord "est vital", selon lui, pour l'Ukraine et ses agriculteurs, mais aussi pour beaucoup de pays importateurs dans le monde, comme notamment l'Égypte, le Liban ou la Pologne.
franceinfo : A-t-on la garantie que cet accord sera respecté ?
Thierry Pouch : Il le sera dans la mesure où on a quand même beaucoup avancé depuis deux mois dans les négociations. Il y avait eu la déclaration du secrétaire général de l'ONU qui prévoyait des ouragans de famine, il y a quelques semaines. Dans la mesure où il y a une attente importante de la part d'un certain nombre de pays qui dépendent cruellement du blé ukrainien, mais aussi du maïs. C'est le cas du Liban, de la Tunisie, de la Turquie et de l'Égypte. Mais même en Europe, il y a des importateurs importants comme l'Estonie, la Lituanie ou la Pologne. Cela ne peut qu'être respecté si l'on veut que la situation alimentaire internationale ne se dégrade pas comme il est prévu qu'elle se dégrade.
Dans quel délai cet accord s'appliquera-t-il dans ces pays concrètement ?
Si l'accord trouvé est signé aujourd'hui, il faudra environ 3 à 4 semaines pour le finaliser d'un point de vue opérationnel. Ensuite, ça peut aller très vite. Si l'on prend juste l'exemple du port d'Odessa qui peut accueillir des navires en eau profonde avec des chargements de 65 000 tonnes, on peut aller relativement vite.
C'est très important pour l'Ukraine parce que les récoltes sont en train de se faire en ce moment. Il faut libérer les silos de façon à les alimenter par la nouvelle récolte qui arrive. En plus, il y a quand même des exportations agricoles pour l'Ukraine, qui représente 10% du produit intérieur brut. C'est quelque chose d'important. C'est vital pour les agriculteurs qui sont très impatients puisque ça peut évidemment approvisionner leur trésorerie. Et en plus, l'Ukraine a dévalué sa monnaie, donc, ça peut être aussi un atout pour vendre un peu plus et moins cher.
Peut-on trouver d'autres sources d'approvisionnement que ce qui se produit en Ukraine ou en Russie ?
L'Ukraine représente pour le blé uniquement 10% des exportations mondiales. Pour la Russie, on est aux alentours de 20%. C'est plutôt la Russie qui est le grenier à blé d'une certaine façon. Ensuite, vous avez une poignée d'exportateurs qui peuvent être des alternatives. C'est le cas évidemment de l'Australie, des États-Unis, du Canada, mais aussi de la France et de la Roumanie. Évidemment, l'Inde s'était positionnée, mais elle avait mis un embargo sur ses exportations donc il ne faut plus compter sur elle, même si ce n'est pas un grand exportateur. C'est le neuvième à l'échelle mondiale. Mais déjà, des pays qui sont très dépendants du blé international comme l'Égypte, premier importateur mondial, s'étaient adressés à la Russie et un peu à la France récemment, pour pouvoir approvisionner la population. Donc, il y a des solutions, d'autant plus que la récolte en France cette année ne devrait pas être aussi mauvaise qu'on a pu l'annoncer. Il y aura une très, très légère baisse. La France exporte beaucoup depuis quelques semaines maintenant sur le pourtour méditerranéen.
L'application de cet accord peut être remise en cause à tout moment ?
L'accord devrait s'appliquer, mais évidemment, tout cela est conditionné par l'état du conflit et son éventuel prolongement. Donc, s'il y a une dégradation militaire, s'il y a un blocage diplomatique, il est probable que la Russie puisse remettre en cause cet accord. Il y a déjà quelques bombardements de surfaces agricoles en ce moment. Tout cela est encore très, très hypothétique, très aléatoire. Mais ça constitue quand même une avancée significative qui pourrait avoir des répercussions sur le prix du blé, qui est déjà en baisse depuis quelques jours et qui pourrait encore baisser. Cela serait plutôt une bonne nouvelle pour les pays importateurs qui verraient leur facture à l'importation s'alléger.
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