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Le Kosovo, cet Etat qui n'est pas vraiment un Etat

L’affaire de la jeune Kosovare de 15 ans, Leonarda, expulsée vers son pays d’origine, a déclenché une vive polémique en France. L’occasion de faire le point sur cet ex-province serbe qui a proclamé son indépendance en 2008. Les tensions restent vives avec l’ancienne puissance tutélaire. Et son Premier ministre a été accusé par le Conseil de l’Europe de couvrir des trafics d’organes et de drogue…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Dans la ville de Mitrovica, au nord du Kosovo. La ville est divisée entre communautés albanophone et serbe.  (Reuters - Hazir Reka)

Le Kosovo (capitale : Pristina), qui regroupe 90% d’albanophones sur une population de 1,8 million d’habitants, est considéré par les Serbes comme le berceau de leur histoire. Il a été ainsi été le théâtre en 1389 de la défaite de ces derniers à la bataille du Champ des merles. Laquelle a ouvert la voie à cinq siècles de domination ottomane sur les Balkans.

A l’époque de la Yougoslavie, la Constitution du pays reconnaît au Kosovo un statut de province autonome au sein de la République de Serbie. Statut supprimé en 1989 par le président serbe Slobodan Milosevic lors de l’éclatement de la Yougoslavie. A partir de 1997, une Armée de libération (UCK) lutte contre Belgrade. La répression fait des milliers de morts et entraîne l’exode de plus d’un million d’albanophones. En 1999, l’OTAN lance une campagne de bombardements contre la Serbie. Slobodan Milosevic doit alors retirer ses troupes de la province. Celle-ci est mise sous la protection de l’ONU (Minuk) et de l’Otan (KFOR).

Souveraineté limitée
En théorie, cette «supervision» internationale est achevée depuis septembre 2013. Mais la souveraineté du pays, qui n’est pas membre de l’ONU,  reste limitée malgré l’indépendance acquise en 2008, refusée par la Serbie et la Russie.

Le Kosovo «est toujours le ‘‘terrain de jeu’’ d’un grand nombre de missions aux mandats flous et aux compétences souvent incertaines», observe Le Monde Diplomatique. La Minuk y est ainsi toujours déployée, de même que la Kfor, qui conserve 6000 hommes sur place. Se trouve aussi sur place l’Eulex, mission de l’UE chargé d’aider le Kosovo en matière de justice et de police pour édifier un Etat de droit. Elle regroupe quelque 2500 membres : policiers, magistrats, procureurs.

La présence de ces derniers ne plaît pas à tout le monde : un policier lituanien de l’Eulex a ainsi été tué par balle par des inconnus le 19 septembre 2013 dans une région du nord du pays peuplé majoritairement de Serbes. Ceux-ci refusent l’autorité de Pristina. Depuis 2008, les incidents y sont récurrents avec la communauté albanophone. Le policier décédé appartenait à une unité chargée de contrôler les postes frontières entre le Kosovo et la Serbie.

Serbes brandissant leur drapeau lors d'une cérémonie pour marquer l'anniversaire de la bataille du Champ des merles en 1389. Cette bataille, une défaite serbe, avait ouvert la voie à cinq siècles de domination ottomane sur les Balkans. (AFP - Armend Nimani)

Cette affaire s’est produite à quelques semaines de la tenue d’élections municipales, le 3 novembre, dans le cadre de la mise en œuvre d’un accord de normalisation conclu le 19 avril 2013 entre le Kosovo et la Serbie sous l’égide de Bruxelles.

Un accord qualifié d’historique qui «codifie le rôle des Serbes». Dans ce cadre, le Kosovo a accepté d'accorder une autonomie limitée à sa minorité serbe, autonomie dont le contour reste assez flou. En échange, la Serbie, qui ne reconnaît pas officiellement l'indépendance de son ancienne province, s'est engagée à ne plus soutenir les 50.000 Serbes du nord.
 
Pour autant, la tension demeure. Les chefs de gouvernement des deux pays ont ainsi dû se rencontrer le 7 octobre 2013 pour régler un différend sur l’accès au Kosovo des dirigeants serbes. Le Premier ministre de Belgrade, Ivica Dacic, avait menacé de remettre en cause le processus né de l’accord d’avril. Motif : le rejet par les autorités kosovares de sa demande de se rendre dans une ville du sud du Kosovo où les Serbes sont majoritaires.

Un compromis a finalement été trouvé. Mais il ne fait que refléter la complexité de la situation…

«Crime organisé»
Une situation d’autant plus complexe avec les accusations qui touchent… le Premier ministre kosovar, Hashim Taçhi. Selon un rapport du Conseil de l’Europe, publié en 2010, celui-ci a protégé des réseaux se livrant à des trafics d’organes et de drogue. Les organes auraient été prélevés en Albanie sur des prisonniers détenus par les indépendantistes kosovars à la fin des années 90.

Problème : ce document, jugé «diffamatoire» par les autorités du Kosovo, n’est pas le seul… Selon des éléments secrets de la KFOR publiés par le Guardian de Londres, Hasim Thaçi serait un «‘‘gros poisson’’ du crime organisé» dans son pays, aux côtés d’un haut responsable qui entretient des liens avec la mafia albanaise. Ce dernier, qui aurait été chargé de la logistique au sein de l’UCK, se serait tourné vers le crime organisé «à grande échelle». Dont la prostitution, le trafic d’armes et de drogues. Ces éléments sont «basés sur des on-dit et de fausses informations serbes», a commenté le porte-parole du gouvernement kosovar.
 
Une chose est sûre : l’Eulex, qui a notamment pour mandat de travailler sur des dossiers jugés trop lourds pour la justice locale, a fait condamner en avril cinq médecins kosovars à des peines allant jusqu’à huit ans de prison pour trafic d’organes. Plus de 30 prélèvements de reins et de transplantations avaient été faits illégalement dans une clinique fermée depuis, selon le jugement. Les donneurs, qui étaient recrutés dans des pays pauvres d'Europe et d'Asie centrale, se voyaient promettre une somme de 15.000 euros pour leurs organes. Les receveurs payaient jusqu'à 100.000 euros pour les greffes.
 
Une nouvelle enquête a été lancée au printemps. Huit personnes sont mises en cause. Parmi elles : un ex-ministre de la Santé et un conseiller du Premier ministre pour la Santé. 

Le Premier ministre kosovar, Hashim Taçhi, le 2 avril 2013 à Bruxelles. (Reuters - François Lenoir)

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