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Le film «Les innocentes» évoque les viols soviétiques en Pologne en 1945

«Les innocentes» raconte l’histoire vraie d’un médecin français, Madeleine Pauliac, qui a secouru en Pologne des religieuses catholiques violées par des militaires soviétiques. La réalisatrice Anne Fontaine s’est inspirée directement de son récit. Lequel évoque une réalité historique occultée: les viols de masse commis par l’Armée rouge en Europe et en Pologne lors de l'assaut contre l'Allemagne.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Extrait de l'affiche du film «Les innocentes» d'Anne Fontaine (2016), avec Lou de Laâge, Vincent Macaigne, Agata Kulesza. (AFP - MANDARIN FILM / AEROPLAN FILM / / COLLECTION CHRISTOPHEL)

Les faits décrits par Madeleine Pauliac se passent en 1945 au moment de la fin de la guerre. Madeleine Pauliac, 32 ans, est médecin et lieutenant au sein des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Entrée dans la Résistance à 27 ans, elle a pris part à la Libération de Paris, et à la campagne des Vosges et d’Alsace.
 
En avril 1945, l’officier est nommée médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie, et chargée de la mission de rapatriement de la Croix-Rouge française. Objectif : rechercher, soigner et rapatrier les Français restés en Pologne. La capitale du pays, Varsovie, a été systématiquement détruite par les sapeurs allemands à la suite de l’insurrection de la population contre l’occupant (août-octobre 1944). Une période pendant laquelle l’armée soviétique attendait, sur l’autre rive de la Vistule, la fin de la répression nazie pour attaquer. 

Varsovie, capitale de la Pologne, en 1945, après sa destruction par les Allemands (AFP - ANN RONAN PICTURE LIBRARY / PHOTO12)

«Cacophonie»
Dans la ville ravagée au milieu de l’Europe où des millions de personnes sont déplacées, «c’est la cacophonie», rapporte L’Obs. La population est totalement démunie. Placés sous l’autorité du général Georges Catroux, ambassadeur de France à Moscou, les membres de la Croix-Rouge française présents sur place sont ravitaillés par la VIIe armée américaine. Tout en étant dépendants du bon vouloir de l’administration soviétique, puissance libératrice. Mais désormais occupante.
 
Madeleine Pauliac est assistée par onze ambulancières. Surnom de ce groupe de femmes qui se dépensent sans compter : l’«escadron bleu». Ses membres interviennent «emmitouflées dans des blousons d’aviateur, des pantalons de grosse serge (laine, NDLR), moufles aux mains et godillots aux pieds» (L’Obs). Certains de leurs rapports «mentionnent qu’elles ont visité au total plus de 200 camps, dont de nombreux camps de concentration, et parcouru pas moins de 40.000 kilomètres», observe aujourd’hui le neveu de la femme médecin, Philippe Maynial.

Jour et nuit, elles circulent dans toute la Pologne mais aussi, parfois, en URSS. Et elles sont prêtes à faire des centaines de kilomètres pour récupérer une seule personne. A plusieurs reprises, elles échapperont de peu «aux tentatives de viol de soldats russes imbibés de vodka» (L’Obs).

Au cours d’un déplacement à Gdansk (l’ex-Danzig, port de la Baltique), Madeleine est contactée par une religieuse. Celle-ci l’emmène dans un couvent où vivent une quarantaine de sœurs. Celles-ci ont été violées une première fois par les Allemands au début de la guerre.

L'actrice Eliza Rycembel dans le film «Les Innocentes» d'Anne Fontaine (AFP - MANDARIN FILM / AEROPLAN FILM / / COLLECTION CHRISTOPHEL)
 
Les sévices reprennent lors de l’arrivée de l’Armée rouge. Pendant cette période, selon les décomptes de la femme médecin cités par le dossier de presse du film, 25 des religieuses ont été à nouveau violées. Certaines 40 fois de suite ! 20 ont été tuées, et cinq se sont retrouvées enceintes.

Aucun chiffre fiable sur les viols
Cette affaire n’est apparemment qu’une petite partie émergée d’un gros iceberg. Un iceberg visiblement encore tabou, et qui été très peu étudiée par les historiens. Il est donc impossible de trouver le moindre chiffre fiable concernant ces faits. A titre d’exemple, on estime que rien que pour l’Allemagne, deux millions de femmes auraient été violées par les militaires russes. Et 10.000 en seraient mortes. On peut donc parler de viols de masse.

Leurs auteurs «n’avaient pas le sentiment d’accomplir des actes répréhensibles: ils y étaient autorisés par leurs supérieurs en récompense de leurs efforts», affirme le dossier de presse. Ils avaient en effet accompli des efforts surhumains depuis Stalingrad (septembre 1942-février 1943) pour faire reculer l’armée allemande (dont les soldats n’étaient pas des enfants de chœur en matière de cruauté et de sévices…). Rappelons que, globalement, les pertes militaires soviétiques pendant la Seconde guerre mondiale, sont estimées à 13,6 millions de personnes.
 
Une chose est sûre aujourd’hui : «Les autorités russes n’ont jamais reconnu (de tels) viols de masse», constate le site de l’agence russe sputniknews. Le dossier est d’une extrême sensibilité, comme le montre l’installation par un étudiant, en 2013 à Gdansk, d’une statue choc représentant une femme enceinte violée par un militaire soviétique. Titre de la statue : «Komm, Frau !» (de l’allemand «Viens (ici), femme !»). Son auteur disait vouloir montrer les horreurs de la guerre.

Photo de la sculpture de Jerzy Bohdan Szumczyk montrant un soldat soviétique en train de violer une femme enceinte.  (AFP - JERZY BOHDAN SZUMCZYK)

La statue avait été placée illégalement près d’un monument dédié à l’Armée rouge. L’affaire a provoqué la colère de Moscou. «Je suis profondément choqué par cette incartade de l’étudiant des Beaux-Arts de Gdansk qui a insulté avec son pseudo-art la mémoire de plus de 600.000 soldats soviétiques, morts pour la liberté et l’indépendance de la Pologne», a commenté l’ambassadeur de Russie à Varsovie cité par France 24. L’objet a finalement été déplacé. Et son auteur interrogé par la police polonaise.

Il s’agit d’une affaire de plus dans la délicate relation de mémoire qu’entretiennent Pologne et Russie à propos de la Seconde guerre mondiale. Rappelons que Moscou n’a reconnu officiellement qu’en 2010 le massacre par les staliniens de plusieurs milliers d’officiers polonais près du village de Katyn en 1940. Une reconnaissance qui n’est, apparemment, pas du goût de tout le monde du côté du Kremlin: en juin 2013, des députés avaient déposé un projet de loi pour imposer des amendes et une peine de cinq ans de prison à ceux qui critiqueraient les actions de l’Armée rouge pendant la Seconde guerre mondiale. Le projet n’a pour l’instant pas abouti.

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