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La Catalogne teste sa volonté d'indépendance

Les Catalans élisent les députés de leur Parlement régional, dimanche, dans un scrutin aux allures de référendum sur l'indépendance.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Manifestation pour l'indépendance de la Catalogne (Espagne), à Barcelone, le 11 septembre 2012. (LLUIS GENE / AFP)

ESPAGNE - Les Catalans ne se contentent pas d'élire leurs députés, dimanche 25 novembre, au Parlement régional. Ce scrutin législatif anticipé est l'occasion pour la région autonome du nord-est de l'Espagne de faire un pas vers l'indépendance. Le président de Catalogne, Artur Mas, a promis, si son parti remporte la victoire, d'organiser un référendum d'autodétermination, ce que la constitution espagnole interdit. Un véritable défi lancé à Madrid, en pleine crise économique.

Pourquoi organiser des législatives anticipées ?

Arrivé à la tête de la région en 2010, Artur Mas avait promis de négocier avec Madrid un "pacte fiscal" qui permettrait à la Catalogne de récolter elle-même ses impôts. Cette autonomie fiscale, dont bénéficient déjà le Pays basque et la Navarre, devait aussi lui permettre de réduire sa contribution à l'Etat. La Catalogne s'estime en effet lésée par le système actuel et assure perdre 16 milliards d'euros par an, soit 8% de son PIB, ce que conteste Madrid.

Mais le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a rejeté ce pacte fiscal le 20 septembre. En réponse, Artur Mas a choisi de dissoudre le Parlement régional pour organiser en avance de nouvelles élections, celles de dimanche. La majorité relative est presque assurée à la coalition "nationaliste modérée" Convergència i Unió (CiU). Mais la majorité absolue (68 sièges) permettrait à CiU de justifier le référendum d'autodétermination que le président a promis.

La Catalogne élit son Parlement et vise l'indépendance (Sarah Bernuchon - France 2)

Comment expliquer cette envie d'indépendance ?

Artur Mas n'a pas encore employé le mot "indépendance", mais prétend doter la Catalogne d'"un État en propre". C'est pourtant bien aux cris de "In - inde - independencia" que des centaines de milliers de Catalans ont défilé dans les rues de Barcelone, le 11 septembre. "Car l'indépendance, assure Raquel Navarro Gijon, étudiante en sciences politiques, est la seule façon de changer les choses." D'autres évoquent des "frustrations" et un "sentiment d'humiliation" nourri notamment par le refus du Tribunal constitutionnel espagnol, en juin 2010, de reconnaître la "nation catalane".

Sur ce terreau identitaire sensible, la crise économique s'est installée. Dans cette région qui compte 7,5 millions d'habitants et "concentre 19% du PIB national et plus de 30% des exportations", selon Challenges, le taux de chômage est de 22,5%. Et la dette de la région a explosé pour atteindre 22% du PIB, soit 44 milliards d'euros. Cependant, la région la plus endettée du pays reste la plus riche.

Les Catalans se sentent "maltraités", économiquement, par l'Etat central. Ils dénoncent des problèmes d'infrastructures, que relèvent même les observateurs neutres."Est-il normal que le couloir méditerranéen entre Algésiras [dans l'extrême sud de l'Espagne] et la frontière française, qui représente 60% du PIB espagnol, ne soit toujours pas équipé d'un TGV ?" s'interroge Philippe Saman, directeur de la Chambre de commerce et d'industrie française de Barcelone, dans Les Echos (sur abonnement).

Que se passera-t-il après l'élection ?

Il ne suffit pas aux Catalans de donner la majorité absolue à Artur Mas et sa CiU pour devenir indépendants. Le processus est long et complexe. Pour commencer, les régions n'ont pas le droit d'organiser de référendum sans l'autorisation de Madrid. Pour l'Etat, "accepter le référendum (...) reviendrait à accepter ce qui est au cœur du débat qui nous oppose depuis plusieurs années à l’Espagne : la reconnaissance d’un peuple catalan distinct de la souveraineté espagnole et en droit de décider de son avenir", analyse El Periódico de Catalunya.

Le président de la Catalogne, Artur Mas (deuxième en partant de la gauche), sous un drapeau catalan pendant un meeting de campagne pour les législatives du Parlement régional, le 18 novembre 2012, à Barcelone (Espagne). (QUIQUE GARCIA / AFP)

Un référendum d'autodétermination nécessiterait en plus une réforme constitutionnelle et l'accord des deux grands partis nationaux, le Parti populaire et le Parti socialiste, ce qui "prendrait au minimum deux ans", explique Fernando Vallespin, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Madrid, dans La Croix (sur abonnement).

Joaquim Molins, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Madrid interrogé par l'AFP, estime qu'Artur Mas n'ira pas jusqu'au bout : "Ce qui paraît logique, c'est que des négociations vont avoir lieu sur le pacte fiscal".

La Catalogne a-t-elle les moyens d'être indépendante ?

A entendre Artur Mas, la Catalogne, si elle devenait un Etat indépendant, serait "le septième de l'Union européenne" en terme de richesse, avec un PIB par habitant de 27 430 euros en 2011. "Concernant notre capacité à exporter, à importer, à ouvrir notre économie à l'international, nous serions en neuvième ou dixième position sur 27", affirme-t-il.

Josep Oliver, professeur d'économie à l'Université autonome de Barcelone prévient toutefois, dans Les Echos (sur abonnement), que la Catalogne indépendante "serait exactement dans la même situation [que l'Espagne] : un pays surendetté luttant pour refinancer sa dette sur les marchés !" D'ailleurs, tout en lançant la région vers la souveraineté nationale, Artur Mas s’est vu obligé de demander un prêt de 5 milliards d’euros à Mariano Rajoy, en août, pour régler ses factures.

Sans oublier que la moitié du commerce de la région a lieu avec l'Espagne. Un différend risquerait de réduire considérablement les débouchés des entreprises locales, qui supporteraient mal de devoir se passer d'un marché de quelque 39 millions d'Espagnols. Des chefs d'entreprises catalans ont d'ores et déjà annoncé leur opposition au projet d'indépendance et menacé de déménager leurs activités, rapporte Le Monde.

L'Espagne peut-elle se permettre de perdre la région ?

L'Espagne en crise peut difficilement se passer de l'un de ses moteurs, la Catalogne étant la région la plus riche du pays. "Cela revient à amputer l'Espagne d'un bras et d'une jambe", résume Josep Oliver, dans Les Echos.

La Catalogne "représente 20% du PIB, 16% de la population, 30% des exportations, 23% de l'industrie, 25% du tourisme et 40% de la recherche de haut niveau. Sans la Catalogne, l'Espagne doit réaliser un très fort ajustement de son économie pour ne pas être insolvable", juge Antoni Castells, économiste et ancien ministre régional de l'Economie, dans le même quotidien économique.

Qu'en dit l'Union européenne ?

"Davantage de Catalogne et davantage d’Europe, voilà notre slogan”, a déclaré Artur Mas à la presse lors d'une visite à Bruxelles, rapporte El Pais. La Commission européenne est pourtant formelle. Son président, José Manuel Barroso, assure que la Catalogne indépendante serait exclue de l'Union et, Viviane Reding, sa vice-présidente, a écrit au gouvernement catalan que "l'UE ne [pourrait] pas reconnaître une indépendance unilatérale".

Des manifestants indépendantistes défilent devant le Parlement catalan, à Barcelone (Espagne), le 27 septembre 2012. (QUIQUE GARCIA / AFP)

Le traité de Lisbonne est très clair : tout candidat à l'entrée dans l'UE est soumis à de longues négociations et à l'accord de tous les Etats membres… donc de l'Espagne. Mais les indépendantistes veulent croire à la souplesse des institutions. "Ça va être très difficile de jeter d'Europe 7,5 millions de citoyens européens en s'en tenant simplement à la lettre des traités, d'autant que nous sommes une zone économique stratégique pour l'UE", estime Oriol Pujol, numéro trois de CiU.

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