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Hongrie : une statue du régent Horthy fait ressurgir le passé nazi

L’inauguration à Budapest d’une statue de l’amiral Miklos Horthy, qui dirigea la Hongrie de 1920 à 1944 et fut l’allié des nazis, a provoqué des manifestations le 3 novembre 2013. Une preuve parmi d’autres que les fantômes du passé hantent toujours la mémoire collective hongroise…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Image de propagande nazie montrant Hitler (au milieu) à Hambourg avec (à gauche) le régent hongrois Miklos Horthy, à l'occasion d'une visite d'Etat de ce dernier en Allemagne en mars 1939. (AFP - DPA - Berliner Verlag/Archiv)

Plusieurs centaines de manifestants d’extrême droite et de contre-manifestants anti-nazis se sont rassemblés devant une église de Budapest où a été dévoilée la statue. Quelque 500 manifestants portant des étoiles jaunes, en signe de protestation contre les persécutions subies par les juifs, ont scandé «bande de nazis» à l'adresse des centaines de partisans de Miklos Horthy rassemblés autour du buste. De leur côté, les nostalgiques de l'amiral scandaient «longue vie à Horthy».
 
La cérémonie d'inauguration du buste a eu lieu à l'occasion du 75e anniversaire d'un accord conclu avec l'Allemagne nazie, qui a permis à la Hongrie de récupérer des territoires perdus en vertu du traité de Trianon de 1920. Elle a été notamment organisée par le parti d’extrême droite Jobbik, troisième formation parlementaire du pays. Un mouvement dont l’un des dirigeants, Marton Gyongosi, demandait en 2012 l’établissement d’une liste de citoyens d’ascendance juive avant de revenir sur ses propos…
 
Un précurseur des lois ansémites
Au-delà, reste à savoir exactement qui était Miklos Horthy (1858-1957). En 1920, il est élu régent du royaume de Hongrie, fonction qu’il exercera jusqu’en 1944. Il institue alors un régime autoritaire et conservateur.
 
Dès 1920, il édicte l’une des premières lois antisémites d’Europe : l’instauration d’un numerus clausus dans les universités. Par la suite, on estimera que plus de 60.000 Hongrois juifs «moururent ou furent assassinés» avant l’occupation directe du pays par les nazis en 1944.
 
Dans les années 30, l’amiral rapproche la Hongrie de l’Allemagne. Un rapprochement qui permet à Budapest de récupérer une partie des territoires perdus. En échange, le gouvernement magyar promulgue en 1938 une première loi antijuive. Deux autres suivent en 1939 et 1941. Et il engage des soldats hongrois aux côtés de la Wehrmacht sur le front soviétique, notamment à Stalingrad (1942-1943).
 

Juifs de Budapest portant l'étoile jaune, juste après la libération de la ville, le 13-2-1945. (AFP - Ria Novosti)

En mars 1944, les troupes allemandes envahissent la Hongrie. L’administration hongroise organise les persécutions contre les juifs : leurs biens sont saisis, ils sont regroupés dans des ghettos. Et entre le 15 mai et le 8 juillet, 435.000 d’entre eux, soit la moitié de la communauté juive de Hongrie, sont déportés, notamment sous l’égide d’Eichmann.
 
Mais avec la dégradation de la situation militaire pour le camp nazi et les lourdes pertes du contingent hongrois à Stalingrad, Horthy cherche à se rapprocher des Occidentaux et à négocier un armistice séparé. L’amiral, qui craint un procès pour crimes de guerre, ordonne l’arrêt des déportations.
 
Les Allemands le font renverser et arrêter. Ils mettent en place un nouveau gouvernement dirigé par Ferenc Szalasi, chef du parti ouvertement nazi des Croix fléchées. Les persécutions antisémites reprennent. Aujourd’hui, les historiens estiment que plus de 500.000 juifs hongrois sont morts dans l'Holocauste.

Quant à Horthy, il s’exile au Portugal, gouverné par la dictature d’extrême droite de Salazar, «où il finit paisiblement ses jours en 1957».

Réhabilitation
L’affaire de la statue de Budapest s’inscrit dans un mouvement de réhabilitation du personnage, entrepris depuis la chute du communisme en 1989. Notamment pour des raisons idéologiques. Jobbik revendique ainsi ouvertement sa filiation. De son côté, «une partie de la droite considère sincèrement Horthy comme une figure historique respectable et le dédouane de ses responsabilités, rappelant la pression exercée sous son mandat par l’Allemagne nazie», souligne Slate.
 
Ainsi en 1993, des membres du gouvernement de centre-droit, qui avait assuré la transition lors de la chute du régime stalinien, avaient ainsi participé au ré-enterrement de Miklos Horthy. L’Eglise réformée (protestante) défend elle aussi publiquement son souvenir. Selon une plaque apposée au Collège réformé (université) de Debrecen, seconde ville du pays, le régent aurait «combattu avec la même énergie communisme et nazisme».

En avril 2012, la municipalité de Gyömrö, près de l’aéroport de la capitale, a ainsi rebaptisé «place Horthy» la place de la Liberté… Tandis qu’une fête était organisée à Budapest pour récolter des fonds pour une statue équestre de l’amiral, patronnée par des membres du parti Fidesz (droite) du Premier ministre, Viktor Orban.
 
Un pasteur protestant d'extrême droite, Lorand Hegedus, dévoile une statue de Miklos Horthy à Budapest le 3 novembre 2013. (Reuters - Laszlo Balogh)

Son gouvernement est parfois accusé de cautionner cette réhabilitation de manière tacite. Les autorités ont ainsi inscrit dans les programmes scolaires les ouvrages d’écrivains d’extrême droite comme Joseph Nyirö. «Antisémite convaincu», ce dernier ne tarissait pas d’éloges sur Goebbels, responsable de la redoutable propagande hitlérienne. 
 
Au-delà, cette réhabilitation progressive de l’amiral semble montrer les difficultés éprouvées par la Hongrie post-communiste pour affronter son passé récent, notamment les heures sombres de 1920 à 1945. Et plus particulièrement le massacre de ses ressortissants juifs. Résultat : Horthy peut ainsi être à la fois présenté par Jobbik comme le plus grand homme politique hongrois du XXe. Ou par les milieux de gauche comme «un criminel de guerre, directement responsable du meurtre» des juifs, l’auteur d’une répression anti-communiste qui a fait «des victimes hongroises et non hongroises».

« L’Holocauste, notre plus grand traumatisme national»
Il semblerait pourtant que la vérité historique commence à faire enfin son chemin au plus haut sommet de l’Etat. «L’Holocauste en Hongrie a été commis par des Hongrois contre des Hongrois, les auteurs et leurs victimes étaient tous deux Hongrois. Et croyez-moi, c'est notre plus grand traumatisme national, nous devons vivre avec, nous devons y faire face», a ainsi déclaré le ministre des Affaires étrangères, Janos Martonyi, le 2 octobre 2013. Des propos qui rappellent le discours historique du président Jacques Chirac sur la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs français.

Le ministre hongrois des Affaires étrangères parle de l'Holocauste

Discours de Lanos Martonyi à Budapest à l'occasion d'une conférence internationale sur l'antisémitisme; 3-10-2013

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