Cet article date de plus de dix ans.

Demba Sonko est mort : un invisible disparaît

Alors que son corps s'envole vers le continent africain, la presse bruisse de débats nauséabonds où il est question de banane, de singe... Retour sur M.Demba Sonko et les exilés involontaires, ex-tirailleurs sénégalais du «foyer» de Bondy (93).
Article rédigé par Hervé Pozzo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
Papa Demba Sonko est mort, un ex-tirailleur sénégalais s'en va. (Papa Demba Sonko est mort, un ex-tirailleur sénégalais s'en va)

Vous ne le connaissez pas et, à moins d'avoir «fait l'Indo»  ou la guerre d'Algérie, à moins de vous être rendu, un jour, au marché de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, vous n'avez quasiment aucune chance de l'avoir rencontré.
Invisible : Demba Sonko était l'un de ces invisibles qui peuplent notre pays. Et M.Sonko est mort. A 76 ans.

Dans les années 50, comme beaucoup d'autres, il s'engage dans l'armée française. Il servira quinze ans son pays jusqu'à l'indépendance du Sénégal, qui devient sa nouvelle patrie. Le 13e régiment de tirailleurs sénégalais est de tous les combats en cette période de décolonisation. Le «13e RTS» était composé d'hommes aujourd'hui invisibles. Invisibles ou morts, depuis longtemps. Beaucoup souffrent encore de blessures de guerre. 

Depuis 2007, une partie d'entre eux sont revenus en France pour pouvoir toucher des prestations sociales et leurs pensions militaires (dont les montants ont été corrigés à cette époque, afin qu'ils rejoignent les pensions des soldats français). Une grande partie de cette manne part «au pays». Il ne reste quasiment rien à M.Sonko pour vivre en France.  

Tous sont devenus orphelins
Ils sont 80 ex-tirailleurs sénégalais à s'être installés dans l'ex-foyer Sonacotra (aujourd'hui «résidence Adoma») de Bondy. Demba Soko était leur «délégué», élu pour deux ans. Le 31 octobre, ils sont  tous devenus orphelins.

A l'accueil du bâtiment B, Mme Hakima Talouanou ne s'y fait toujours pas. A chaque mot, une larme coule. Elle était l'interlocutrice de M.Sonko quand sa petite communauté avait quelques doléances. «C'était très rare, et M.Sonko ne se plaignait jamais.»
Au foyer, la vie est simple : rester six mois par an dans une minuscule chambre pour travailleurs célibataires, ne se nourrir que de temps à autre, écouter les moqueries des jeunes, n'avoir aucun contact avec les Français, ceux qu'il servait autrefois, supporter  l'exil...

Mme Toualanou n'était pas que la représentante de l'entreprise qui gère le lieu. Quand Papa Demba, comme on l'appelait ici, entrait dans son bureau, c'était une parenthèse qui s'ouvrait. Pour l'un comme pour l'autre.

Les souvenirs du Sénégal, les petits mots du vieux monsieur... Demba vit encore, ici
«Il voulait être enterré à côté de sa femme, partie il y a peu. Il me disait : "Tu ne peux pas savoir comme on a été heureux."» 
Depuis quelque temps, la santé de M. Sonko déclinait. «Il parlait si doucement, prenait toujours mille précautions...»


Il souhaitait mourir français
Grâce au reportage paru dans Géopolis sur la situation des ex-tirailleurs sénégalais à Bondy, il était persuadé d'avoir fait quelque chose de bien, pour ses amis, pour lui.
Il voulait qu'on les connaisse, qu'on les reconnaisse : sortir de l'invisibilité, remuer quelques consciences, perpétuer une mémoire. 

Tous, ils avaient été conviés à une visite de l'Assemblée nationale. Un grand moment.

Il était né français, il souhaitait mourir français. Il n'en aura pas eu le temps.
Il est parti le 31 octobre, dans la nuit, chambre 246, 2e étage, bâtiment B, entouré de quelques anciens combattants. «Ils se sont exilés une première fois, à 20 ans, sont revenus, sont repartis, à 70 ans, pour vivre ici. Ils ont servi la France, donné leurs maigres pensions à leurs familles restées au pays» et puis... Et puis, après deux mois d'hospitalisation et quelques jours au «foyer Sonacotra», il a confié qu'il sentait sa fin proche.


Il est parti sans bruit
Avec quelques-uns, avec son vieil ami Alioune Mbodji, ce soir-là, il a un peu parlé, s'est couché, a «demandé à ce qu'on ajuste sa couverture...» Hakima se tait, surmonte sa peine... «et il est parti calmement, tranquillement, comme il était, comme ils le sont tous.» Elle est allée le voir, avant qu'il ne parte, une dernière fois, vers le Sénégal. «Ses traits étaient reposés. Une sorte de délivrance

A Bondy, personne ne lui parlait, personne ne le saluait. Même destin pour les autres invisibles du «foyer» avec à la clé un dernier voyage dans un cercueil. Une vie à servir les uns, les autres, et une fin de vie dans quelques mètres carrés d'infortune. 

Alors que son corps s'envole pour un ultime voyage, la France bruisse de débats  où il est question de peau noire, de banane, de singe...
A la tristesse s'ajoute... la honte. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.