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"Projet Daphne" : AccorHotels a lancé deux hôtels à Dubaï avec le soutien des dirigeants de la dictature d'Azerbaïdjan

L’enquête sur la corruption à Malte de 18 médias internationaux de l’organisation Forbidden Stories révèle les liens entre deux hôtels du groupe AccorHotels et deux puissantes familles d’Azerbaïdjan, via une banque maltaise soupçonnée de faciliter le blanchiment de fonds.

Article rédigé par Sylvain Tronchet - Cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le Sofitel Dubai The Palm Resort & Spa, sur l'île artificielle de Jumeirah.  (DR)

C’est une nouvelle découverte de Forbidden Stories, le collectif international de journalistes réunis dans le "Projet Daphne" : pour construire et gérer deux de ses hôtels à Dubaï, le groupe AccorHotels s’est appuyé sur des sociétés appartenant à deux des familles les plus puissantes de la dictature d’Azerbaïdjan, Aliyev et Heydarov. Les sociétés écran utilisées avaient ouvert des comptes dans une banque maltaise soupçonnée de faciliter le blanchiment de fonds.

Ces informations ont été obtenues en explorant les comptes de la Pilatus Bank, un établissement bancaire installé à Malte dont le créateur, Ali Sadr, est actuellement emprisonné aux États-Unis, soupçonné d’avoir tenté de contourner l’embargo sur l’Iran (article en anglais). La banque créée par Ali Sadr héberge notamment des comptes de proches du Premier ministre maltais, Joseph Muscat, qui était présent au mariage du banquier à Venise en 2015 (article en anglais).

Les deux filles du président azerbaïdjanais 

Des informations obtenues à Dubaï par l'Organized crime and corruption reporting project (OCCRP), partenaire du "Projet Daphne", et à Malte montrent que deux hôtels du groupe AccorHotels ont été construits ou sont gérés en collaboration avec des sociétés dont les bénéficiaires réelles sont Leyla et Arzu Aliyeva, les filles du président d'Azerbaïdjan Ilham Aliyev.

Arzu et Leyla Aliyeva, filles du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, ici à Londres en 2011.  (EAMONN MCCORMACK/WIREIMAGE VIA GETTY IMAGES)

Le premier hôtel est le Sofitel Dubai The Palm. Construit en 2012, ce cinq étoiles, fleuron du groupe est situé sur Palm Jumeirah, un atoll artificiel de 5 kilomètres de diamètre (visible de l’espace) prisé des milliardaires. Le terrain sur lequel il a été construit appartient à la société Sahra FZCO, contrôlée successivement par les frères Nijat et Tale Heydarov, fils du ministre des situations d’urgence d’Azerbaïdjan, puis les filles Aliyeva. Sa construction a été pilotée par l'entreprise Mirk dont le PDG, l'Iranien Behzad Ahadpour Khanghah, a servi de prête-nom aux deux familles, selon des documents publiés par Wikileaks.

Le second hôtel est le Mercure Dubai Barsha Heights. Ce cinq étoiles du centre de Dubaï, entièrement rénové en début d’année, est franchisé à une société appartenant à Sahra FZCO, propriété elle aussi des filles Aliyeva.

Selon plusieurs sources, un compte ouvert à la Pilatus Bank était destiné à recueillir les profits liés au Sofitel Dubai The Palm, ainsi que des autres investissements immobiliers de la famille Aliyev sur place, estimés à plus de 100 millions d’euros. Les différents médias partenaires du "Projet Daphne" ont mis au jour des dizaines d’actifs appartenant aux familles Aliyev et Haydarov dans l’ensemble de l’Europe, notamment une villa d’une valeur de 3,7 millions d’euros à Marbella (Espagne), ou encore des investissements dans trois entreprises françaises.

Au sein de la Pilatus Bank, le consortium international de journalistes a découvert une vingtaine de comptes reliés à des sociétés appartenant à la famille du président Ilham Aliyev, qui dirige d’une main de fer Azerbaïdjan depuis 14 ans, et à celle de son ministre des situations d’urgences, Kamaladdin Heydarov. Tous les deux sont également à la tête de multiples sociétés constituant un empire industriel et financier dans un pays régulièrement montré du doigt pour des pratiques de corruption et de privation de richesses. Le régime azerbaïdjanais est connu via "la diplomatie du caviar" (Le Monde, article payant) pour approcher certains élus européens et acheter leur amitié en échange de lobbying en faveur du régime d’Asie centrale. Les révélations du "Projet Daphne" montrent que cette stratégie peut aussi concerner un grand groupe du CAC 40.

La réponse du groupe AccorHotels

AccorHotels connaissait-il les propriétaires réels de ces sociétés ? Collaborer avec de tels partenaires est-il conforme à la charte éthique du groupe qui y affirme "sa volonté de placer l’homme, le collaborateur, l’environnement et l’intégrité au centre de ses préoccupations" en faisant sien "les principes de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948" ? Le numéro 1 français de l’hôtellerie n’a pas souhaité confirmer ni infirmer nos révélations se réfugiant derrière le secret commercial : "Les informations concernant les propriétaires (...) ne peuvent être dévoilées sans leur accord", a répondu le groupe dans un bref communiqué. AccorHotels affirme mettre "en œuvre des mesures de vigilance accrue sur les flux financiers qui pourraient avoir une origine ou une destination délictueuse".

Les avocats britanniques des frères Heydarov ont de leur côté affirmé qu’ils possédaient effectivement un certain nombre de sociétés dont nous leur avions soumis le nom (sans préciser lesquelles) tout en contestant être impliqués dans des opérations de blanchiment.

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