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Botox, caviar et corruption : bienvenue en Azerbaïdjan pour les premiers Jeux européens !

Les premiers Jeux européens ont débuté samedi à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan. Si vous vous y rendez pour supporter les sportifs tricolores, voilà ce que vous ne lirez pas dans les guides touristiques.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Un feu  d'artifice lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux européens de Bakou, le 12 juin 2015, en Azerbaïdjan. (STOYAN NENOV / REUTERS / X01507)

Une cérémonie d'ouverture digne des Jeux olympiques. Les premiers Jeux européens de l'histoire ont débuté samedi 13 juin à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan. La compétition doit durer jusqu'au 28 juin, et va rassembler au total quelque 6 000 athlètes européens, dans vingt sports différents. 

Mais qu'est ce qui a attiré les Jeux européens en Azerbaïdjan, un pays aux confins de l'Europe, de l'Asie et du Moyen-Orient ? Sans doute pas les volcans de boue, principale curiosité touristique du pays. Probablement pas les soucis du RC Lens, dont l'actionnaire principal azerbaïdjanais a lâché en rase campagne le club. Peut-être un peu plus l'or noir, et les montagnes d'argent qu'il génère, surtout pour le clan au pouvoir. Un clan au sommet duquel règne Ilham Aliev, le tout-puissant président du pays. Un personnage haut en couleur, qui fait tout pour que le monde entier aime son pays.

Cachez cette dictature à moustache que je ne saurais voir

"Tout le monde a l'air heureux dans ce pays !" Pour Bernie Ecclestone, le grand argentier de la Formule 1 qui vient de décider de la tenue d'un Grand Prix en Azerbaïdjan, les rapports accablants de Human Rights Watch ou d'Amnesty International, qui décrivent le pays comme une prison à ciel ouvert pour journalistes et opposants, exagèrent. Il n'est pas le seul. Sponsorisée par le pays, l'UEFA a choisi Bakou comme l'une des villes-hôtes de l'Euro 2020, et a tenu congrès dans le pays. Même indulgence chez le président du comité olympique français, Denis Masseglia, dans Le Monde : "Je n'ai pas eu ce sentiment de répression, il n'y a pas de policiers à tous les coins des rues".

Et pour cause. Depuis quelque temps, l'Azerbaïdjan cherche à gommer son image de paradis pour dictateur à moustache. Avant cette prise de conscience, le pays faisait la course avec le Tadjikistan et l'Arabie Saoudite pour décrocher le record du plus grand mât de drapeau du monde (c'est l'Arabie Saoudite qui a gagné, avec 171 mètres de haut, neuf mètres de plus que la tentative azerbaïdjanaise !). Tout change en 2011, quand le pays remporte l'Eurovision avec la chanson Running Scared (une chanson d'amour assez classique, rien à voir avec l'oppression des opposants). 

L'année suivante, le pays se met en quatre pour organiser le grand raout de la chanson européenne. Les entreprises appartenant au président, Ilham Aliev, construisent le majestueux auditorium – et même un de secours, en cas de problème technique. Le comité d'organisation est présidé par Mehriban Aliev, la Première dame. Sur l'affiche officielle de l'événement, l'une des filles du président prend la pose. Et pour le rôle de Monsieur Loyal, c'est le gendre présidentiel qui est au micro. Une affaire de famille, on vous dit. 

Le pays entier appartient au clan d'Aliev. Les quartiers de la capitale, Bakou, sont gérés par les familles en fonction de leur importance. C'est donc le président en personne qui gère le front de mer, et exproprie les habitants pour construire des complexes désignés par des architectes qui lui valent des prix dans la presse spécialisée, relève le magazine Afrique-Asie. L'unique compagnie de téléphone autorisée appartient aussi au président. Mais, petite ombre au tableau, une enquête menée par l'unique journaliste d'investigation du pays a révélé qu'elle était basée dans des paradis fiscaux pour échapper aux impôts, et enregistrée au nom du fils Aliev, 11 ans à l'époque. Pas sûr que cette autre information soit répandue dans le pays : le président Aliev a interdit la BBC et Radio Free Europe, et a poussé à la faillite les journaux d'opposition. Ce qui ne l'empêche de répéter à chaque discours que "la liberté de la presse est totale en Azerbaïdjan"

Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, lors du forum économique mondial de Davos (Suisse), le 23 janvier 2014.  (BLOOMBERG / GETTY IMAGES)

Botox et formol comme piliers du régime

Pour asseoir son pouvoir dans le pays, le président Aliev s'appuie sur deux figures essentielles. Atout n°1 : son épouse, Mehriban Alieva, qu'il qualifie de "plus belle femme d'Azerbaïdjan". Plus populaire que son mari, elle est pressentie pour lui succéder. Foreign Policy (en anglais) la décrit plutôt comme "la Kim Kardashian du Caucase". Dans un message diplomatique dévoilé par Wikileaks en 2010, l'ambassade américaine raconte cette anecdote gênante pour Lynne Cheney, femme de Dick, alors vice-président des Etats-Unis. Moment de panique dans la délégation américaine quand trois femmes s'avancent sur le perron pour accueillir la Second Lady : "Laquelle est la mère ?" s'interroge un agent du secret service. Botoxée au point de "ne plus pouvoir avoir d'expression faciale" (le commentaire est de l'ambassade américaine !), Mehriban Alieva, la cinquantaine, peut facilement passer pour une de ses filles. L'incident diplomatique est évité de justesse quand Lynne Cheney parie que la mère, qu'il faut saluer en premier, est probablement celle du milieu.

Le portrait de l'ancien président Heydar Aliev dans la capitale azerbaïdjanaise, Bakou, le 3 janvier 2012.  (GODONG / UNIVERSAL IMAGES / GETTY IMAGES)

Atout n°2 : feu le président Heydar Aliev, père d'Ilham et père de la patrie, selon la doxa officielle. Soixante musées, un aéroport, une mosquée, un auditorium et des centaines de rues portent son nom dans tout le pays, d'après Radio Free Europe (en azéri). Ce culte de la personnalité avait commencé avant sa mort, en 2003. Deux ans auparavant, il faisait cette confidence à la BBC : "Les gens m'adorent, je n'y peux rien. Il y a peu, les représentants de la ville de Ganja ont décidé d'ériger une statue à mon effigie devant la mairie. Je les ai appelés pour leur dire que ce n'était pas nécessaire. Il a insisté, mais je lui ai dit : 'Installez cette statue après ma mort' !" A la mort d'Heydar, le sculpteur officiel de ses bustes croule sous les commandes. Pas pour le marché intérieur. Ilham entend célébrer la mémoire de son père dans le monde entier. Avec succès : dix ans plus tard, les statues du défunt président fleurissent sur tous les continents.

L'Azerbaïdjan a essaimé des statues de son dictateur jusqu'au Mexique. Lors de l'inauguration de celle de Mexico, en 2012, les plus hauts dignitaires de la ville se bousculent pour grappiller un petit four à l'ambassade d'Azerbaïdjan. La statue de l'ancien président est située sur le Paseo de la Reforma, le boulevard de la Réforme, où figurent aussi Gandhi et des héros nationaux. L'écriteau apposé en dessous décrit Heydar Aliev, ancien apparatchik du KGB qui a régné d'une main de fer sur le pays, comme "un brillant exemple de dévotion infinie à la mère-patrie, loyal aux idées universelles de la paix mondiale". Quelques mois plus tard, le Mexique se rend compte qu'Heydar Aliev était un dictateur et décide de démanteler la statue, qui rouille désormais dans un entrepôt. En représailles, l'Azerbaïdjan décide de geler 3,8 milliards d'euros d'investissements prévus au Mexique, rapporte le site spécialisé Eurasianet.

Rihanna, Rachida Dati, et la diplomatie du caviar 

L'Azerbaïdjan décuple ses efforts pour se faire de nouveaux amis sur la scène internationale. Le pays est entré directement dans le top 10 des plus gros lobbyistes à Washington. Localement, il courtise certains Etats, du Dakota du Sud au Missouri, pour qu'ils votent un texte proclamant leur amitié avec l'Azerbaïdjan, raconte BuzzFeed (en anglais).

En Europe, il pratique la diplomatie du caviar. Les parlementaires du Conseil de l'Europe, dont fait partie le pays, sont régulièrement invités à Bakou. Et ne repartent pas les mains vides. Il n'est pas question de mallettes de billets, mais de bocaux de caviar. "Un cadeau courant, c'est deux kilos", confie un habitué au Guardian. Après tout, le kilo de caviar de la mer Caspienne ne coûte qu'environ 1 400 euros.

Il faut bien cela pour un pays qui ne compte que deux amis : Vladimir Poutine... et Rachida Dati. L'actuelle maire du 7e arrondissement de Paris a vanté sur le site News.az les vertus du régime Aliev, laïque dans un pays à 94% chiite : "L'Azerbaïdjan est un exemple pour l'ensemble du monde musulman". Une pensée signée Rachida Dati, qui a aussi participé aux luxueuses soirées organisées par Mehriban Aliev dans la capitale française, autour des activités de sa fondation de mécénat.

Le couple Chirac reçoit le couple Aliev lors d'une réception à l'Elysée, le 29 janvier 2007. (CHRISTOPHE ENA / AFP POOL)

Les manières des dignitaires du régime pour attirer de nouveaux fans ne sont pas toujours aussi raffinées. Le fils du ministre des Transports, Anar Mammadov, aurait ainsi proposé quatre millions de dollars à Rihanna pour qu'elle accepte de sortir avec lui. La chanteuse américaine, en pleine répétition, a crié "non !" dans le micro. L'autre fait d'armes d'Anar Mammadov ? Après une partie de chasse, il a exigé d'un restaurateur qu'il lui serve un barbecue d'ours, raconte le quotidien indépendant Azidliq (qui a écopé d'un procès pour cet article). Et pour cela, il a signé un chèque d'un million d'euros. Ni plus, ni moins. 

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