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Avec les migrants "pleins d'espoir" qui tentent de passer en Angleterre

Depuis que l'accès aux ferries est impossible, les candidats au départ vers l'Angleterre se reportent sur le site Eurotunnel, encore plus dangereux : neuf sont morts depuis début juin. Pas de quoi les dissuader. La nuit dernière, ils étaient encore plusieurs dizaines à tenter leur chance. Mathilde Lemaire, envoyée spéciale de France Info sur place, a accompagné un de ces groupes.
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
  (Le parcours compliqué des migrants qui tentent de passer en Angleterre © REUTERS | Pascal Rossignol)

20h30 derrière un supermarché de Calais. Une vingtaine de jeunes hommes se rassemblent. Le benjamin vient d’avoir 13 ans. Sur eux, tous les vêtements qu’ils possèdent.  Certains ont un sac avec quelques chips, de l’eau. De quoi tenir ce soir. Anne, bénévole du secours catholique essaie de les dissuader de rejoindre le tunnel. En vain. "On essaie de les convaincre de ne pas risquer leur vie pour rien... Ils veulent partir, rien à faire..."

Avec les migrants qui tentent de passer en Angleterre : "On n'est pas des criminels" - Reportage Mathilde Lemaire

 

Dans le groupe qui se met en route, un  jeune homme frêle aux traits encore juvéniles, s’est improvisé un peu leader pour cette nuit. Ellias est un  étudiant en économie de 22 ans C’est sa 5e tentative :

"On est super motivés. Pleins d’espoir. Moi, j'ai plus peur de rien après tout ce qu'on a traversé. Si je meurs ici c’est que ça devait arriver. Et puis de toute façon ce soir c’est  ma dernière tentative. Grâce à ma  grande ambition, je vais réussir à passer ! L'Angleterre c’est mieux : on parle la langue et les permis de travail sont plus faciles à avoir. C’est ce qu’on se dit dans ce groupe. Vous voyez,  il y a  toutes les nationalités,  Ethiopiens Somaliens, Soudanais. On est vingt. Et peut-être que deux ou trois d’entre nous y arriveront ce soir. En petit groupe, plus facile de passer. Moins de risque de se faire arrêter qu’une personne seule".

 

Un premier obstacle à franchir pour le groupe, quatre tronçons d’autoroute à traverser à pied alors que la lumière  décline.

 

"On regarde bien les véhicules de tous les côtés. On fait attention au maximum parce qu’il y a quelques jours, une jeune femme a été fauchée par une voiture sur cette route justement. C’était une Ethiopienne. Mais nous vraiment, on est prudent !"

  

Ellias et ses compagnons gravissent les talus, franchissent les ravins  d’un pas rapide. Il faut marcher plus d’une heure sur une colline sablonneuse recouverte de buissons. Des petites lunettes sur le nez, un air sérieux, Yared, la trentaine nous confie l’enfer qu’il a fui en Ethiopie il y a 6 mois. Ce n’était pas un choix d’arriver ici insiste celui qui était instituteur en Ethiopie.

  

"Je voudrais dire au gouvernement et au peuple français : On n'est pas des criminels. On est des réfugiés politiques. On a quitté notre pays  pour rechercher la paix, la démocratie et la liberté. Là-bas j’ai été mis en prison, j'ai été torturé juste avant que je parte. J’ai été battu, j'ai plusieurs côtes fracturées, cassées !"
 

 

Yared a encore mal aujourd’hui à cause de ses blessures. Mais pour le moment,  il essaie d’oublier la douleur. Il y a un rond-point à traverser, puis  il faut longer la nationale. Mais un camion de  police repère notre petit groupe. Tout le monde se cache sous  un pont. Yared  ne comprend pas bien :

"C’est peut-être des policiers ? Comme tout le monde dans mon pays, j’ai peur  quand je vois les uniformes. Ils vont peut-être essayer de nous arrêter non ?  On est dans l’illégalité. On est réfugiés, sans papiers. Alors ils ont le droit de nous interpeller. Ils font leur travail. C’est normal pour eux…"

 

Un migrant vient de trouver un grillage avec un gros trou. Un à un, les exilés se faufilent. Nous voilà en zone SNCF. Un panneau danger annonce une ligne haute tension 25.000 volts.  La nuit tombe. Il faut hâter le pas en file indienne au bord des voies. Un  hélicoptère de la gendarmerie survole le secteur. Un train passe à moins d'un mètre de nous. Le conducteur ralentit en voyant le groupe.

 

Au loin, ça y est, nous distinguons le terminal Eurotunnel. A partir de là commence un triste jeu de cache-cache avec les policiers. Ellias se prépare.

"D’abord, il va falloir passer par-dessus cette première clôture que vous voyez là, au bout. Puis il y en a une seconde.  Ensuite, on devra ramper dans une sorte de grosse canalisation. Là, on aura le terminal face à nous. Mais les policiers sont partout, il faut tromper leur vigilance pour accéder aux trains qui transportent les camions de marchandises. Quand une lumière rouge apparait sur un train, tu cours, tu sautes, et tu t’agrippes. Parce que ça veut dire  que le train va accélérer, qu’il est prêt."

 

Nous devons quitter Ellias, Yared et les autres. "Ne vous inquiétez pas. Souhaitez nous plutôt bonne chance ", dit le jeune homme tout sourire. Déterminé. Plus tard dans la nuit nous tentons de joindre par téléphone Elias et les autres, en vain. Nous ne savons pas s’ils sont sains et saufs, si leur intrusion a réussi, s'ils ont gagné Douvres, en  Angleterre, après 30 minutes de voyage clandestins dans le Shuttle ou bien si  comme de nombreux autres exilés  recroisés ensuite, ils ont échoué, s'ils ont dû, les yeux rougis par les lacrymogènes des policiers,  rebrousser chemin  jusqu’à la prochaine tentative…

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