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La Bataille de Verdun en 1916 : l’enfer sur Terre

Les rues de quelque 2000 communes françaises porteraient le nom de la bataille de Verdun, commencée le 21 février 1916 (pour se terminer le 19 décembre de la même année). C’est dire l’importance de l’évènement dans l’inconscient collectif du pays. Un évènement, symbole de l’horreur de la Première guerre, d’autant plus marquant que 70% des effectifs de l’armée française ont combattu à Verdun.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Soldats français passant à l'attaque depuis leur tranchée pendant la bataille de Verdun en 1916 (AFP)

A eux seuls, les chiffres donnent le vertige. En 10 mois, la bataille a mobilisé environ 2,3 millions de militaires : 1,1 million côté français, 1,2 million côté allemand. Quelque 163.000 Français y sont morts (215.000 ont été blessés), 143.000 Allemands ont été tués (et 196.000 blessés). 23 millions d’obus ont été tirés par les Français, 30 millions par les Allemands.
 
Pour ces derniers, le site est un élément saillant qui s’enfonce dans leurs lignes. Leur commandant en chef, Erich von Falkenhayn, entend ouvrir ce dernier verrou vers Paris.

Fin 1915, l’armée du Kaiser lance une énorme préparation d'artillerie devant Verdun. L'état-major français observe ces mouvements. Mais considère l'endroit, boueux en hiver, avec un grand nombre de dénivelés, comme peu favorable à une attaque d'envergure. D'ailleurs, le général en chef Joseph Joffre, préparant déjà l'offensive de la Somme, a vidé de ses hommes les forts autour de Verdun, dont celui de Douaumont.

Certains avertissements auraient pu accélérer la prise de conscience. Notamment ceux du colonel Emile Driant, député de la Meuse, en charge de la défense du secteur du bois des Caures, au centre du front. Conscient de la vulnérabilité de la zone, il a interpellé, dès août 1915, la présidence de l’Assemblée «sur l’état catastrophique de la défense de la région fortifiée de Verdun», rapporte le site verdun-meuse.fr.

Au dernier moment, cependant, les Français comprennent le danger et se mettent, à la hâte, à creuser des tranchées et à poser des barbelés. Ce qui s’avèrera fort utile par la suite.


Enorme puissance de feu
Le 21 février 1916, à l'aube, un millier de pièces allemandes (dont les fameuses Grosses Berthas, canons pourvus de tubes de 34 m de long) pilonnent Verdun, ville au bord de la Meuse, et ses alentours. C’est la première fois dans l’Histoire qu’est employée une telle puissance de feu. Un obus tombe toutes les 15 secondes. La terre tremble à 150 km de là. Des nuages de fumée s’élèvent jusqu’à 800 m d’altitude. L'air est saturé de gaz toxiques.

Le lendemain, 22 février, le colonel-député Driant, initialement à la tête d'une brigade de 1200 chasseurs, ne dispose plus que de 98 hommes. Il réussit malgré tout à freiner l'avancée de milliers d'assaillants. Mais il meurt le même jour d’une balle dans la tête en se repliant au milieu de ses soldats. Son exemple contribuera à faire naître à l'arrière le mythe de Verdun.

Il s’agit de la première attaque allemande d’envergure depuis septembre 1914. Quelques jours après le début de l’offensive, les troupes de Guillaume II ont profondément ébranlé la résistance française, constate l’historien Antoine Prost sur le site de France 24. «C’est quasiment le début d’une déroute. (…) (Les militaires français) qui arrivent pour colmater la brèche ne trouvent pas de positions précises à défendre, et ils ne savent pas où sont les Allemands. Ils sont dans une confusion totale.»

Pour autant, malgré les bombardements sur la rive droite de la Meuse, les Allemands ne concrétisent pas réellement leurs percées. S’ils s'emparent de Douaumont, ils n'effectuent par la suite que de lentes avancées.

Une batterie française pendant la bataille de Verdun en 1916 (AFP - Photo12)

Pendant ce temps, en France, la panique s’empare de l’arrière. «La commission du Sénat décide de siéger tous les jours. Le président du Conseil, Aristide Briand, va calmer les députés le 26 (février). Le président de la République, Raymond Poincaré, veut (immédiatement) aller à Verdun», raconte Antoine Prost. Il s’y rendra à six reprises.

«On les aura !»
En mars, la bataille s'étend à la rive gauche de la Meuse, avec des combats d'une violence inouïe, notamment sur la colline, bien nommée, du Mort-Homme et sur la cote 304.  Le 10 avril, les lignes françaises résistent à une attaque générale de l'armée allemande. «On les aura!», lance le général Philippe Pétain, qui restera dans la mémoire collective comme le «vainqueur de Verdun». Lequel saura, au moment de la débâcle de 1940, utiliser son immense popularité dans l’opinion, acquise en 1916, pour imposer la collaboration avec l’occupant nazi.

De fait, la confiance revient chez les Français. La résistance s'organise. Des renforts sont acheminés par la seule route disponible, sur laquelle circule une gigantesque noria de camions, venant de Bar-le-Duc. Son nom: la «Voie Sacrée».

Au fil des semaines se met en place une guerre d'usure entre deux armées épuisées. Les photos de belligérants hébétés, accroupis dans des tranchées gorgées d'eau, de cadavres jonchant le sol, d'arbres brûlés, de terres scarifiées par les bombardements, attestent de l'horreur des combats. Des scènes dantesques dont témoigneront ultérieurement, de manière magistrale, des artistes comme Otto Dix et Félix Valloton.

«Verdun», tableau du peintre suisse Félix Valloton, réalisé en 1917. (Wikimedia Commons (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:F%C3%A9lix_Valloton-Verdun._Tableau_de_guerre-1917.jpg))

En juin, les Allemands prennent Fleury, tout près de Verdun, et le fort de Vaux, à l'issue de combats acharnés. Mais les Français continuent de résister tant bien que mal.

Le chef du grand état-major impérial, Erich Von Falkenhayn, voulait «saigner à blanc» l'ennemi français en menant une guerre «industrielle». Mais il fait payer un lourd tribut à ses «Feldgrauen» (référence à la couleur gris-vert de leur l’uniforme). L'avancée allemande va d'autant plus s’affaiblir que l'état-major du Kaiser doit prélever sur ses effectifs à Verdun pour répondre à l'offensive de la Somme.

Le 2 septembre, le chef suprême de l'armée allemande, Paul von Hindenburg, ordonne à ses troupes de ne plus mener que des actions défensives. Les Français vont alors grignoter le terrain perdu. Douaumont est repris le 24 octobre. Le fort de Vaux le 2 novembre. Hardaumont et Bezonvaux le 15 décembre.

Le 19 décembre, la plupart des positions perdues ont été regagnées. Conclusion : les lignes n’auront ainsi presque pas bougé entre le début de l’offensive en février et la fin de la bataille en décembre. Au final, on estime aujourd’hui qu’il s’agit d'une victoire défensive française: les poilus sont parvenus à contenir les assauts répétés des Allemands. Lesquels n'ont jamais pu approcher à moins de 5 km de Verdun.
 
«Attaque au gaz», eau forte d'Otto Dix (Domaine public (https://www.flickr.com/photos/ilsenzanomeanam/21985813249))

Le symbole et le mythe
Au-delà, le nom de Verdun devient dans l’Hexagone un mythe et un symbole. Le symbole de la «Grande guerre». Et celui de l’immense boucherie que fut le conflit. Même s’il est prouvé que l’offensive de la Somme, menée conjointement avec les Britanniques, fut encore plus meurtrière (les historiens évoquent plus d’un million de morts). Mais Verdun est une bataille que les Français ont menée pratiquement seuls.
 
En Allemagne, l’opération est considérée comme une bataille parmi d’autres. Elle a été réintégrée dans la mémoire nationale à la fin des années 1920 par les milieux nationalistes sur le thème: les soldats allemands «n’ont pas été battus, mais trahis par leurs officiers, comme Falkenhayn, et par les sociaux-démocrates qui ont demandé la paix. Verdun devient le lieu emblématique du soldat au regard d’airain sous un casque d’acier», rapporte Antoine Probst.
 
Mais aujourd’hui, dans les deux pays, le souvenir de la bataille est celui de la mort de masse pendant la première guerre de l’ère industrielle. Et les morts sont autant français qu’allemands : les ossements conservés au fameux ossuaire de Douaumont appartiennent à part égale aux militaires des deux nations. C’est en quelque sorte ce qu’ont voulu symboliser le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl quand ils assistent main dans la main à Douaumont le 22 septembre 1984 à une cérémonie à la mémoire des victimes.

 

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