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Hitler avait-il la bombe atomique ?

A la fin des années 30, la science allemande était l’une des meilleures, sinon la meilleure au monde. Pour autant, l’Allemagne était-elle sur le point d’utiliser la bombe atomique avant sa défaite en 1945 ? Les explications du journaliste Nicolas Chevassus-au-Louis, auteur d’un très intéressant ouvrage, «Pourquoi Hitler n’a pas eu la bombe atomique».
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Adolf Hitler au congrès du Parti nazi à Nuremberg en septembre 1937. (Berliner Verlag-Archiv / DPA Picture-Alliance / AFP)
Jusqu’où les scientifiques de l’Allemagne nazie sont-ils allés dans leurs travaux sur l’atome ?
Ils ont poursuivi sur la lancée de la découverte du physicien et prix Nobel Otto Hahn, qui a révélé le principe de la fission nucléaire fin 1938. Dès l’été 1939, le pouvoir nazi connaissait la portée de cette découverte. Et à cette époque, il a été le premier au monde à initier un programme visant d’un côté à produire de l’énergie, de l’autre à mettre au point un explosif. En clair une bombe atomique.

Entre 1939 et 1945, ce sont en fait plusieurs programmes qui ont été lancés. Le principal est le Uranverein (mot-à-mot «l’association de l’atome»), qui regroupe l’élite des physiciens du pays. Mais il y en a eu trois autres, dont l’un financé… par la Poste. 

Les Allemands ont sans doute réussi à concevoir un prototype de réacteur nucléaire, assez peu avancé. En 1942, s’est produit, dans un laboratoire de Leipzig, une explosion à l’origine d’un violent incendie. Cela laisse supposer qu’ils étaient en train de maîtriser la production d’énergie. Concernant le volet explosif, on a toujours pensé qu’ils en étaient loin car ils utilisaient une technique passant par le plutonium.

Mais il faut savoir que les physiciens d’Outre-Rhin ont aussi travaillé sur une technique utilisant l’uranium et ses dérivés. A tel point que si l’on en croit deux documents des services secrets soviétiques révélés par l’historien allemand Rainer Karlsch, ils ont testé, dans les premiers jours de mars 1945, une arme contenant des matériaux fissiles. Celle-ci faisait probablement partie des armes de la dernière chance, comme les fusées V1 et V2, et les avions à réaction. Il s’agissait vraisemblablement d’une «bombe sale», installée sur une sorte de passerelle, et dont les effets n’avaient rien à voir avec celle d’Hiroshima. Elle a entraîné des destructions très importantes sur un rayon de 700 m.

On ne sait rien d’autre sur son fonctionnement. Et il n’y a aucune trace d’un tel essai dans les archives allemandes. Mais on peut penser que ses auteurs, notamment Kurt Diebner et Walter Gerlach, qui ont après guerre fait de belles carrières (le premier a fondé une société qui a construit un cargo à propulsion nucléaire; le second a été vice-président de l'agence de la recherche ouest-allemande), n’avaient aucune envie que cette expérience soit révélée. Car selon l’un des deux documents soviétiques, l’explosion a tué des dizaines de déportés du camp de Buchenwald. Si cela s’était su, ses responsables auraient pu être accusés de crimes de guerre.

Site de tir expérimental de la fusée V2 à Peenemünde (Allemagne du nord) en juin 1944, moins d'un an avant la reddition du régime nazi. (The Picture Desk - The Art Archive)

L’authenticité de ces documents n’a jamais été contestée.

Pourquoi les Allemands ont-ils finalement échoué ?
La principale cause de cet échec, c’est le manque d’organisation de la filière. Il y avait des programmes concurrents. Le Uranverein a changé trois fois de direction, il est passé à plusieurs reprises d’une tutelle civile à une tutelle militaire. Autant d’éléments contraires à une bonne coordination. En fait, il a manqué une priorité politique, accordée en revanche aux fusées et aux avions à réaction. Techniques pour qui des ressources considérables, tant en moyens humains qu’industriels, ont été dégagées.
 
Evidemment, la guerre et les bombardements ont aussi joué un rôle dans cette désorganisation. Il a fallu déménager les laboratoires, ce qui ne facilitait pas le travail des scientifiques.

Pour comprendre ce relatif désintérêt des autorités politiques, plusieurs raisons ont été avancées. Après la guerre, les physiciens ont affirmé qu’ils avaient tout fait pour ralentir les choses et ne pas trop informer leur hiérarchie. Les historiens ont prouvé qu’il n’en a rien été. En fait, il est probable que le pouvoir nazi a pris ses décisions en fonction de l’avancée des travaux scientifiques. La durée de mise au point d’une bombe atomique était plus longue que celle de fusées. Priorité a donc été donnée à ces dernières. De son côté, l’arme nucléaire aurait peut-être pu être opérationnelle en 1946 ou 1947.
 
Après guerre, de nombreux scientifiques allemands ont été récupérés par les vainqueurs. Les ont-ils aidés à améliorer ou à mettre au point leurs propres arsenaux nucléaires ?
Pour les Américains, ce n’était pas le cas puisqu’ils ont testé leur première bombe en juillet 1945. Ceux qui en ont le plus profité des apports de la science allemande sont les Soviétiques. Ils ont récupéré un nombre important de physiciens et de matériels.

Alors que les prisonniers allemands ont été très mal traités (10 % d’entre eux seulement sont rentrés chez eux), leurs compatriotes scientifiques et ingénieurs ont été favorisés. On les a installés dans des conditions confortables sur les bords de la mer Noire, ils ont pu faire venir leurs familles. Et c’est ainsi qu’ils ont participé au programme nucléaire de l’URSS qui a abouti en 1949. Sans cet apport allemand, les Soviétiques auraient mis plus de temps pour mettre au point leur première arme atomique. Car en 1945, ils partaient de rien.

Pourquoi Hitler n'a pas eu la bombe atomique, Nicolas Chevassus-au-Louis, éditions Economica, collection Mystères de guerre

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