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Allemagne : cinq visages pour comprendre l'AfD, le parti d'extrême droite qui fait son entrée au Parlement

Après les élections législatives de dimanche, la formation se pose comme la troisième force politique du pays. Franceinfo revient sur cinq personnalités de l'AfD, qui se caractérise par ses thèmes anti-migrants, anti-islam et nationalistes.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
De gauche à droite : Jörg Meuthen, Alexander Gauland, Alice Weidel et Frauke Petry, dirigeants de l'AfD, avant une conférence de presse, à Berlin (Allemagne), le 25 septembre 2017. (JOHN MACDOUGALL / AFP)

"Les fantômes du passé sont de retour." Comme toute la presse allemande, le magazine Der Spiegel (en allemand) est sous le choc, lundi 25 septembre. La veille, le parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) ("alternative pour l'Allemagne") a obtenu 12,6% des suffrages aux élections législatives, un score qui lui permet d'entrer au Bundestag, la chambre des députés allemands, où il devrait obtenir jusqu'à 90 sièges.

Le Bild (en allemand), le journal le plus lu outre-Rhin, évoque "une victoire cauchemardesque". Le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung, lui, parle d'"un tournant historique pour la vie politique allemande". Mais quel est le visage de l'AfD ? Pour mieux comprendre, franceinfo vous présente cinq figures de ce mouvement anti-européen, anti-migrants, anti-islam, qui s'impose comme la troisième force politique allemande.

1Alexander Gauland, le vieux routier "fier" des soldats allemands de la seconde guerre mondiale

Alexander Gauland, l'un des chefs de file de l'AfD, sur un plateau de la ZDF, à Berlin, la capitale allemande, le 21 septembre 2017. (MAURIZIO GAMBARINI / DPA / AFP)

"Nous allons changer ce pays (...). Nous allons faire la chasse à Madame Merkel. Nous allons récupérer notre pays !" Alexander Gauland, cofondateur de l'AfD en 2013, a savouré la percée de sa formation et son entrée au Parlement, dimanche soir. A 76 ans, cet ancien membre du Parti chrétien-démocrate (CDU) d'Angela Merkel, lui-même candidat, a marqué la campagne avec nombre de propos polémiques. Le 2 septembre, lors d'un meeting, ce partisan d'une ligne dure a ainsi glorifié l'armée nazie.

Si les Français ont le droit d'être fiers de leur empereur et les Britanniques de l'amiral Nelson et de Churchill, alors nous avons le droit d'être fiers des performances des soldats allemands durant la seconde guerre mondiale.

Alexander Gauland, cofondateur de l'AfD

lors d'un meeting

Le discours, véritable tabou dans un pays encore traumatisé par les crimes du IIIe Reich, a provoqué un tollé. "Les seuls dont on peut être fiers, ce sont les rares soldats résistants et les déserteurs", a estimé Volker Beck, une figure des écologistes allemands. 

Et ce n'est pas la seule sortie controversée d'Alexander Gauland, qui incarne une "aile rivée sur le nationalisme, le chauvinisme, la xénophobie et le racisme", selon Gero Neugebauer, politologue à l'université libre de Berlin. Fin août, Alexander Gauland a ainsi suggéré de renvoyer "en Anatolie" la secrétaire d’Etat à l’Intégration et vice-présidente du Parti social-démocrate (SPD), Aydan Özoguz, rapporte Le Monde. Des propos pour lesquels il risque d'être jugé après une plainte contre lui pour "incitation à la haine". Cette fille de travailleurs immigrés turcs avait estimé qu'"il n’[était] pas possible d’identifier, au-delà de la langue, une culture allemande spécifique", provoquant l'ire du septuagénaire.

Alexander Gauland s'en était également pris au footballeur d'origine ghanéenne Jérôme Boateng, en mai, dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung (en allemand). "Les gens l’apprécient en tant que footballeur. Mais ils ne veulent pas avoir Boateng comme voisin", avait déclaré le nationaliste à propos du défenseur du Bayern Munich et star de la Mannschaft.

2Alice Weidel, l'ex-banquière aux antipodes du message du parti

Alice Weidel (France 2)

Cette femme de 38 ans a mené la campagne des législatives de l'AfD aux côtés d'Alexander Gauland. Alice Weidel semble pourtant "à l'opposé des idées très conservatrices du parti populiste", s'étonne le bureau de France 2 à Berlin sur son blog. L'AfD se pose comme un parti anti-élites ? Alice Weidel a officié au sein de la banque Goldman Sachs. L'AfD se targue d'être antimondialisation ? Elle a travaillé pendant six ans en Chine et parle couramment le mandarin, note le Journal du dimanche. L'AfD défend le modèle de la famille "traditionnelle" ? Alice Weidel vit en couple avec une femme d'origine sri-lankaise avec laquelle elle a eu deux enfants.

Mais ces paradoxes ne l'empêchent pas d'avoir martelé le leitmotiv anti-migrants de l'AfD tout au long de la campagne. "Tous les partis en Allemagne veulent légaliser l'immigration illégale, et nous disons : ça n'arrivera pas avec nous ! Pas avec l'AfD", a déclaré cette partisane d'une ligne dure. Durant la campagne, la candidate a également balayé les accusations d'homophobie visant le parti. "Je suis homosexuelle. (...) Mais personne ne semble vouloir se lever et partir", a-t-elle lancé, bravache, lors d'un meeting. Sans mentionner le fait que l'AfD a menacé de déposer un recours devant la Cour constitutionnelle allemande contre la loi autorisant le mariage entre homosexuels, fin juin. 

3Frauke Petry, l'ancienne égérie qui a pris ses distances avec la formation

A 42 ans, cette ancienne directrice de PME et mère de cinq enfants est devenue une personnalité politique de premier plan depuis juillet 2015, lorsqu'elle a été élue coprésidente de l'AfD. Frauke Petry est l'un des visages les plus connus du parti, dont elle critique pourtant la ligne la plus extrême. En avril, elle a d'ailleurs renoncé à mener la campagne des législatives à cause de différends stratégiques au sein du parti. Frauke Petry souhaitait que l'AfD gagne en crédibilité pour devenir un parti de gouvernement, en lissant l'image de la formation. Une position boudée par Alexander Gauland et Alice Weidel.

Pourtant, la porte-parole du parti n'était pas la dernière à verser dans la provocation. En 2016, elle avait notamment estimé que les forces de l'ordre devraient pouvoir tirer sur les migrants pour les empêcher d'entrer sur le territoire allemand. Chez Frauke Petry, comme d'autres figures du parti, le discours sur les migrants se focalise rapidement sur l'islam : "Je ne crois pas que [cette religion] soit compatible avec la culture allemande. L'islam traditionnel est très différent de la culture européenne", avait-elle estimé, en français, sur France 2.

Au lendemain des élections législatives où elle a pourtant été élue, Frauke Petry a entériné sa prise de distance avec les personnalités les plus extrêmes de son parti. Lundi, devant la presse, elle a ainsi annoncé qu'elle ne siégerait pas au Bundestag pour l'AfD. "J'ai décidé de ne pas faire partie du groupe AfD au Parlement allemand et de rester dans un premier temps membre de la chambre basse à titre individuel."

4Jörg Meuthen, l'économiste qui pense que les Allemands vont devenir une "minorité" ethnique

Jörg Meuthen, porte-parole de l'AfD, lors d'une conférence de presse, à Berlin (Allemagne), le 25 septembre 2017. (JULIAN STRATENSCHULTE / DPA / AFP)

Comme Alexander Gauland, le coprésident et porte-parole de l'AfD Jörg Meuthen défend la thèse du "grand remplacement""L’Allemagne n’a presque plus rien en commun avec le pays dans lequel j’ai grandi", a regretté ce professeur d'économie de 56 ans, rapporte la Tribune de Genève. Pour cet élu du Bade-Wurtemberg, c'est une certitude "mathématique" : l'Allemagne va être dominée par l'islam et les Allemands vont devenir une "minorité" ethnique. Il souhaite ainsi protéger "la culture occidentale chrétienne".

Comment compte-t-il s'y prendre ? Par la "fermeture des frontières" afin de résoudre la crise migratoire. "Nous avons déjà trop de gens ici et nous ne pouvons et ne voulons pas intégrer tout le monde (...). Et surtout parce qu'eux ne veulent pas s'intégrer", a-t-il lancé, en mars, lors d'un meeting en vue des élections régionales allemandes. Il se fait aussi le chantre du "conservatisme moderne" et du "patriotisme sain", comme il l'a défini lors du congrès du parti, en mai 2016.

5Björn Höcke, qui défend "une certaine grandeur allemande"

Björn Höcke, chef de file de l'AfD en Thuringe, à Erfurt (Allemagne), le 16 mars 2016. (MARTIN SCHUTT / DPA / AFP)

La provocation est habituelle pour cet homme de 44 ans, dont la "proximité avec les néonazis est notoire", rappelle Le Monde. Lors d'un talk-show, il a sorti un mini-drapeau allemand de sa poche et l’a planté sur son siège, se disant fier d’être allemand. Or, "il faut savoir qu’en dehors des périodes footballistiques intenses, le recours au drapeau national en Allemagne ne se fait pas. C’est politiquement incorrect", expliquait à Atlantico Hans Stark, chercheur à l'Institut français des relations internationales, en 2016.

La même année, il avait jugé qu'il existait un "excédent de population en Afrique", en estimant que "les comportements de reproduction des Africains" ne changeraient pas tant que l’Europe serait prête à "accueillir cet excédent".

Björn Höcke a franchi un cap, en janvier 2017, lors d'un discours à Dresde, où il a appelé de ses vœux un "virage à 180 degrés de la politique mémorielle" allemande. 

Jusqu'à ce jour, notre état d'esprit est celui d'un peuple totalement vaincu (...), nous Allemands, sommes le seul peuple au monde qui installe un mémorial de la honte en plein cœur de sa capitale

Björn Höcke, président de l'AfD en Thuringe

Ses propos ont provoqué un profond malaise en Allemagne mais également au sein de l'AfD. Frauke Petry a tenté de le faire exclure, révélant les profondes divisions du parti. En vain. Björn Höcke est resté président de l'AfD en Thuringe

Pour le chercheur Timo Lochocki, du German Marshall Fund, Björn Höcke défend une ligne "qui veut faire monter un nouveau thème, celui d'une certaine grandeur allemande". Et cela trouve un écho : selon le Financial Times (en anglais), Björn Höcke est devenu "l'un des visages des plus reconnaissables du parti".

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