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9 novembre 1938 en Allemagne: la «Nuit de Cristal», un gigantesque pogrom
Le 9 novembre 1938 se produisait en Allemagne la «Nuit de cristal» («Kristallnacht»). Un nom donné en référence aux monceaux de débris de verre apparus au cours d'un des plus violents pogroms orchestrés par les nazis depuis leur arrivée au pouvoir en janvier 1933. L’événement est une étape décisive sur la route de la «Solution finale» en 1942.
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Les nazis ont présenté cet événement nocturne comme une explosion spontanée de colère populaire. Le prétexte en fut l’assassinat, deux jours avant à l’ambassade allemande à Paris, du troisième conseiller de la représentation diplomatique, Ernst von Rath, par un Polonais juif, Herschel Grynszpan.
Ce dernier, qui vivait alors illégalement à Paris, venait d’apprendre «que ses parents faisaient partie des milliers de juifs de nationalité polonaise vivant en Allemagne (ils y étaient depuis 1911) expulsés du Reich», note le site du United States Holocaust Memorial Museum (USHMM). Peut-être espérait-il, par son geste, réveiller les consciences… En vain. De son côté, le pouvoir national-socialiste ne va pas laisser passer l’occasion.
Hasard du calendrier? L’annonce de la mort du diplomate, le 9 mars, correspond à l’anniversaire du putsch dit de la Brasserie, mené 15 ans plus tôt à Munich par un (alors) obscur agitateur autrichien répondant au nom d’Adolf Hitler.
Quand l’information du décès est diffusée à la radio, on signale déjà des émeutes antijuifs. Le soir même, le grand orchestrateur de la propagande, le sinistre Joseph Goebbels, prononce un violent discours devant un aréopage de dignitaires nazis, réunis dans la capitale bavaroise pour célébrer le souvenir du putsch: il dénonce un «complot juif» contre l’Allemagne. Aux dires des historiens, il ordonne de détruire les magasins juifs et d’incendier les synagogues. La police ne devant pas intervenir et les pompiers devant protéger des flammes uniquement les biens «aryens».
Réaction «populaire» et «spontanée»
Dès la fin de la réunion, la hiérarchie du Parti se met en branle. Pour organiser une réaction autant «populaire» que «spontanée» à la mort d’Ernst von Rath. On va alors utiliser ce qu’il reste des SA (sections d’assaut), organisation paramilitaire mise au pas lors de la Nuit des longs couteaux. Ainsi que les membres des Jeunesses hitlériennes. Nombre de ces hommes de main enfilent des vêtements civils, histoire de faire croire que les manifestations expriment bien «l’indignation populaire»…
La curée et le défoulement antisémites commencent alors dans des centaines de communes, grandes, moyennes, petites, de tout le pays. «Les agresseurs se ruent à l’assaut des symboles de la vie juive», observe le site du Mémorial de la Shoah. Ils pillent et incendient les synagogues et autres institutions religieuses, saccagent des boutiques et des entreprises. Dans la petite commune de Holzminden (Basse-Saxe), Ulla Jessing, 14 ans, et sa mère, terrorisées, entendent le bruit des camions remplis de «soldats en train de brailler» et voient «le ciel rougi par les flammes».
Des cimetières sont profanés. De simples particuliers sont molestés. Humiliés. Assassinés. Le consul général de Pologne à Leipzig, cité par le site de la radio publique Deutsche Welle (DW), rapporte ainsi qu’une ressortissante polonaise est tirée nue de chez elle avant que ses agresseurs ne tentent de la violer. De nombreuses personnes sont interpellées. Il s’agit alors d’«arrêter autant de juifs que les prisons locales pouvaient en contenir, de préférence des hommes jeunes et en bonne santé», rapporte le site de l’USHMM.
«Une apparence de champ de bataille»
Le lendemain, dans les rues des localités concernées par les pogroms, les passants contemplent un spectacle de désolation. «Mon père venait d’être arrêté au petit matin. Au milieu du tumulte général et en dépit de l’interdiction de ma mère, je suis sorti de chez moi (à Berlin, NDLR) et j’ai couru dans la rue. J’ai alors vu les vitrines cassées sur le Kurfürstendamm et la synagogue de la Fasanenstrasse qui fumait encore après un incendie à peine éteint», a raconté W. Michael Blumenthal, ancien directeur (américain d’origine allemande) du Musée juif de Berlin (cité par la DW), alors âgé de 12 ans. «Le Kurfürstendamm avait une apparence de champ de bataille», rapporte de son côté un diplomate letton (lui aussi cité par la DW).
En tout, selon les historiens, 91 personnes de confession juive ont été tuées au cours de cette terrible nuit. 267 édifices religieux détruits. Les vitrines de 7500 établissements commerciaux cassées. Quelque 30.000 personnes ont été arrêtées et envoyées dans les camps de concentration de Dachau, Sachsenhausen et Buchenwald.
Dans la foulée des premières mesures et agressions antisémites commencées dès 1933, des lois de Nuremberg de 1935, la «Nuit de cristal» marque un nouveau point d’orgue dans la politique antijuive du pouvoir hitlérien. Quelques Allemands manifestent discrètement leur dégoût. Mais l’apparente indifférence de l’opinion et le manque de réaction des pays étrangers convainquent la dictature qu’elle peut aller plus loin dans sa politique antisémite.
Les nazis en profitent pour déposséder un peu plus les juifs de leurs biens. Et de les exclure un peu plus de la vie civile et économique. Parallèlement, ils font porter la responsabilité de l’événement sur… la communauté israélite elle-même à qui ils infligent une amende d'un milliard de marks.
De leur côté, les enfants juifs fréquentant des écoles allemandes en sont expulsés. «C’est au cours de la nuit du 9 au 10 novembre que j’ai perdu la foi de mon enfance et que je suis devenu adulte», raconte Ulla Jessing, qui va quitter l’Allemagne six mois plus tard pour la Grande-Bretagne. Elle ne reverra jamais ses parents, disparus à Auschwitz.
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