"Achat de votes et bourrage d'urnes" en Serbie : on vous résume en trois actes la crise politique dans le pays après les législatives
Au pouvoir depuis 2012, le futur politique du président nationaliste serbe sortant, Aleksandar Vucic, est-il menacé par la rue ? Près de deux semaines après les élections générales, aux résultats immédiatement contestés par l'opposition, le gouvernement fait face à un important mouvement de contestation. Franceinfo vous résume cette crise politique en trois actes.
Acte 1 : l'opposition effacée de la campagne dans les médias
Ces élections, couplées à des scrutins locaux, ont été annoncées par Aleksandar Vucic, après la dissolution de l'Assemblée nationale serbe, le 1er novembre. Programmées le 17 décembre, ces législatives sont les troisièmes en moins de quatre ans dans l'ex-république yougoslave particulièrement frappée par l'inflation. Elles sont intervenues "dans un contexte de forte polarisation et de concurrence intense" entre le Parti progressiste serbe (SNS), la formation présidentielle (droite), et la coalition rassemblant les partis d'opposition, La Serbie contre la violence (SPN), notait le 18 décembre l'Organisation pour la sécurité et la coopération (Osce).
Omniprésent dans les médias lors de la campagne électorale, Aleksandar Vucic est notamment apparu presque quotidiennement sur les chaînes de télévision lors des derniers jours avant le scrutin. Les partis d'opposition ont vu leur temps de parole se réduire comme peau de chagrin. Une étude publiée par le Bureau pour la recherche sociale, un think tank serbe, affirme que l'ancien ministre de l'information du dictateur Slobodan Milosevic a monopolisé 40% du temps d'information sur les chaînes nationales. Ce chiffre grimpe à plus de 70% si l'on ajoute les sujets consacrés au gouvernement ou au parti présidentiel.
Cette situation a été pointée du doigt par les membres de la mission internationale d'observation menée par l'Osce, le Parlement européen et le Conseil de l'Europe. Dans leur rapport (PDF), ils estiment que "malgré le grand nombre de médias, la diversité des points de vue est réduite par (...) une forte influence du gouvernement sur la plupart des organes".
L'opposition a également dénoncé des pressions et des intimidations. "A chaque fois, on se dit que ça n'a jamais été pire, qu'ils ne se sont jamais comportés de manière aussi violente. Mais malheureusement, cette fois encore, nous sommes confrontés à une peur énorme, partout en Serbie... Nous vivons dans un pays de violence, de corruption et de criminalité terrible", expliquait Borko Stefanovic, candidat SPN, avant le scrutin.
Acte 2 : des résultats immédiatement contestés
Le 17 décembre, quelques heures après la fermeture des derniers bureaux de vote, le président serbe a revendiqué la victoire de son parti. Le SNS a remporté, selon les résultats officiels, une victoire écrasante avec 46% des voix, contre 23,5% pour La Serbie contre la violence.
Ces chiffres ont été immédiatement contestés par la coalition d'opposition qui a dénoncé plusieurs cas de fraude à Belgrade. Selon le SNP, "plus de 40 000 personnes" ont voté sans y résider, transportées par bus depuis la Republika Srpska, entité serbe située en Bosnie. Ces migrations organisées d'électeurs mettent "en danger les principes d'égalité électorale et le droit garanti des citoyens de choisir", a affirmé l'ONG serbe chargée de l'observation électorale CRTA, qui, elle aussi, dénonce des fraudes. Plusieurs milliers de manifestants se sont massés le 18 décembre devant le siège de la commission électorale à Belgrade pour réclamer l'annulation du scrutin et le départ du président.
D'autres irrégularités sont dénoncées par les observateurs de la mission internationale dans leur rapport préliminaire. "L'achat de votes et le bourrage d'urnes", ont ainsi été également évoqués par les membres de la mission qui soulignent que "les mesures visant à garantir le secret du vote étaient insuffisantes".
L'Allemagne a qualifié les fraudes d'"inacceptables" pour un pays qui espère rejoindre l'Union européenne, tandis que les Etats-Unis ont appelé Belgrade à répondre aux "inquiétudes" des observateurs électoraux. Pour l'Union européenne, "le processus électoral de la Serbie nécessite des améliorations tangibles et de nouvelles réformes". Emmanuel Macron a, lui, félicité le président serbe pour sa victoire, a confirmé l'Elysée à l'AFP.
Acte 3 : de nouvelles élections boycottées par l'opposition
Pour tenter de calmer les critiques, la commission électorale serbe a annoncé, le 20 décembre, la tenue d'un nouveau scrutin, dans 30 bureaux de votes (dont deux à l'étranger) "où les résultats (...) ne pouvaient pas être déterminés" avec certitude. L'opposition a refusé de participer à ce vote organisé le 30 décembre, et appelle ses partisans au boycott.
"Les élections qui seront répétées (...) ne peuvent pas annuler la fraude ni corriger l'injustice (...). C'est la raison pour laquelle nous ne participerons pas à la répétition du scrutin", a souligné la coalition dans une déclaration. La tête de liste de la coalition, Marinika Tepic, ainsi que six membres de l'opposition, ont entamé une grève de la faim après l'annonce des résultats. "Cela doit simplement être fait pour alerter en Serbie et à l'étranger", a expliqué la femme politique de 49 ans.
La décision de la commission électorale n'a pas mis un coup d'arrêt aux manifestations organisées dans le pays par l'opposition et les mouvements étudiants. Dimanche à Belgrade, une trentaine de manifestants ont été arrêtés par la police le jour de Noël alors qu'ils tentaient de pénétrer dans la mairie en brisant des vitres.
La Haute Cour de Belgrade a précisé que quatre des manifestants arrêtés resteraient en détention pendant trente jours. Ils sont notamment accusés de "comportement violent au cours d'un rassemblement public" rapporte le site Balkan Insight. Ivica Dacic, premier vice-président du gouvernement, a quant à lui, accusé les manifestants de vouloir "détruire l'ordre constitutionnel". Sept manifestants arrêtés, qui ont plaidé coupable, ont été condamnés à des peines allant jusqu'à six mois de prison avec sursis et à des amendes de 20 000 dinars serbes (171 euros) chacun.
Les détentions ne découragent pas pour autant les opposants à poursuivre la mobilisation. Des centaines de militants serbes de l'opposition, majoritairement des étudiants, ont appelé à un blocage de 24 heures vendredi des rues de la capitale. Le parquet serbe a par ailleurs annoncé le 23 décembre avoir demandé à la police de rassembler des preuves concernant les allégations de fraude.
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