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Qu'est-ce que les cyanobactéries, ces particules qui ont causé la mort d'une dizaine de chiens dans le bassin de la Loire ?

Ces bactéries prolifèrent depuis le début de l'été et menacent les activités sur la Loire et ses affluents. La pêche ainsi que les activités nautiques ont été réglementées, voire interdites selon les endroits.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
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Temps de lecture : 6 min
Un amas de biofilms prélevé dans le Cher, durant l'été 2017. (JEAN FRANCOIS HUMBERT)

Depuis le début de l'été, un drôle de mal se répand dans tout le bassin de la Loire. Treize chiens ont trouvé la mort sur les rives de la Loire et du Cher, après avoir bu ou s'être baignés dans les cours d'eau. A chaque fois, les animaux ont été pris de vomissements puis de convulsions, avant de mourir brutalement

Après avoir analysé ces eaux, les autorités ont confirmé que les cyanobactéries étaient responsables de ces morts. Ces particules présentes dans l'eau peuvent produire une toxine mortelle pour les animaux et engendrer de nombreux effets secondaires chez l'homme, tels que des vomissements, des nausées ou encore des douleurs musculaires.

Depuis le début du mois d'août, la vigilance a été instaurée dans les départements du Cher, de l'Indre et du Loir-et-Cher. Elle s'est étendue, mardi 22 août, à l'Indre-et-Loire et au Maine-et-Loire, ainsi qu'à la rivière Vienne. Plusieurs plages ont été fermées à la baignade et la pêche a été interdite dans la Loire. La présence de cyanobactéries a aussi perturbé l'ouverture de la chasse au gibier d'eau, lundi 21 août. Comment expliquer la présence de ces particules dans l'eau ? Faut-il les craindre ? Eléments de réponse.

1Les cyanobactéries, c'est quoi ?

Les cyanobactéries sont des particules présentes sur Terre "depuis deux à trois milliards d'années", soit bien avant l'homme, précise à franceinfo Jean-François Humbert, chercheur à l'INRA, spécialiste en microbiologie aquatique. Présentes dans le monde entier, dans les plantes, dans l'eau mais aussi dans le sable, elles façonnent notre planète."Ce sont les premiers organismes à avoir fabriqué de l'oxygène. Ils ont permis l'existence de plusieurs formes de vie, dont l'espèce humaine." 

Souvent appelées "algues bleues" à cause de leur couleur, ces particules ont besoin de lumière, de chaleur et de nutriments pour se développer, d'où leur présence importante en été dans des eaux calmes et riches en nutriments comme les lacs, les étangs et les rivières, explique l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le 25 août, la préfecture du Maine-et-Loire a confirmé la présence dans la Loire de cyanobactéries produisant deux sortes de toxine, Oscillatoria (neurotoxine) et Formidium (hépatotoxine, capable de détruire les cellules du foie).

Un lac recouvert de cyanobactéries à Aghien en Côte d'Ivoire, en juin 2017. (JEAN FRANCOIS HUMBERT)

2Pourquoi peuvent-elles être dangereuses ?

Les cyanobactéries peuvent devenir problématiques lorsqu'elles commencent à se développer en trop grand nombre et qu’elles produisent trop de toxines. "Les cyanobactéries développent en permanence des toxines utiles à leur fonctionnement et dont certaines sont dangereuses pour l'homme, voire mortelles pour les animaux, explique Jean-François Humbert. Le problème est que leur toxicité est variable d'une espèce à l'autre, et qu'il est difficile de savoir quel type de toxine ces organismes vont fabriquer." Certaines vont être dangereuses au contact de la peau, d'autres lorsqu'elles sont ingérées.

Dans les eaux de la Loire et du Cher, "il semble que les cyanobactéries ont fabriqué des neurotoxines. Elles bloquent la transmission nerveuse et provoquent des convulsions, comme ce que l'on a vu chez les chiens." Les animaux sont morts par étouffement après l'arrêt de leurs organes respiratoires. 

Chez les hommes, les cyanobactéries peuvent provoquer des symptômes divers : irritation cutanée, crampes d'estomac, vomissements, nausée, diarrhée, fièvre, angine, céphalées, douleurs musculaires et articulaires, vésicules autour de la bouche ou encore atteinte hépatique, rappelle l'OMS. En revanche, les cas mortels sont marginaux. "Il n'y a pas de chiffres fiables en ce qui concerne le nombre de personnes touchées dans le monde et les seuls décès humains dus à des toxines cyanobactériennes, qui sont documentés et étayés par des preuves scientifiques, ont été causés par l'exposition durant une dialyse (eau contaminée insuffisamment traitée)", précise l'OMS.

3Comment repérer une eau contaminée  ?

Dans les lacs, les cyanobactéries se repèrent facilement car elles forment une couche verte, parfois bleutée, à la surface de l'eau. Cette masse peut mesurer plusieurs milimètres d'épaisseur dans les cas les plus importants.

Dans les rivières, elles sont plus difficiles à repérer car elles sont présentes au fond de l'eau. "Elles sont très foncées et forment de petites taches noires." Lorsque leur prolifération est intense, elles peuvent prendre la forme d'un amas spongieux qui flotte à la surface. "Il s'agit de biofilm, un assemblage de micro-organismes qui était collé à un galet dans le fond de l'eau, par exemple, et qui s'est décollé", reprend le chercheur Jean-François Humbert.

Généralement, ce sont ces biofilms qui posent le plus de problème : le risque pour les animaux de les avaler ou pour les enfants d'être en contact est plus grand. Leur présence peut conduire à des interdictions de baignade ou de pêche. Le 22 août, la préfecture du Maine-et-Loire a pris un arrêté de suspension de la pêche professionnelle afin d'éviter que tout poisson contaminé soit consommé. En revanche, les pêcheurs à la ligne sont toujours autorisés, "s'ils pratiquent la remise à l'eau", précise Mathieu Bodin, directeur de l'association des pêcheurs professionnels en eau douce du bassin Loire-Bretagne, à franceinfo.

Des cyanobactéries benthiques photographiées dans la Loire, durant l'été 2017. (JEAN FRANCOIS HUMBERT)

4Comment faire pour les éviter ?

Dans les départements touchés, les autorités recommandent de ne pas laisser les animaux boire ou se baigner, en particulier dans des eaux stagnantes, de tenir les chiens en laisse en bord de rivière, de ne pas consommer l'eau ou les poissons qui y sont pêchés et d'éviter – notamment pour les enfants – le contact avec l'eau des rivières. 

La préfecture du Maine-et-Loire recommande de se doucher et de nettoyer son matériel après des activités nautiques et d'éviter de toucher tout objet ayant été en contact avec des algues. En cas de contamination, et dès l'apparition des premiers symptômes, elle recommande de se rendre immédiatement chez le médecin.

Pour Jean-François Humbert, le meilleur moyen d'éviter les accidents est d'abord d'informer : "C'est un peu comme les champignons en forêt. On sait que certains sont très dangereux mais ça n'empêche pas d'en cueillir d'autres, parce qu'on est informés et on sait qu'on doit les vérifier avant de les consommer."

Une accumulation de biofilms dans un cours d'eau de la Loire durant l'été 2017. (JEAN FRANCOIS HUMBERT)

5Faut-il s'attendre à une "invasion" future de ces bactéries ?

Si les effets toxiques des cyanobactéries ont été repérés en Chine il y a mille ans, rappelle l'OMS, la présence de ces particules risque d'augmenter dans les prochaines années. Depuis quelques années, ce phénomène se produit régulièrement dans les gorges du Tarn, note Midi-Libre. "En Nouvelle-Zélande, une centaine de chiens sont morts en raison des mêmes cyanobactéries", affirme le chercheur.

Cette recrudescence est liée en très grande partie à l'activité humaine. Cet été, avec la période de longue sécheresse, le débit des cours d'eau a été réduit, "empêchant leur "nettoyage' naturel et permettant "le maintien et la prolifération des cyanobactéries à certains endroits", expose Jean-François Humbert. "Pour contenir ce phénomène, il faudrait provoquer des crues capables de nettoyer les cours d'eau, ce qui est assez difficile", décrit le chercheur.

L'activité humaine, via les rejets domestiques et agricoles, produit du phosphate et du nitrate qui se retrouvent dans les cours d'eau avec les pluies."Ces deux éléments sont des nutriments pour les cyanobactéries, d'où leur présence dans les lacs et rivières." Avec le réchauffement climatique, "il ne serait pas étonnant qu'on ait d'autres cas dans les prochaines années", poursuit le spécialiste. "On ne s'attendait déjà pas à ce que ça arrive dans la Loire. Il faudra mettre en place une véritable surveillance dans le futur."

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