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Une électrolyse peut-elle démontrer que l'eau minérale Cristaline contient des pesticides ?

Dans une vidéo vue plus d'un million de fois, un internaute prétend prouver que l'eau minérale de la marque est pleine de pesticides. D'après les spécialistes interrogés par franceinfo, ce test ne révèle rien d'autre que la présence de sels minéraux conducteurs.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Capture d'écran d'une vidéo, mise en ligne le 10 février 2020 sur Twitter, prétendant démontrer par électrolyse la présence de pesticides dans de l'eau Cristaline.  (TWITTER)

"Regarde bien." Un homme plonge un petit électrolyseur dans deux tasses d'eau. Il affirme que celle de gauche contient de la Cristaline et celle de droite de la Wattwiller, deux eaux minérales vendues en grande surface. Impossible à vérifier. L'homme allume l'appareil. "Il va brûler toutes les fines particules dans l'eau, commente l'auteur de la vidéo. Il va te montrer tout de suite les pesticides." Un courant électrique se met à circuler entre les deux électrodes et une réaction chimique – l'électrolyse – se produit.

Au bout de quelques secondes, l'eau dans la tasse de droite se trouble et prend une couleur brunâtre. Mais dans la tasse de gauche, le liquide devient noirâtre, et une épaisse couche de dépôt charbonneux se forme à la surface. "Regarde la Cristaline comme elle devient noire, tellement elle est bourrée de pesticides", affirme l'auteur de l'expérience. Et de conclure : "Ça, c'est le cancer !" 

La vidéo, publiée lundi 10 février sur Twitter, a été vue plus d'un million de fois en deux jours. Avant d'être brusquement supprimée. Mais que prouve réellement cette expérience électrochimique ? Est-elle vraie ou fake ? Elle n'est en tout cas certainement pas ce que l'auteur de la vidéo prétend démontrer, selon les spécialistes interrogés par franceinfo.

Une électrolyse, comment ça marche ?

Le principe scientifique de l'électrolyse est le suivant : deux électrodes sont disposées dans un liquide et mises sous tension. De l'électricité circule alors entre deux électrodes – l'anode, la borne positive, et la cathode, la borne négative. Sous l'effet du courant électrique, chacune des électrodes attire les ions (des atomes ou des molécules) de charge opposée : les anions, de charge négative, migrent vers l'anode, de charge positive ; à l'inverse, les cations se dirigent vers la cathode.

L'énergie électrique produit une double réaction chimique : une oxydation opère au niveau de l'anode, tandis qu'une réduction survient à la cathode. Dans le cas d'une électrolyse de l'eau, le liquide (H2O) se décompose. Du dihydrogène (H2) et du dioxygène (O2) s'échappent sous forme de gaz, respectivement à l'anode et à la cathode. C'est bien cette réaction chimique que montre la vidéo.

D'où provient le dépôt qui se forme ?

Cette expérience électrochimique peut générer l'apparition de dépôts dans la solution, comme ceux visibles dans la vidéo. Mais ces précipités ne se forment pas parce que l'électrolyse "brûle" les particules en suspension dans l'eau, comme l'affirme l'auteur de la vidéo. Ils sont en réalité la conséquence d'une détérioration des électrodes, attaqués par le courant électrique.

"Les dépôts de couleur qui se forment dans les eaux sont en fait l'électrode en acier ou en fer qui se dissout sous l'action du champ électrique", expose Hervé Gallard, professeur à l'Institut de chimie des milieux et des matériaux de l'université de Poitiers. "Si l'anode est en graphite, elle brûle facilement sous l'application de courants élevés", ajoute Mehmet Ali Oturan, professeur émérite au laboratoire de recherche géomatériaux et environnement de l'université Paris-Est Marne-la-Vallée. La graphite étant en outre une forme de carbone, sa décomposition en microparticules peut entraîner une coloration de la solution de couleur grise ou noire.

Car la couleur du dépôt diffère en effet selon la matière de l'électrode. "Si l'anode est en fer, elle s'oxyde en ions ferreux de couleur verdâtre. Puis les ions ferreux (Fe2+) sont oxydés au contact de l'oxygène et forment des ions ferriques (Fe3+) de couleur orangée. Si l'anode est en aluminium, elle s'oxyde également pour former une coloration marron", détaille Florence Fourcade, enseignante-chercheuse, spécialiste des procédés électrochimiques à l'université de Rennes. Voilà qui explique la formation de dépôts colorés dans l'eau des deux tasses. "Ces réactions sont plus ou moins rapides en fonction de la conductivité de la solution. Une eau minérale contient beaucoup plus de cations et d'anions, donc sa conductivité est plus élevée et on observe plus facilement ces réactions", explique l'experte.

Pourquoi le dépôt n'a pas la même couleur ?

Mais comment expliquer alors que l'un des dépôts soit noirâtre et l'autre brunâtre ? Là encore la raison est simple : si comme le dit l'auteur de la vidéo, les deux tasses contiennent deux eaux différentes. Leur composition chimique – leur teneur en sels minéraux – n'étant pas la même, la réaction provoquée par l'électrolyse diffère. "La conductivité de l'eau dépend de la concentration de ces ions – ou sels", relève Mathieu Etienne, chargé de recherche CNRS au laboratoire de chimie physique et microbiologie pour les matériaux et l'environnement de l'université de Lorraine.

L'eau de mer est par exemple plus conductrice qu'une eau de rivière parce qu'il y a plus de sel dans l'eau de mer. L'intensité de la réaction d'électrolyse dépendra donc de la quantité d'ions dans les eaux minérales testées.

Mathieu Etienne

à franceinfo

Si l'eau de droite est bien de la Wattwiller, un litre de cette eau minérale contient 11 mg de magnésium, 3 mg de calcium, autant de sodium, et 1 mg de potassium, d'après les indications fournies par la marque. Si l'eau de gauche est bien de la Cristaline, sa composition est en revanche plus difficile à déterminer. Cette eau est en effet puisée à une trentaine de sources différentes et sa composition varie selon les sites de puisage. Reste que sa teneur en sels minéraux est dans la majorité des cas très supérieure à celle de la Wattwiller.

L'eau de droite contient donc moins de sels minéraux donc moins d'ions. Elle est par conséquent moins conductrice. La réaction chimique sera donc moins intense que dans celle de gauche. "Les différences de couleurs entre les eaux s'expliquent par des différences de teneurs en sels de chaque eau. L'eau de droite est moins chargée en sels que l'eau de gauche et conduit donc moins le courant électrique. La dissolution de l'électrode est donc beaucoup plus faible. Les sels peuvent également influer sur la qualité du dépôt", détaille Hervé Gallard.

Cet appareil peut-il détecter des pesticides ?

Les électrolyseurs, comme celui utilisé dans la vidéo, peuvent être achetés pour quelques euros sur les principaux sites de vente en ligne. Ils y sont souvent présentés abusivement comme des testeurs de qualité de l'eau, alors qu'ils ne permettent que de démontrer la plus ou moins bonne conductivité de l'eau – sa capacité à véhiculer un courant électrique. Mais là encore, "un conductimètre le mesure très rapidement", oppose Mathieu Etienne. Pas besoin d'électrolyseur.

Surtout, une électrolyse ne permet pas de détecter la présence de pesticides dans l'eau. "La détection des pesticides se fait par l'analyse, avec une chromatographie en phase liquide ou gazeuse, souvent couplée à un spectromètre de masse, souligne Mehmet Ali Oturan. Lorsqu'on dégrade les pesticides par électrolyse, on les transforme en CO2. Il n'y a pas de précipité." L'électrolyse d'un liquide chargé de pesticides n'engendrerait pas non plus de changement de couleur de la solution. "Il n'y a pas de coloration des solutions", lorsqu'on soumet des pesticides à des tests électrochimiques, objecte Florence Fourcade.

Cette vidéo n'a aucune valeur scientifique. C'est simplement n'importe quoi. La personne qui a publié ce vidéo n'a aucune notion sur l'électrolyse.

Mehmet Ali Oturan

à franceinfo

Comment réagit la Cristaline ?

Contacté par franceinfo, Cristaline dénonce également les allégations mensongères et diffamatoires contenues dans cette vidéo. "Les contrôles effectués par on ne sait qui et dans on ne sait quelles circonstances ne remettent pas en cause la qualité de nos produits", fustige la marque. Le laboratoire de contrôle qualité de l'entreprise rappelle qu'un électrolyseur "ne sert ni à mesurer l'électricité de l'eau, ni la qualité de l'eau, ni quoi que ce soit d'autre" et "ne fait partie d'aucun système d'analyse de l'eau reconnu".

L'absence de pesticides dans l'eau Cristaline est contrôlée aussi bien par notre laboratoire interne accrédité par le Cofrac que par la plupart des laboratoires indépendants mandatés par les Agences régionales de santé.

Cristaline

à franceinfo

L'Anses, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, confirme que "tout comme l'eau du robinet, les eaux embouteillées font l'objet d'une surveillance par les producteurs et les distributeurs, et d'un contrôle par les autorités sanitaires".

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