Pesticides : l'eau du robinet redevient conforme dans des milliers de communes après le réexamen par l'Anses de deux molécules
Alors que la présence de pesticides dans l'eau du robinet est un phénomène d'ampleur en France, l'Anses a réévalué deux molécules très souvent détectées. Une révision à la baisse des exigences de qualité qui ne dissipe pas pour autant les incertitudes sur leur dangerosité.
Ce n'est pas en changeant de thermomètre qu'on fait tomber la fièvre. Dans des milliers de communes, l'eau du robinet, jusque-là polluée par des niveaux de pesticides élevés, pourrait soudainement devenir conforme. Non pas parce que leur qualité s'est améliorée, mais parce qu'un nouveau seuil de vigilance pourrait entrer en vigueur.
Le 30 septembre, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), spécialisée sur le sujet, a publié de nouveaux avis modifiant le statut de deux molécules, fréquemment détectées dans l'eau du robinet des Français. Il s'agit de l'ESA-métolachlore et du NOA-métolachlore, deux métabolites (c'est-à-dire des dérivés) du S-métolachlore, un herbicide largement utilisé dans la culture du maïs.
Jusque-là, ces deux métabolites étaient considérés par l'Anses comme "pertinents", autrement dit comme pouvant représenter un risque pour la santé humaine. L'eau du robinet d'une commune est déclarée "non conforme" lorsqu'une telle molécule est détectée à plus de 0,1 microgramme par litre (μg/L). Mais l'agence les classe désormais en "non pertinents", ce qui implique que leur présence dans l'eau du robinet est tolérée avec un seuil plus élevé : il passe de 0,1 à 0,9 μg/L. Des décrets d'application doivent être publiés pour que ce nouveau critère entre véritablement en vigueur.
Avec le nouveau seuil, 32 fois moins de non-conformités
Ce jeu réglementaire pourrait avoir des conséquences d'ampleur, étant donné que l'ESA-métolachlore est l'une des molécules les plus fréquemment trouvées dans l'eau du robinet. Entre janvier 2021 et juillet 2022, les deux molécules en question avaient été détectées à plus de 0,1 μg/L dans 6 858 prélèvements. Mais si on utilise le nouveau seuil de 0,9 mg/L, on ne dénombre plus que 210 dépassements. Soit 32 fois moins, d'après les calculs de franceinfo, réalisés dans le sillage d'un travail en collaboration avec le magazine "Complément d'enquête" en septembre, et des publications du Monde sur le sujet. D'après l'association Générations futures, avec un tel seuil, "97% des eaux distribuées déclarées non conformes suite à un dépassement de la valeur de qualité pour l'ESA-métolachlore, redeviendraient conformes". Un "tour de passe-passe", selon elle.
Comment expliquer ce changement d'étiquette ? L'Anses considérait auparavant l'ESA-métolachlore et le NOA-métolachlore comme "pertinents", donc potentiellement dangereux, car les données fournies par Syngenta, industriel commercialisant le pesticide en question, ne permettaient pas d'écarter la génotoxicité (la capacité à affecter l'ADN) des deux molécules. Le principe de précaution s'appliquait. Mais fin 2021, Syngenta a transmis de nouvelles études concernant la génotoxicité des deux métabolites. Après les avoir examinées, l'Anses a estimé que ces récentes données permettaient de lever le doute sur ce point.
En revanche, plusieurs observateurs alertent : on manque toujours de données pour connaître la dangerosité de ces molécules concernant la reproduction, leur aspect cancérogène ou leur potentiel de perturbation endocrinienne. Sur ces trois points, le principe de précaution ne s'applique pas. "Nous déplorons cette décision, juge Pauline Servan, de Génération futures, contactée par franceinfo. Alors qu'on ne dispose pas de données pour ces trois critères, l'Anses arrive à dire que ces métabolites ne présentent pas de risque pour les consommateurs. Pourtant, une molécule peut être cancérogène sans être génotoxique. Et des personnes vulnérables y sont potentiellement exposées quotidiennement."
Un possible revirement européen
Autre point de critique : l'Anses mène ses évaluations à partir d'études fournies par les industriels. "Ce sont les producteurs de pesticides qui fournissent des nouvelles données pour invalider le fait que leur molécule soit dangereuse. Ils sont à la fois juges et parties prenantes. Comment reconquérir la confiance des citoyens sur la consommation de l'eau potable ? C'est catastrophique d'un point de vue de la communication", pointe Mickaël Derangeon, vice-président d'Atlantic'Eau, syndicat de l'eau en Loire-Atlantique.
Contactée par franceinfo, l'Anses n'avait pas répondu à nos questions au moment de publier cet article. Auprès du Monde, l'agence a expliqué (article réservé aux abonnés) "avoir scrupuleusement suivi le schéma d'évaluation qu'elle a établi en 2021 pour évaluer la pertinence, ou la non-pertinence, des métabolites de pesticides".
Mais ce dossier pourrait connaître un nouveau rebondissement dans les prochains mois. Le S-métolachlore, pesticide dont sont issus les deux métabolites déclassés par l'Anses, fait actuellement l'objet d'une réévaluation au niveau européen. Et l'agence sanitaire française est claire sur le sujet, y compris dans ses avis : la pertinence du métabolite pourrait de nouveau être modifiée. "Si le S-métolachlore était classé comme perturbateur endocrinien, il serait nécessaire de réévaluer le classement de la pertinence pour le métabolite ESA", notent les auteurs.
En attendant, des acteurs locaux craignent un retour en arrière sur des années de sensibilisation et d'investissements onéreux des collectivités pour redonner à l'eau un niveau de qualité. "Sur le terrain, on a déjà du mal à faire admettre qu'il y a un problème de santé publique, déplore Mickaël Derangeon. Et là, on nous dit que tous les efforts depuis plusieurs années n'ont servi à rien, parce qu'il n'y a plus de risque".
Vous pouvez également consulter notre moteur de recherche pour savoir si des dépassements en ESA-métolachlore et en NOA-métolachlore au-delà du seuil de 0,9 μg/L ont été constatés dans votre commune.
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