Mobilisation contre les mégabassines : ce qu'il faut savoir de cette semaine de manifestations sous haute tension
Dans un marais poitevin de plus en plus exposé à des épisodes de sécheresse, du fait du réchauffement climatique causé par les activités humaines, la question du partage de la ressource en eau divise. Depuis mardi 16 juillet, quelque 4 500 personnes ont répondu à l'appel de 120 organisations, associations, syndicats et collectifs – dont Bassines Non Merci (BNM), les Soulèvements de la Terre, Attac, l'Union syndicale Solidaires et la Confédération paysanne – pour une semaine de mobilisation dans les Deux-Sèvres, contre des projets de mégabassines.
Réclamées par des agriculteurs locaux, ces structures sont, pour leurs détracteurs, un exemple de "maladaptation" susceptible d'aggraver l'état des nappes phréatiques. Les opposants mettent en avant le soutien que leur portent certains hydrologues, notamment le collectif des Scientifiques en rébellion, qui désapprouvent aussi ces projets de mégabassines, et appellent à manifester pour "arracher un moratoire" sur leurs constructions.
A l'approche de nouvelles "actions", les autorités affirment jeudi 18 juillet redouter des violences en marge de cette mobilisation.
Un campement pour protester contre les mégabassines
Chapiteaux géants, stands, une "mégacantine", un bar, des espaces de camping, ou encore une "bambinerie" pour les enfants... Le campement des opposants aux projets de mégabassines, baptisé "village de l'eau", est en place jusqu'à dimanche sur la commune de Melle (Deux-Sèvres), sur un terrain de dix hectares. Tables rondes, discussions ou encore formations, s'y déroulent dans une atmosphère de festival. Le tout sous la surveillance de 277 gendarmes.
Lors d'une conférence de presse jeudi, le commandant de la région de gendarmerie en Nouvelle-Aquitaine, Samuel Dubuis, a déclaré que 10 000 contrôles ont été effectués dans la semaine aux abords des festivités. Les gendarmes ont saisi 1 600 "matériels", dont la moitié considérés comme des "armes par destination" (haches, couteaux, barres à mine, outillages...), a-t-il précisé, mentionnant aussi des matériels de "protection" (casques, masques, lunettes). La veille, le procureur de Niort avait déclaré à France Inter que les forces de l'ordre avait récupéré 400 "objets dangereux", citant des boules de pétanque, des artifices ou encore des liquides inflammables.
Déjà hôte en mars 2023 d'un rassemblement militant contre les mégabassines, le maire sans étiquette de la commune Sylvain Griffault, comptait vendredi dernier sur les responsabilités de chacun dans le bon déroulement de cette semaine. "Choisir d'accueillir ce village-là, après celui de mars 2023 qui, à Melle, s'est bien passé, ne faisait pas forcément de doute pour moi", déclarait-il à France 3 Nouvelle-Aquitaine"Il n'y a pas de raison, si tout le monde garde son sang-froid et son calme, que ça dérive vers quelques événements fâcheux que ce soit."
Car si le rassemblement de Melle a laissé de bons souvenirs à l'édile, les manifestations organisées en parallèle à une quinzaine de kilomètres de là, sur la commune de Sainte-Soline, ont donné lieu à des scènes de violences impressionnantes entre les forces de l'ordre et les manifestants en 2023.
Deux manifestations et une contre-manifestation, toutes non autorisées
Outre les activités autorisées dans le cadre de ce "village de l'eau", deux "actions" ont été annoncées par les organisateurs. La première, prévue vendredi à Saint-Sauvant (Vienne), se tiendra sur le site d'une future bassine. La seconde aura lieu samedi devant le terminal agro-industriel du port de La Rochelle (Charente-Maritime). Ces deux événements n'ont pas reçu l'autorisation des autorités. La préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée, a donc appelé jeudi en conférence de presse les participants à "rester au village de l'eau". "A ceux qui voudraient malgré tout défier les mesures prises, je le redis avec gravité : il est responsable de ne pas participer à ces manifestations interdites", a ajouté la représentante de l'Etat.
"Dans un contexte de restrictions des libertés politiques, nous revendiquons notre droit de nous opposer aux projets d'accaparement de l'eau", ont réaffirmé les militants anti-mégabassines dans un communiqué jeudi matin. En mai, date de la dernière mobilisation similaire organisée cette fois dans le Puy-de-Dôme, une marche autorisée par la préfecture n'avait d'ailleurs donné lieu à aucun incident, avait constaté France 3 Auvergne-Rhône-Alpes.
En vue du rassemblement à Saint-Sauvant, la préfecture de la Vienne a interdit dès mardi "toute manifestation" sur la commune et ses alentours, arguant dans un communiqué que "les dernières manifestations non déclarées de ces mêmes organisateurs ont donné lieu à des débordements violents, avec des atteintes aux biens et aux personnes, et plus particulièrement des atteintes inacceptables aux forces de l'ordre". Des accusations balayées par les associations, qui ont alors répondu "ne pas avoir pour intention de s'en prendre ni à des agriculteurs, ni à leurs fermes." Le même jours, les Soulèvements de la Terre ont ainsi renouvelé leur intention de participer à "une grande marche pour obtenir un moratoire" sur les projets de mégabassines, accusant le préfet "d'attiser les peurs et les tensions".
Pour sa part, la préfecture de Charente a expliqué mardi dans un communiqué "rester dans l'attente de la déclaration officielle des rassemblements annoncés" samedi, et a rappelé que "toutes les dispositions utiles seront prises afin d'assurer la sécurité des personnes et des biens au cours de cette journée".
Des "actions de sabotage" relevés par la gendarmerie
La préfète a également appelé jeudi les riverains et exploitants agricoles "à rester calmes" et "en cas d'inquiétude pour leurs biens, à ne pas chercher à intervenir par eux-mêmes." Et ce, alors que des "actions de sabotage" se sont produites en marge du rassemblement, occasionnant des "dégradations mineures" sur des systèmes d'irrigation ou des cabanes de chantier, a indiqué le général Dubuis.
Surtout, les autorités prônent la retenue après que la Coordination rurale a appelé mardi à "protéger les fermes" face aux "groupuscules écologistes". "Le maire de Melle m'a dit qu'il avait très peur de cet appel", a souligné Emmanuelle Dubée, réitérant que toute personne pénétrant dans un périmètre interdit "encourait des sanctions pénales".
La Coordination rurale a aussi annoncé une contre-manifestation "pacifique et déterminée" vendredi à Melle, "aux côtés des forces de l'ordre". Cependant, la préfecture des Deux-Sèvres n'avait reçu mardi après-midi "aucune déclaration" de manifestation du syndicat agricole. "En tout état de cause", l'arrêté préfectoral interdisant les rassemblements non déclarés dans le département de vendredi à dimanche "s'applique à tous les organisateurs envisageant un rassemblement revendicatif", avait-elle conclu.
Un important dispositif policier, comparable à celui déployé à Sainte-Soline
Dans les trois départements (les Deux-Sèvres, la Vienne et la Charente), plus de 3 000 gendarmes et policiers sont mobilisés, selon le dispositif décrit lundi par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en déplacement à Niort. Jeudi, les autorités ont annoncé que, parmi les 4 500 personnes arrivées dans les Deux-Sèvres depuis mardi, figurent "10% de black blocs", dont 123 "fichés S". Des personnes "connues des services pour activisme violent ou ayant des antécédents judiciaires lors de manifestations", selon le commandant Samuel Dubuis.
"S'il devait y avoir des blessés", une éventualité "à prévoir au vu du risque d'affrontements et du profil des personnes" présentes à Melle, la préfète a invité "tout le monde à avoir recours aux services de secours officiels" en appelant les numéros d'urgence. Quelque 150 sapeurs-pompiers et une cinquantaine de véhicules sont mobilisés, ainsi qu'un hélicoptère bombardier d'eau, a détaillé le directeur du service départemental d'incendie et de secours dans les Deux-Sèvres, Thibault Niderlender, évoquant un risque de feux dans les champs environnant les manifestations.
De violents heurts avaient opposé manifestants radicaux et gendarmes en mars 2023 lors d'une précédente manifestation autour de la "bassine" de Sainte-Soline, proche de Melle, faisant des blessés de part et d'autre, dont deux manifestant restés un temps dans le coma. Les forces de l'ordre, circulant pour certains à bord de quads, avaient tiré plus de 5 000 grenades lacrymogènes en moins d'une heure et demie pour disperser les manifestants.
La Ligue des droits de l'Homme, qui déploiera de nouveau des observateurs à l'occasion de ces rassemblement, avait réagi en dénonçant "un usage immodéré et indiscriminé de la force" de la part des gendarmes et des "entraves au secours" des blessés. De faits démentis par les autorités.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.