Reportage "La transformation doit aussi venir de l'intérieur" : quand ces étudiants ingénieurs poussent leur école à s'adapter à l'urgence climatique

Depuis deux ans, l'école d'ingénieurs Centrale Nantes renouvelle ses formations pour y intégrer des enjeux environnementaux, face à l'urgence climatique. Un mouvement initié par les étudiants eux-mêmes.
Article rédigé par franceinfo
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Une manifestation à l'appel du mouvement Youth for Climate, à Paris, le 19 mars 2021. (THOMAS PADILLA / MAXPPP)

C’était il y a presque deux ans : des élèves en ingénierie, baptisés "bifurqueurs" appelaient les grandes écoles à revoir leurs formations et partenariats avec des grands groupes, pour les aligner sur l’urgence climatique. Depuis, le mouvement a poussé des écoles d’ingénieurs à se remettre en question et accélérer leur transition. À Centrale Nantes, la direction a lancé en 2022 une formation dédiée à la "low-tech", ou comment concevoir de manière plus durable et sociale.

"Pour l’école, c’est un changement de paradigme", reconnaît le responsable du cursus, Jean-Marc Benguigui. "Dans cette formation nous ne sommes pas dans la quête du progrès technique à tout prix, mais davantage un progrès social. On essaye de faire des choix de matériaux pour réduire l’impact et surtout, c’est une question centrale dans la low-tech, on s’interroge sur l’intérêt du produit qui nous est demandé. Est-ce qu’il répond vraiment à un besoin essentiel ?" Pendant cette formation, les 12 étudiants réinterrogent donc la nature même du métier d’ingénieur autour d’un projet, consacré cette année à la réduction de l’impact environnemental des bateaux de course.

"Il faut arrêter de saccager la planète."

Julien, étudiant de la filière low-tech

à franceinfo

Ces étudiants, sans surprise, sont déjà sensibilisés aux questions environnementales, certains se qualifient d’ailleurs eux-mêmes de "militants". C’est le cas de Julien, qui rêve d’une ingénierie plus durable : "Les ingénieurs jusqu’ici fabriquent des objets parce qu’on leur commande. Les gens veulent rouler dans de gros SUV, alors les ingénieurs conçoivent des gros SUV. Mais, si demain, tout le monde veut un four solaire en bois, il y a aura plein d’ingénieurs pour en concevoir."

Ces convictions affirmées sont partagées par Émile, autre élève de la formation qui espère pouvoir changer de l’intérieur les grandes entreprises. "Actuellement, je fais mon stage chez Orange, explique le jeune homme. J’essaie de voir comment on peut accompagner ces grands groupes, qui n’ont pas un modèle soutenable, vers un modèle plus écologique et social. La transformation doit aussi venir de l’intérieur."

Un mouvement initié par les étudiants

Ces discours, encore extrêmement rares, voire inexistants, il y a dix ans, se multiplient. Ce sont eux qui ont poussé Centrale Nantes à revoir ses formations. "On a vu apparaître ces prises de position vers 2018, et les premiers étudiants ont libéré la parole des suivants", raconte Jean-Marc Benguigui. "Nos jeunes ont vraiment envie que les écoles s’adaptent au monde d’aujourd’hui et que les enseignements intègrent tous les aspects environnementaux. Ce sont les étudiants qui nous ont aidés à changer et à remettre en question nos enseignements."

L'école a d'ailleurs lancé en 2023 deux autres cursus autour des énergies renouvelables, du contrôle et de la gestion de l'énergie. Ils s’ajoutent aux six autres formations accès sur les enjeux environnementaux. À la rentrée 2024, tous les enseignements du tronc commun aborderont cette question.

Un "intérêt grandissant" de la part des entreprises

Reste à savoir désormais si cette formation "low-tech" intéresse les entreprises ou collectivités. Jean-Marc Benguigui évoque un "intérêt grandissant et bien réel", ce que confirme Ilan Vermeren, l’un des premiers diplômés de ce cursus.

Après un stage de six mois au Brésil, consacré à la conception d’un four au biochar (une poudre de charbon de bois), il travaille aujourd’hui au Dôme de Caen, un centre de culture scientifique, où il est chargé, notamment, de promouvoir la low-tech en Normandie. "Ça intéresse énormément de monde, explique Ilan Vermeren. Nous vivons dans un monde où nos chaînes d’approvisionnement sont de plus en plus tendues, et revenir à un niveau technologique plus bas permet aux grands groupes d’être plus résilients face à ces contraintes, par exemple en apprenant à se passer des métaux rares, indispensables aujourd’hui dans la fabrication des smartphones." 

Preuve d’un intérêt naissant parmi les grands groupes, citons parmi d’autres la création récente par Airbus d’un poste de chef de projet chargé de développer la low-tech dans l’assemblage des avions.

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