"Avec Rockwool, c'est la fin des haricots" : dans l'Aisne, des habitants de Courmelles mobilisés contre un projet d'usine de laine de roche
Des habitants de Courmelles, un village de 1 800 habitants à côté de Soissons (Aisne) se mobilisent samedi 3 juin pour s'opposer à l'implantation d'une usine de laine de roche qui doit pourtant créer 130 emplois dans la zone d'activité de la commune. Cette marche est la troisième mobilisation contre ce projet.
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Le maire a été contraint de signer le permis de construire, son refus de le faire ayant été cassé par le tribunal administratif. L'Europe, l'Etat, la Région ont validé et financent le projet à hauteur de plus de 12 millions d'euros mais sur place, l'opposition ne veut pas désarmer.
Sur le papier, l'affaire a belle allure. C'est même un exemple de réindustrialisation dans un bassin qui a perdu des milliers d'emplois à la fin du siècle dernier et peine à en retrouver. Le chômage reste un peu supérieur à la moyenne nationale. De plus, la production de laine de roche, en l'occurrence à partir de basalte, a un debouché tout trouvé et écologique : un isolant utilisé surtout pour la rénovation thermique des bâtiments, une bénédiction donc à l'heure des économies d'énergie et de la lutte contre les passoires énergetiques.
Des polluants qui inquiètent médecins et pharmaciens de la région de Soissons
Même si c'est une réindustrialisation à but écologique, cela ne tient pas pour Yannick, peintre en bâtiment dont la maison est à quelques centaines de mètres en contrebas du lieu où doit s'implanter l'usine. "Si je vends ma maison, vous pensez vraiment que des gens vont acheter une maison, au prix qu'elle vaut, s'il y a une usine polluante à côté ? Je ne pense pas. À leur place, je ne sais pas si j'achèterais ou alors je ferais baisser le prix. J'espère que ça ne se fera pas. Je pense qu'il y a d'autres endroits pour mettre une usine polluante", estime-t-il.
Yannick a peint un immense panneau devant sa maison où il est écrit : "Avec Rockwool, c'est la fin des haricots". Ce message fait allusion à une variété locale, le haricot de Soissons. Cet homme s'inquiète, comme de nombreux habitants, de la pollution. Ce sentiment est aussi partagé par une centaine de médecins, pharmaciens, et sages-femmes de l'agglomération de Soissons. Ils se sont positionnés contre cette implantation.
"L'usine est totalement dangereuse du fait de la production de polluants particulièrement toxiques pour les poumons, d'après Elisabeth Tuloup, allergologue à l'hôpital de Soissons. D'autres polluants sont aussi des perturbateurs endocriniens".
"Le phénol qui fait partie des polluants dégagés par cette usine est dangereux."
Elizabeth Tuloup, allergologue à l'hôpital de Soissonsà franceinfo
"On a aussi de l'ammoniac qui est un irritant au niveau pulmonaire, dangereux pour les asthmatiques, pour les personnes porteuses d'une fragilité pulmonaire ou de BPCO. On va avoir une augmentation de la dangerosité et de la pathologie. Le vent va emporter ces polluants mais lorsqu'il y a de la pluie, les polluants tombent par terre, ils sont rabattus dans la vallée de l'Aisne où il y a Soissons et donc 30 000 habitants qui vont respirer ces polluants, on ne peut pas imaginer que ces polluants vont disparaître comme ça", analyse-t-elle.
L'usine est aussi critiquée pour son impact local. Elle est censée ne pas faire de bruit, ne pas dégager de mauvaise odeur mais elle va être une grosse consommatrice d'electricité et d'eau. L'eau est le contre-argument écologique que brandit le maire de Courmelles. Arnaud Svrcek est prêt à renoncer à la prime d'aménagement de 400 000 euros que toucherait la commune, et aux milliers d'euros de contribution annuelle de l'entreprise : "Il y a une demande pour prélever 20 m3 à l'heure sur le réseau, à une période où le préfet m'envoie un courrier pour me dire "attention, on est en risque de sécheresse". On sort d'une sécheresse hivernale qui est inédite dans notre région. On demande à chacun de faire attention, d'être vertueux".
"La ressource en eau n'est pas plus à Rockwool qu'à mes administrés."
Arnaud Svrcek, maire de Courmellesà franceinfo
"Pourquoi certains auraient plus le droit d'utiliser l'eau que d'autres ? Ce n'est pas entendable, ce n'est plus entendable", assure l'élu. De son côté, Rockwool dément le chiffre de 20 m3 à l'heure et parle plutot de 10 m3 qui seront en partie fournis par un bassin de récupération d'eau de pluie. Pour le reste, la firme danoise se retranche derrière les autorisations obtenues de la préfecture malgré l'avis défavorable du commissaire enquêteur.
"Rockwool est un industriel présent en France depuis 40 ans. On a une usine dans le Puy-du-Dôme avec trois lignes de fabrication en coeur de ville. Cela fait 80 ans qu'on opère aussi des lignes de fabrication de laine de roche un peu partout dans le monde. On a aucun problème de santé ou de salubrité aux alentours de nos sites et tout cela est démontré par nos études. Pour aller plus loin, on a pris des engagements supplémentaires qui sont de faire, par un organisme tiers, des mesures annuelles de qualité de l'air, et même d'installer une station fixe de qualité de l'air où le territoire le décidera, puisque nous sommes vraiment sûrs de notre absence d'impact sur la qualité de l'air", explique Matthieu Biens, directeur marketing et développement de Rockwool pour l'Europe du sud.
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Malgré tout cela, le permis de construire est signé. La dernière procédure en route concerne les espèces protégées, comme les rapaces, les chauves-souris qui nichent en partie sur ce terrain. Le tribunal administratif doir se prononcer dans les prochaines semaines. En cas d'avis positif, les travaux pourraient débuter avant la fin de l'été.
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