Laine de roche: l'usine de la discorde
Depuis quelques mois, sur les maisons de la petite commune de Courmelles (Aisne), fleurissent d’étranges pancartes contre une multinationale danoise: Rockwool. Ce groupe produit de la laine de roche, un isolant et veut installer une usine dans ce village des Hauts-de-France. La majeure partie des habitants et le maire s’y opposent. Ils redoutent les pollutions que pourrait engendrer le site.
Pour Arnaud Svrcek, la lutte dure depuis plus de deux ans. Le maire de Courmelles refuse de délivrer le permis de construire à Rockwool, un fabricant de laine de roche qui veut s'installer sur sa commune. "Aussitôt là, derrière les bosquets, on arrive sur le terrain de 40 hectares acheté par la société Rockwool, décrit l'élu de la commune de 1800 habitants. On associera l'usine au village et je pense que ce sera un cadeau empoisonné". Le maire est aussi agriculteur et il redoute l'éventuel impact environnemental du projet Rockwool.
Il existe des incertitudes quant aux produits les plus dangereux qui n’ont pas été évalués (...)
Sur les images de synthèse fournies par la société, on distingue l'imposant complexe que veut bâtir le groupe. Un projet à 135 millions d’euros. Selon l'étude d'impact commandée par Rockwool dans l'optique de la construction du site, la future usine pourrait rejeter jusqu’à 800 tonnes de produits polluants dans l’air chaque année, parmi lesquels de l’ammoniac, du dioxyde de soufre ou encore du cobalt. Dans le document que nous avons pu consulter, des informations ne sont pas mentionnées.“Pas de donnée disponible” indique ainsi l'étude sur l’impact de l’acide chlorhydrique, par exemple. Des inconnues que pointe l’enquête publique: “Il existe des incertitudes quant aux produits les plus dangereux qui n’ont pas été évalués (...), leurs conséquences lorsqu’ils se combinent entre eux (effet cocktail) ne sont pas évoquées”, écrit le commissaire-enquêteur dans ses conclusions, avant de rendre un "avis défavorable" sur le projet. Une recommandation que n’a néanmoins pas suivi la préfecture de l’Aisne. Après consultation de l’agence régionale de santé, le préfet a donné son aval au site Rockwool au motif que les valeurs de rejet de polluants sont inférieures aux limites officielles autorisées. Cet accord des autorités est aujourd'hui le principal argument de Matthieu Biens, le directeur marketing de Rockwool. "La France est très stricte dans ce domaine. Tout est fait pour que les niveaux de dangerosité protègent les populations les plus fragiles, veut rassurer le cadre de Rockwool. Sur nos différents composés, on est toujours 100 fois, 1000 fois inférieurs aux limites de dangerosité".
Selon le groupe danois, l’impact sur l’environnement serait donc limité. Mais pour les opposants au projet, cela n’écarterait pas le danger pour la santé publique. En octobre dernier, plusieurs centaines de personnes ont manifesté contre la multinationale. Et aujourd’hui, 146 médecins, pharmaciens et sage-femmes tirent la sonnette d’alarme. Selon eux, dans la liste des polluants recensés, certains seraient dangereux, peu importe la quantité rejetée. Maryse Vasseur, médecin généraliste à Soissons, prend ainsi l'exemple du formaldéhyde - "un perturbateur endocrinien", précise-t-elle. D’après les prévisions, Rockwool pourrait en rejeter chaque année plus de 21 tonnes."Il y a un effet à très faible dose. Et si la période qui respire ça est en période de grossesse ou si c'est un enfant de moins de trois ans, le risque de problème de santé est accru", indique la médecin. Interrogé sur le formaldéhyde, Rockwool indique que les rejets seront non-détectables après leur émission.
500 emplois directs et indirects à la clé
Si le projet va à son terme, la société assure pouvoir créer 500 emplois directs et indirects. Cette promesse de développement économique dans un bassin lourdement touché par la désindustrialisation conduit-elle certains élus à ignorer les inquiétudes et les alertes d’une partie de la population? "Pas du tout, répond Alain Crémont, le maire divers droite de Soissons et président de Grand Soissons agglomération favorable au projet Rockwool. Au delà de mon rôle d'élu, moi aussi j'ai des enfants, moi aussi j'ai des petits-enfants. S'il y avait le moindre risque, je ne le prendrais pas".Si le projet Rockwool aboutit, la firme s’est engagé à réaliser des contrôles réguliers sur la qualité de l’air. Le maire de Courmelles lui, a été condamné par le tribunal administratif à réexaminer son refus d’accorder le permis de construire.
Parmi nos sources (liste non-exhaustive):
Groupe Rockwool
ARS Hauts-de-France
Préfecture de l'Aisne
Etude d'impact sur le projet Rockwool
Conclusions et avis de l'enquête publique
Article de L'Obs, 6 janvier 2023, "le combat d'un maire contre une multinationale et son usine"
Reportage de France 3, octobre 2022. "Manifestation anti-rockwool"
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