Justice climatique : ces États déjà condamnés pour inaction ou manquements à leurs obligations

La Suisse vient d'être condamnée mardi par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour inaction climatique. Une décision historique mais loin d'être isolée : d'autres États ont déjà été épinglés en matière de lutte contre le réchauffement.
Article rédigé par Louis Mondot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Des militants écologistes devant la Cour européenne des droits de l'homme, le 9 avril, à Strasbourg (Bas-Rhin). (FREDERICK FLORIN / AFP)

Dans un arrêt historique rendu mardi 9 avril, la Suisse a été condamnée par la CEDH, la Cour européenne des droits de l'Homme. C’est la première fois que cette institution condamne un État pour inaction climatique, après une requête de 2 500 femmes âgées dénonçant des "manquements des autorités suisses pour atténuer les effets du changement climatique". La Cour a notamment jugé que la Suisse portait atteinte à plusieurs droits fondamentaux définis par la Convention européenne des droits de l’Homme. Mais d'autres États ont déjà été condamnés par la justice de leur propre pays, ou par une instance de l'Union européenne (UE) sur des questions climatiques.

La Bulgarie visée pour sa qualité de l'air

C’est le premier État de l'UE à être condamné sur la question de la pollution atmosphérique par la Cour de Justice de l’UE (CJUE), un organe qui veille au respect de la législation européenne dans tous les États-membres. Dans son arrêt en avril 2017, la Cour évoque le "non-respect systématique et persistant" entre 2007 et 2013 de valeurs limites en particules fines dans plusieurs villes, dont la capitale Sofia. Or des seuils en particules fines et en dioxyde d'azote sont fixés par une directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air. Les condamnations sur cette même directive vont d'ailleurs se succéder. Citons par exemple la Pologne en février 2018, l’Italie en novembre 2020, l’Allemagne en juin 2021…

La France a également été condamnée par la CJUE. En octobre 2019, elle estime que la France n’avait pas fourni assez d’efforts pour lutter contre la pollution de l’air, précisément sur la valeur limite annuelle de dioxyde d’azote. En mai 2022, la France est à nouveau épinglée par la CJUE sur la même directive, pour avoir dépassé "de manière systématique et persistante" des seuils de particules fines à Paris et en Martinique.

La France, multicondamnée

Si la France passe cette fois entre les mailles du filet de la CEDH, elle a déjà un certain passif en matière de condamnations. En 2017, le Conseil d’État enjoint le gouvernement à prendre d’urgence des mesures pour "respecter les seuils européens de pollution de l’air dans plusieurs zones urbaines de France" après un recours des Amis de la Terre et d’autres associations. Il est reproché à l'État français de ne pas respecter les seuils autorisés de concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10. Face à des manquements, le même Conseil condamne l’État à des astreintes de plusieurs millions d’euros successivement en 2021, 2022 et 2023.

L'autre dossier s'appelle "l'Affaire du siècle", portée par quatre ONG, dont Oxfam et Greenpeace. Le tribunal administratif de Paris condamne l’État en février 2021 pour "carences fautives", plus précisément, pour non-respect d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 2015 et 2018. L’État doit verser un euro symbolique aux associations requérantes pour "préjudice moral". En octobre 2021, l’État est à nouveau condamné, cette fois-ci à "réparer le préjudice écologique" d’ici fin 2022. Fin 2023, dans un nouveau jugement, le tribunal considère que l’État "avait adopté ou mis en œuvre des mesures de nature à réparer le préjudice en cause".

Aux Pays-Bas, une condamnation inédite

En 2014, l’ONG environnementaliste Urgenda et plus de 850 citoyens déposent un recours devant la justice néerlandaise pour faire en sorte que l’État réduise ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25% d’ici à la fin de 2020 par rapport aux niveaux de 1990. L’État est condamné en 2015, c’est alors la première fois que des citoyens arrivent à faire reconnaître la responsabilité d’un gouvernement pour inaction climatique. Il dépose deux recours, tous deux rejetés. Les Pays-Bas sont définitivement condamnés en 2019 par la Cour suprême du pays. Mais la décision ne prévoit aucune contrainte pour obliger l’État à respecter ses objectifs.

La Belgique face à 58 000 citoyens

La décision tombe alors que vient de s’ouvrir la COP28 à Dubaï en novembre 2023. La justice belge condamne le gouvernement fédéral et deux des trois régions du pays (Flandre et Bruxelles-Capitale) pour ne pas avoir suffisamment agi contre le réchauffement climatique. C’est ce qu’on appelle là-bas "l’affaire Climat", menée par l’association du même nom et 58 000 citoyens. Ils réclamaient que l’État et ses trois régions baissent leurs émissions de 61% d’ici à 2030, sous peine d’astreintes d’un million d’euros. Dans son jugement, la cour d’appel de Bruxelles estime que par leur inaction, ces autorités ont violé deux articles de la Convention européenne des droits de l’homme : "le droit à la vie" et "le droit au respect de sa vie privée et familiale, du son domicile et de sa correspondance". La Cour oblige les trois autorités à réduire leurs émissions d’au moins 55% en 2030 par rapport à 1990, sans toutefois appliquer d'astreintes.

En Allemagne, les émissions pointées du doigt

Hasard du calendrier, l’Allemagne a aussi été condamnée le jour de l’ouverture de la COP28. Après une requête de deux associations écologistes, la justice allemande juge fin novembre 2023 que l’État fédéral n’avait pas assez réduit ses émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs du transport et du bâtiment. Le pays avait déjà été épinglé par sa Cour constitutionnelle en avril 2021 : elle avait jugé que la loi de protection du climat était insuffisante et avait ordonné au gouvernement de revoir à la hausse ses engagements.

Une loi annulée dans le Montana

Aux États-Unis, 16 jeunes ont remporté un procès historique contre l’État du Montana en août 2023. Ils parviennent à faire annuler une loi favorable à l’industrie des énergies fossiles. Une clause locale permet de contourner l’impact des émissions de gaz à effet de serre lors de l’attribution de permis à des entreprises liées à ce secteur. Or la Constitution du Montana est censée garantir "le droit à un environnement propre et sain", notamment pour les générations futures, plaidaient les jeunes requérants. La loi a donc été déclarée inconstitutionnelle par une juge de l'État.

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