Interview "Ce n'est pas le Far West" : la Russie a-t-elle le droit d'exploiter les réserves de pétrole dans l'Antarctique ?

Selon la presse anglaise, la Russie aurait découvert d'énormes réserves de pétrole dans l'Antarctique. Mais chaque pays peut-il faire ce qu'il souhaite dans cette région ? Pas vraiment, puisque des règles existent.
Article rédigé par Louis Mondot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Un navire de recherche colombien dans le détroit de Gerlache, qui sépare l'archipel Palmer de la péninsule Antarctique, le 20 janvier 2024. (JUAN BARRETO / AFP)

La Russie aurait repéré de gigantesques réserves de pétroles sur le "Continent blanc", a rapporté mi-mai la presse britannique, notamment The Telegraph. Mais est-ce qu'elles lui appartiennent ? En réalité, les pays présents dans l'Antarctique ne peuvent pas interagir avec les ressources naturelles comme bon leur semble. "On a un cadre qui existe, ce n'est pas le Far West", insiste Anne Choquet, enseignante-chercheure, présidente du Comité national français des recherches arctiques et antarctiques, livre quelques éléments pour comprendre comment fonctionne cette région du globe.

franceinfo : En quoi l'Antarctique est particulière sur le plan juridique ?

Anne Choquet : La gestion se fait sur la base d'un traité international qui est le traité sur l'Antarctique, adopté en 1959. L'Antarctique est alors réservée aux seules activités pacifiques. Donc on pourrait très bien imaginer avoir l'exploitation des ressources et d'autres activités, comme le tourisme. En 1991, c'est la signature du protocole de Madrid. Un protocole relatif à la protection de l'environnement, qui oblige à faire des évaluations d'impact sur l'environnement et interdit les activités relatives aux ressources minérales, sauf à des fins scientifiques. 

Est-ce qu'il y a des craintes que ce protocole soit contourné par des États ?

Bien sûr, mais il faut faire attention à ce qu'on lit dans certains médias. On lit souvent l'idée qu'à partir de 2048, il sera possible d'exploiter les ressources minérales en Antarctique, mais c'est bien plus compliqué que ça. Actuellement, si on veut faire lever l'interdiction d'exploitation des ressources minérales, il faudrait l'accord de toutes les "parties consultatives", c'est-à-dire des 29 États signataires du traité sur l'Antarctique qui ont un droit de vote, et dont la France fait partie. À partir de 2048, la procédure de décision entre États change, mais reste très stricte. Il ne faut plus le consensus des 29 États mais 26 d'entre eux. Il faudra aussi un nouveau traité, donc un nouveau régime juridique qui explique comment on peut exploiter les ressources minérales.

Mais actuellement, il peut déjà y avoir des tentatives de contournement de la législation ?

Ça peut être n'importe quel pays. Je suis membre de la délégation de la France pour les réunions du traité sur l'Antarctique, donc je n'ai pas à prendre position par rapport à un autre État, surtout que des négociations sont en cours. Mais c'est comme pour tout traité international, la difficulté, on le voit bien avec le conflit entre l'Ukraine et la Russie, c'est la mise en œuvre des traités. Comment fait-on pour qu'un traité soit adopté ? Pour autant, il y a des garde-fous parce qu'il y a des discussions au niveau des États, des associations de protection de l'environnement, des tribunaux... On a aussi, au sein du système du traité sur l'Antarctique, un mécanisme d'observateurs : ce sont des inspections d'un État par un autre État. Par exemple, on a tous les ans des inspections faites sur des stations, des navires, et d'autres lieux pour voir si le traité est respecté. La difficulté, c'est que la frontière entre recherche scientifique et exploration est souple.

Plus largement, est-ce qu'il y a des conflits territoriaux dans cette zone ?

Vous avez sept États qui ont des prétentions territoriales : la France, le Royaume-Uni, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, l'Argentine, le Chili et l'Australie. Soit sur la base de la découverte, soit sur un prolongement du territoire vers l'Antarctique. Et il y a des États qui vont accepter ces prétentions territoriales, par exemple la France et l'Australie acceptent leurs prétentions. Mais d'autres ne sont pas d'accord. Par exemple sur la péninsule Antarctique, l'Argentine, le Chili et le Royaume-Uni voient leurs prétentions territoriales se chevaucher. Enfin, certains pays n'ont pas ce genre de revendications et considèrent l'Antarctique comme un espace international. Mais la situation est gelée depuis le traité de 1959. Cela signifie qu'on continue à coopérer. Et notamment qu'on continue à mener des activités scientifiques en établissant par exemple des stations. 

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