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COP26 : on vous explique la décision sur les marchés carbone, dernière pierre de l'accord de Paris

A la COP26 de Glasgow, les Etats se sont mis d'accord sur les règles d'application de l'article 6, l'un des derniers points de l'accord de Paris qu'il restait à négocier. Des détails techniques qui ont cependant le pouvoir de "faire ou détruire" l'accord, selon les observateurs.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une mine de charbon, le 5 novembre 2021, à Newcastle (Australie). (SAEED KHAN / AFP)

C'était l'un des derniers points techniques de l'accord de Paris. La COP26 de Glasgow s'est accordée, samedi 13 novembre, sur les règles d'application de l'article 6 du traité. Il régit les marchés carbone qui vont permettre d'échanger des réductions d'émissions entre pays. Un article méconnu, mais qui a le pouvoir de "faire ou détruire" l'accord, selon le site spécialisé Carbon Brief (en anglais). Franceinfo vous aide à y voir plus clair sur cette avancée, qui peut paraître très technique mais qui est cruciale dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Qu'est-ce qu'un marché carbone ?

Le principe d'un marché carbone est de permettre à un pays qui n'arrive pas à remplir ses objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre d'acheter les réductions générées par un autre pays ou une entreprise pour compenser son mauvais bilan. Par exemple, un pays A peut acheter un crédit, qui va permettre à un pays B de construire une centrale photovoltaïque plutôt qu'une centrale à charbon. Le pays B bénéficie d'une énergie renouvelable et le pays A compense ses émissions. Bien encadré, un tel marché permet de dégager de nouveaux financements pour la réduction des émissions.

C'est quoi, l'article 6 ?

Moins connu que l'article 2, qui fixe l'objectif de limiter le réchauffement "nettement en dessous de 2°C", l'article 6 est l'un des 29 articles de l'accord de Paris (en PDF). Il prévoit la création de trois mécanismes de "coopération volontaire" entre pays pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, moteur du réchauffement climatique.

Deux sont basés sur le marché. Le premier, développé à l'alinéa 2, n'est ouvert qu'aux États. Il permet à un pays B, qui aurait fait mieux que prévu pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, de vendre son excédent à un pays A qui n'arriverait pas à atteindre ses objectifs.

Le second, développé à l'alinéa 4, est ouvert au secteur privé. Il prévoit de créer un nouveau marché international du carbone, sous la supervision de l'ONU, pour échanger des réductions d'émissions créées par le secteur privé ou public. Ces réductions d'émissions peuvent prendre différentes formes : construction d'une centrale éolienne ou solaire, restauration d'une forêt...

Pourquoi est-il important ?

Dans le cadre de l'accord de Paris, chaque pays a soumis une Contribution déterminée au niveau national (CDN), à savoir un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or, selon l'ONU, 71% des pays envisagent d'utiliser l'un des mécanismes de l'article 6 pour remplir leur CDN. Mettre en place des règles claires et efficaces est donc primordial pour une diminution réelle des émissions de gaz à effet de serre et pour limiter le réchauffement.

Depuis 2015, différentes conceptions de l'article 6 se sont affrontées. Certains pays, comme le Brésil, la Chine et l'Inde, voulaient intégrer aux nouveaux mécanismes les crédits accumulés dans le précédent marché carbone, encadré par le protocole de Kyoto et en vigueur jusqu'à 2020. Ces pays pourraient ainsi utiliser des crédits qui ont déjà permis de réduire les émissions par le passé au lieu de contribuer à de nouvelles réductions d'émissions.

Une autre bataille se jouait autour de la double comptabilité, un sujet primordial pour éviter que les réductions d'émissions ne soient comptées deux fois, dans le pays acheteur et dans le pays vendeur. Un mécanisme d'ajustement doit être mis en place pour l'éviter, mais le Brésil poussait pour y échapper.

Qu'a-t-il été décidé ?

Les pays signataires se sont accordés sur un mécanisme d'ajustement, qui empêche toute double comptabilité, sur les deux marchés. "Il faut rester vigilant, il y a toujours un risque d'abus, mais le message envoyé est clair", se félicite Gilles Dufrasne, de l'ONG Carbon market watch. Il salue également le fait que les États se soient mis d'accord indirectement pour limiter la validité des crédits dans le temps.

Ce spécialiste des marchés carbone voit cependant un "gros point noir" dans le texte signé à Glasgow : en effet, l'Inde, la Chine et le Brésil ont obtenu en partie gain de cause sur les crédits générés via le protocole de Kyoto. Ils pourront ainsi transférer ceux enregistrés à partir de 2013, soit 300 millions de crédits (sur un total de 4 milliards), et arriver sur le nouveau marché avec un pactole de départ. "C'est quand même énorme, cela représente environ 1/5e des émissions européennes de l'industrie lourde, de l'aviation et de l'énergie", argumente-t-il. 

Il voit également un risque dans la possibilité – limitée dans le temps – pour les Etats de générer des crédits carbone à partir de décisions politiques et de mesures, alors que cela n'était possible qu'à partir de projets très précis jusqu'ici. "C'est très compliqué de mesurer tonne par tonne l'exact impact d'une politique. Cela ouvre la porte à énormément d'émissions", regrette-t-il. De manière générale, Gilles Dufrasne juge que l'article 6 reste "plus un risque qu'une opportunité". "Ce n'est pas le pire des accords, estime-t-il. Mais il n'est pas robuste et n'encourage pas à davantage d'ambitions. Il va falloir suivre son utilisation et sa mise en place."

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