COP26 : de nombreux pays déclarent des émissions de gaz à effet de serre inférieures "de 20 à 30%" aux "meilleures estimations des scientifiques"
Une analyse publiée dans le "Washington Post" révèle des pratiques qui éloignent "l'objectif de limiter la hausse des température à + 2 °C", déplore le chercheur Philippe Ciais, interrogé par franceinfo.
Les calculs sont faussés. Dans un article publié dimanche 7 novembre, le Washington Post (en anglais) révèle que de nombreux pays déclarent des émissions de gaz à effet de serre largement inférieures aux estimations indépendantes, dans leur rapports rendus aux Nations unies. Ces données servent notamment de base aux négociations qui se tiennent en ce moment-même à Glasgow pour la COP26.
Le journal, avec l'appui de chercheurs, a épluché les rapports des 196 pays signataires de l'accord de Paris. L'écart entre les émissions qu'ils déclarent et leurs émissions réelles "va de 8,5 milliards à 13,3 milliards de tonnes, (...) de quoi faire grimper le réchauffement de la Terre", alerte le Washington Post. Philippe Ciais, directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE), a participé à cette analyse.
Franceinfo : L'étude à laquelle vous avez participé révèle que des pays sous-estiment leur émissions de gaz à effet de serre. Comment êtes-vous arrivés à ce constat ?
Philippe Ciais : Oui, nous avons analysé ce qu'on appelle les inventaires d'émissions, déclarés par les pays et utilisés comme base des négociations lors de la COP26. En faisant la somme de tous les chiffres officiels, on a compté moins d'émissions au global que les meilleures estimations des scientifiques. Il y a donc un déficit, des émissions qui manquent dans les déclarations des pays. L'écart, lorsque l'on convertit tout en équivalent CO2, est de 20 à 30% d'émissions entre ces chiffres officiels et les estimations scientifiques globales.
A quoi est dû cet écart ?
Cela dépend des pays. Les émissions déclarées sont par exemple toujours plus faibles que les estimations indépendantes chez les extracteurs de pétrole ou de gaz. Ensuite, beaucoup de pays n'ont pas rapporté leurs émissions depuis longtemps. Seuls les pays du protocole de Kyoto y sont obligés chaque année. L'Iran, par exemple, n'a fourni qu'une seule communication nationale de ses émissions en 2010.
Enfin, si certains pays comme le Canada rapportent moins d'absorption de carbone par les puits naturels [ces réservoirs qui stockent le carbone dans les sols] que ce qui est observé, d'autres surestiment la capacité de leurs forêts à capter du carbone. C'est le cas de la Malaisie, où l'expansion de la culture des palmiers à huile cause beaucoup de déforestation et de pertes de carbone des sols vers l'atmosphère. Dans les forêts qu'il reste, le pays surestime visiblement la quantité de carbone absorbé, allant jusqu'à être trois ou quatre fois au-dessus de ce que donnent des taux de croissance plausibles pour des forêts tropicales. Les déclarations du pays semblent être influencées par un lobby des producteurs d'huile de palme, qui minimisent par exemple la perte de tourbières, normalement riches en carbone, lorsque de nouvelles plantations sont créées.
Les contributions déterminées au niveau national (NDC) des Etats signataires de l'accord de Paris sont insuffisantes et les pays ne les respectent pas. Vous nous expliquez aujourd'hui qu'elles sont en outre fondées sur des chiffres faussés. Tout ceci n'est pas très encourageant...
Ce n'est pas encourageant, non... D'abord, les NDC ne sont souvent pas quantitatives, elles ne fournissent pas un budget carbone, mais un pourcentage de réduction. Prenez la Chine : elle donne des indications sur un pic de ses émissions avant 2030, sur son intensité carbone [le rapport entre la quantité d'énergie utilisé par le pays et le carbone émis] et sur un futur très lointain, une neutralité carbone en 2060. Mais il n'y a pas de trajectoire précise. Je souligne aussi que la France qui a une trajectoire de neutralité et un suivi tous les 5 ans, n'a pas atteint ses objectifs de réduction sur la période 2015-2018. Donc il ne suffit pas de faire un plan très bon pour la décarbonisation, il faut aussi s'y tenir.
En plus, si on part d'émissions sous-estimées, les effets d'une réduction seront moins impressionnants. Tout ceci permet encore moins d'atteindre notre objectif de limiter la hausse des température à + 2 °C.
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