Reportage COP28 : à Dubaï, "paradis des influenceurs" bâti sur l'or noir, des expatriés rêvent d'une vie plus sobre

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Une rue du centre de Dubaï, aux Emirats arabes unis, le 24 novembre 2022. (BEATA ZAWRZEL / NURPHOTO / AFP)
L'abondance de pétrole et de gaz a poussé les Emirats arabes unis vers un modèle de consommation débridée, incompatible avec la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. Mais les habitants de Dubaï ne raffolent pas tous de ce mode de vie.

"Ah oui, forcément, on doit prendre l'avion pour rendre visite à nos proches. Ça plombe tous nos efforts !" Au 25e étage d'une tour d'un quartier d'affaires de Dubaï, une dizaine de personnes se sont réunies dans une salle sans fenêtres pour affronter une réalité, sans filtre : leur empreinte carbone. Quelques jours avant l'ouverture de la COP28, jeudi 30 novembre, elles ont rempli un questionnaire en ligne, afin d'évaluer l'impact de leur mode de vie sur les émissions de gaz à effet de serre, donc sur le réchauffement climatique. Et en ce chaud matin d'hiver – température extérieure : 28°C –, elles participent à un atelier "2 tonnes", un séminaire ludique qui permet de "jouer", à l'aide de cartes, à réduire drastiquement son empreinte carbone en prenant des mesures politiques, économiques ou encore domestiques. L'atelier est animé par une Française, Marion Désormeaux, ancienne responsable marketing reconvertie dans l'éducation à l'environnement.

Et à Dubaï, ville-monde où à peine plus de 10% de la population est composée de citoyens émiratis, il y a du boulot. Avec ses gratte-ciel insolents, ses centres commerciaux climatisés et son titre de "paradis des influenceurs", la "cité de l'or" incarne les dérives d'un monde sur-carboné, elle qui a été bâtie à la vitesse de l'éclair sur l’extraordinaire rente pétrolière et gazière des Emirats arabes unis. En 2021, en moyenne, un habitant des Emirats a émis 21,8 tonnes d'équivalent CO2 (CO2eq), selon le site Our World in Data, contre 4,7 tonnes pour un Français.

Des excès de moins en moins supportables pour de nombreux Dubaïotes. Plus discrets que les stars des réseaux sociaux qui ont pris d'assaut la ville, ils sont aussi décidés à user de leur influence pour sauver la planète.

Le covoiturage payant interdit

"L’école des enfants est à 25 km de la maison. Ça fait déjà 50 km aller-retour qu'on ne peut faire qu'en voiture." Christine et Rym travaillent dans des multinationales françaises, Asmaa est une cheffe franco-marocaine, Namrata, une entrepreneuse… Bien qu'elles exercent des responsabilités, toutes partagent leur impuissance quand il s'agit, pour les besoins du jeu, de décarboner leurs transports. Face aux contraintes d'une ville organisée pour la voiture et où les températures flirtent avec les 50°C l'été, "attention à ne pas croire que les voitures électriques sont une solution magique", pointe Aoife, Irlandaise aux traits délicats, les lunettes relevées dans ses cheveux courts. "Déjà, les gens vont acheter d'énormes Tesla et pas des petits modèles. Cela n'a pas de sens. D'autant que les batteries résistent très mal aux chaleurs que l'on connaît ici", constate-t-elle.

"Aux Emirats, contrairement à la France, l’électricité est en grande majorité produite avec du gaz, complète Marion Désormeaux. Avec une électricité qui n'est pas décarbonée, changer de voiture pour un véhicule électrique ne va pas nécessairement nous aider à atteindre notre but, qui est de réduire au maximum sa consommation d'énergies fossiles."

Et le covoiturage ? "C'est interdit, non ?", remarque Aoife. Aux Emirats, on ne peut pas payer un particulier pour partager un siège, même si la pratique existe, discrète et cantonnée à des groupes Facebook. Alors quoi ? L'écoconduite ? "Ah, ça, avec ces feux rouges partout dans cette ville, c'est vraiment utile !", réagit Christine, tandis que Marion présente aux participantes ce que leurs efforts virtuels ont permis d'économiser.

La clim, essentielle mais perfectible

Le foyer de Nasim, jeune ingénieure iranienne, est passé d'une consommation de 13 à 10 tonnes de CO2eq. "Quoi ? Mais comment tu as fait ?", interroge Coralie, incrédule. La jeune femme livre dans un grand sourire le secret de son régime carbone. Sur la carte qu'elle a choisie, on peut lire : "Améliorer l'efficacité énergétique de la climatisation". "Ah oui, la clim ! Bien sûr !" Une autre contrainte locale non négociable, mais perfectible. "Une clim qui n'est pas entretenue cause des fuites d'hydrofluorocarbure, un puissant gaz à effet de serre", confirme Marion.

Christine, elle, a vu fondre l'empreinte de son foyer en acceptant de remplacer le bœuf par du mouton ou de l'agneau, consommé avec modération. "Arrêter toutes les viandes, vraiment, c'est trop dur. Mais en fait, là, ça va", constate-t-elle, prête à ramener à la maison la preuve par le jeu que ce petit geste à de grands impacts sur les émissions de gaz à effet de serre.

Il est l'heure pour Marion de rappeler que "les actions individuelles comptent, mais aussi les actions collectives". Elle distribue de nouvelles cartes. Infrastructures, investissements, éducation, fonds pour la protection de l'agriculture, de la forêt... "Cette fois, vous êtes dans la peau d'un gouvernement."

Une écologie en réseau

A Dubaï, il n'existe pas de parti politique. Le droit de vote est restreint à une poignée de citoyens et les manifestations sont formellement interdites. Plus qu'ailleurs, les convictions s'expriment donc à travers les choix de consommation. "J'ai reçu des messages de personnes qui redoutaient de s'installer à Dubaï de crainte qu'il n'existe rien en matière de zéro déchet", raconte Olivia Bou Antoun. Cette Française installée dans l'émirat depuis neuf ans a vécu ici même "l'éveil de [sa] conscience écologique". Ancienne salariée d'un géant de l'assurance, elle a commencé par prodiguer conseils et bons plans de consommation responsables sur Instagram. En 2022, elle a lancé une start-up de confection et de distribution de sa lessive écologique, qu'elle présente cet après-midi dans une élégante boutique, à l'occasion d'un marché de Noël. "Il y a clairement une demande pour ce type de services", assure-t-elle.

"Les gens qui s'installent à Dubaï arrivent de partout et apportent avec eux leur état d'esprit. C'est difficile pour eux d'apprendre, par exemple, qu'on ne peut pas boire l'eau du robinet – qui est désalinisée – et de se mettre à acheter des bouteilles en plastique."

Olivia Bou Antoun, entrepreneuse à Dubaï

à franceinfo

A Dubaï, note Olivia Bou Antoun, de plus en plus d'"expats" reçoivent avec perplexité les conseils et les jugements des Européens, prompts à accuser tous les Dubaïotes de mépriser le destin de la planète, vouée au réchauffement par leur consommation débridée. "Faire ses courses à pied, prendre son vélo pour récupérer deux-trois courses dans son quartier comme on peut le faire dans les villes en France... Ça ne marche pas comme ça ici, sourit-elle. Il faut proposer un service qui facilite la vie. Même avec un excellent produit, ce serait absurde d'attendre des clients qu'ils viennent en boutique remplir leur pot de lessive !", poursuit la cheffe d'entreprise, qui livre ses clients en quantité souhaitée tous les deux mois.

Dans une ville où des camions-citernes vous servent le plein d'essence à domicile, "tout le monde à l'habitude de se faire livrer des courses", explique-t-elle, pragmatique. "Le monde entier associe Dubaï à ses centres commerciaux immenses, au shopping à outrance, etc. Mais cela ne fait pas vraiment partie de notre quotidien", corrige-t-elle, notant que la ville compte un gigantesque réseau de seconde main, alimenté par le va-et-vient des travailleurs expatriés. Des livres en plusieurs langues, des meubles, des vêtements de grossesse... A rebours de la consommation frénétique recherchée par certains touristes, "il y a des tonnes de groupes WhatsApp où les habitants s'échangent les astuces et les bons plans pour consommer de manière responsable". Mais, face au poids de l'image d'un Dubaï aussi brillant que destructeur, les Dubaïotes écolos sont-ils entendus ? "On sème des graines," sourit Olivia Bou Antoun. De son entreprise à son foyer, de son foyer à sa communauté, de sa communauté à son réseau... C'est cela aussi, être influenceur.

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