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Comment le barrage de Sivens devient le Notre-Dame-des-Landes du Tarn

Un projet de retenue d'eau menaçant des espèces protégées mobilise de nombreux habitants de Lisle-sur-Tarn. Jusqu'à en faire un nouveau Notre-Dame-des-Landes ? Eléments de réponse. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des gendarmes emmènent un opposant au projet de barrage de Sivens, le 1er septembre 2014, au premier jour des travaux, à Lisle-sur-Tarn (Tarn). (MAXPPP)

Le bruit des tronçonneuses a envahi la forêt de Sivens, dans le Tarn, réveillant les salamandres tachetées et les tritons palmés. Dans ce coin de verdure, situé à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Gaillac, les travaux de déboisement pour la construction d'un barrage se poursuivent, lundi 8 septembre, sous la surveillance des gendarmes. 

Voilà plus d'un an que ce projet de retenue d'eau suscite la colère de nombreux citoyens, déterminés à gagner leur bras de fer avec les autorités départementales pour bloquer l'avancée des travaux.

Leur mobilisation a comme un air de déjà vu. Le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) a, lui aussi, déclenché des vives critiques et une occupation du terrain. Le barrage de Sivens est-il le nouveau NDDL ? Francetv info liste ses points communs avec l'aéroport.   

1A l'origine, un projet local ressorti des placards...

Le projet de barrage de Sivens, sur la rivière Tescou, ne date pas d'hier. L'idée remonte à la fin des années 1980. Ressorti des placards au début des années 2000, le projet à 8,4 millions d'euros, financés à moitié par l'Agence de l'eau, à 30% par l'Union européenne et à 20% par les départements du Tarn et du Tarn-et-Garonne, anticipe de futurs manquements en eau dans la région.

"C'est une réflexion ancienne. Il y a un déficit chronique en eau dans la vallée du Tescou", argumente Stéphane Mathieu, directeur du service eau au conseil général du Tarn, sur le site Reporterre.

Sur le papier, la future retenue d'eau, d'une capacité de 1,5 million de mètres cubes, servira aux agriculteurs, en majorité maïsiculteurs, pour irriguer la vallée et devra maintenir le niveau d'étiage de la rivière Tescou, un affluent du Tarn, afin d'en évacuer les pollutions accumulées pendant l'été. 

Mais l'ouvrage, de 230 m de large et 13 m de haut, qui doit couvrir 40 hectares sur la commune de Lisle-sur-Tarn, passera surtout au beau milieu de la zone humide du Testet. Ce site, créé en 2001, constitue un réservoir de biodiversité, dont 13 hectares se voient menacés par le déboisement et la construction du lac artificiel.

2... qui mobilise des opposants indignés...

Il n'en fallait pas plus pour mobiliser les anti-barrage. Dès sa validation par la préfecture de Midi-Pyrénées, en octobre 2013, plusieurs associations et citoyens s'élèvent contre un projet accusé de détruire la biodiversité.

Plus de 90 espèces protégées (insectes, couleuvres, amphibiens, chauve-souris...) habitent la zone humide du Testet qui s'apprête à être noyée. Malgré les mesures compensatoires prévues, notamment la création de nouvelles zones humides sur 19,5 hectares, le Conseil national de protection de la nature, commission administrative consultative, a émis deux avis défavorables à ce projet en 2013, souligne La Croix

L'écologie ne représente toutefois pas l'essentiel des revendications. Les opposants au barrage de Sivens s'étouffent devant un projet présenté comme "d'utilité publique". Pour eux, c'est tout le contraire. "Officiellement, il y a une liste de 80 agriculteurs concernés, mais certains sont opposés au barrage. (...) En vérité, il n'y a qu'une vingtaine d'irriguants concernés", affirme Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet sur France Inter.

Le projet de barrage de Sivens reposerait aussi sur des calculs hydrauliques faussés, note Libération. Les opposants pointent enfin un conflit d'intérêts concernant la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), qui a obtenu la réalisation de l'ouvrage. C'est aussi elle qui, en 2001, a évalué les besoins en eau justifiant le barrage. 

3... déterminés à faire du site une "zone à défendre"

Mois après mois, la mobilisation est allée grandissante, rassemblant un mélange d'habitants du coin ou non, d'écologistes, et d'altermondialistes. A l'approche du début des travaux de déboisement, la zone du Testet s'est muée en "zone à défendre" (ZAD), certains militants installant des campements pour occuper les lieux, en écho à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

Les barricades érigées par 200 militants et les opposants cachés dans les arbres n'ont toutefois pas découragé les bûcherons de faire tomber les premières branches, le 1er septembre. Les travaux ont commencé, à l'heure dite, dans une ambiance électrique, au milieu des jets de cocktails Molotov, pétards agricoles et gaz lacrymogènes, raconte France 3 Midi-Pyrénées

Depuis, le conflit se radicalise un peu plus. La justice a ordonné, vendredi, l'expulsion d'opposants occupant le site. Sept militants ont entamé une grève de la faim afin de réclamer un débat public et un moratoire sur le projet.

Leur appel semble mobiliser davantage : dimanche 7 septembre, un millier de personnes se sont réunies sur le site du Testet. Un record. Parmi elles, José Bové, qui a interpellé la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, afin qu'elle suspende les travaux.

Le dossier va-t-il glisser sur le terrain politique ? Pas sûr. Si la ministre a demandé au conseil général du Tarn de vérifier "que les conditions que le ministère met sur les retenues de substitution soient remplies". La réponse n'a pas tardé. Pour Thierry Carcenac, président PS du conseil général du Tarn, le projet "répond pleinement aux objectifs évoqués par Ségolène Royal". Lundi, les bulldozers ont donc repris le chemin de la zone humide. 

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