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Climat, ressources, inégalités : "Il n'y a jamais un seul facteur pour expliquer la chute d'une civilisation"

Une étude américaine estime que l'effondrement de notre civilisation industrielle est inévitable dans notre fonctionnement actuel. Eclairage historique avec Grégory Pereira, spécialiste de la civilisation maya.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Image d'illustration présentant la Terre depuis l'univers.  (MOPIC / AWO / AFP)

Si rien n'est fait pour réduire les inégalités et l'exploitation des ressources du globe, notre civilisation industrielle pourrait bien s'effondrer d'ici quelques décennies. Trois chercheurs américains, dont les recherches sont financées par la Nasa, en arrivent à cette conclusion dans une étude (en anglais) dont les principales conclusions ont été rendues publiques par The Guardian (en anglais), vendredi 14 mars.

Leur modèle mathématique prend en compte de nombreux critères comme le climat, l'eau ou l'agriculture. Selon ses auteurs, il trouve confirmation dans les exemples historiques de civilisations disparues, comme à l'époque mésopotamienne ou romaine. Trois types de société sont distinguées : égalitaire, équitable et inégalitaire, ce dernier type étant le plus proche de notre société.

Francetv info a interrogé Grégory Pereira, directeur du laboratoire Archéologie des Amériques et chercheur au CNRS, spécialiste notamment de la civilisation maya, citée comme exemple par l'étude.

Francetv info : Cette étude s'appuie sur un modèle mathématique développé depuis plusieurs années. Les sciences dures sont-elles d'usage fréquent en histoire ? 
 
Grégory Pereira : Cela commence à se développer en France, à la suite des travaux du type de ceux de Jared Diamond (auteur de l'essai Effondrements, en 2005). Actuellement, par exemple, un programme de recherche essaie de comprendre le néolithique en créant des modèles à partir de nombreux facteurs. Cela doit permettre d'envisager l'expansion et les limites de l'activité humaine autour du VIe millénaire av. J.-C. En archéologie, on essaie d'expliquer un "collapse", un effondrement, par des modèles mathématiques qui intègrent plusieurs facteurs. Cela permet de voir si cette société était viable ou non.
 
Empire romain, Mayas, bassin méditerrannéen... De plus en plus d'études attribuent la chute des empires à des événements climatiques. Une piste sérieuse selon vous ?
 
Les interprétations environnementales sont très à la mode du fait du réchauffement climatique. Il est vrai qu'il y a de plus en plus d'indices d'une forte sécheresse qui aurait coïncidé avec le fin de la civilisation maya. Mais ces accidents climatiques ne veulent pas forcément dire qu'il y a une correspondance avec la disparition des civilisations évoquées. Le climat peut être un facteur aggravant, sans être le facteur principal. Imaginons un effondrement en raison de la crise financière de 2008. Des observateurs du futur pourraient souligner la phénomène de réchauffement climatique et en tirer de mauvaises conclusions ! 
 
L'étude cite également une surexploitation des ressources... Une option vérifiée dans le cas des Mayas ?
 
C'est un peu difficile à appréhender. A l'époque, les régions où vivaient les Mayas étaient beaucoup plus densément peuplées qu'aujourd'hui. Des études environnementales ont livré quelques indices qui indiquent une forte érosion, due sans doute à l'agriculture et au déboisement. 
 
In fine, l'étude souligne avant tout l'importance de la structure sociale, qui peut empêcher une allocation optimale des ressources. A commencer par le fossé croissant entre les élites et le reste de la population... 
 
Il ne faut rejeter aucun critère et celui-ci, en effet, a été avancé chez les Mayas. Non seulement l'écart s'est creusé entre les élites et le reste de la population, mais il faut aussi prendre en compte la pression exercée sur les élites. Pendant une période, il y a eu une compétition entre les élites, par exemple entre les cités de Tikal et Calakmul. Elles se sont livré la guerre par cités interposées en établissant des alliances, à tel point qu'elles ont fini par faiblir peu à peu.
 
Finalement, l'étude prend appui sur les Mayas pour fixer un modèle bien précis dans lequel "la croissance de la population riche met en péril la disponibilité des ressources pour la masse". Quelle est votre lecture d'archéologue ?
 
Cela concerne des régions assez vastes, les causes ne sont peut-être pas les mêmes partout. Tout d'abord, est-ce qu'il y a "collapse" ou pas ? Maintenant que l'on connaît mieux la chronologie, on se rend compte que certains sites se sont effondrés assez tôt tandis que d'autres ont duré plus longtemps qu'on ne le pensait.
 
Ensuite, quelles sont les causes ? Par exemple, on a longtemps considéré que les Mayas fonctionnaient sur du brûlis et épuisaient ainsi les sols. Puis on s'est rendu compte qu'il y avait un système intensif avec enrichissement des sols sur du parcellaire, avec une productivité et un temps d'épuisement des terres sans doute supérieurs à ce qu'on pensait.

La compétition entre les cités a entraîné de plus en plus de constructions, et donc une utilisation intensive de la chaux qui sert de mortier et recouvre les bâtiments. Du coup, il a fallu du bois pour faire la chaux et donc défricher. Tout ce cycle aboutit à une surexploitation. Mais une chose est sûre, il n'y a jamais un seul facteur pour expliquer la chute d'une civilisation. 

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