Golfe de Gascogne : quatre questions sur l'interdiction partielle de la pêche pour protéger les dauphins

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Des bateaux dans le port du Guilvinec (Finistère), le 21 juillet 2023. (STICHELBAUT BENOIT / HEMIS.FR / AFP)
Pendant un mois, près de 500 bateaux français vont rester à quai entre le Pays basque et la pointe de la Bretagne. Cette mesure décidée par l'Etat vise à freiner les captures accidentelles de dauphins et de marsouins.

La pêche va être interdite pendant un mois dans le golfe de Gascogne, qui s'étend du nord de l'Espagne à la Bretagne. La mesure, qui prend effet lundi 22 janvier, dure jusqu'au 20 février et concernera près de 500 bateaux de pêche français ainsi que les flottes étrangères – de huit mètres ou plus équipés de certains filets. Cette mesure vise à freiner les captures accidentelles de dauphins et de marsouins, qui se sont multipliées sur la côte atlantique depuis 2016. Les pêcheurs et toute la filière, qui seront indemnisés par l'Etat, dénoncent une mesure inutile pour lutter contre le phénomène alors que les associations et ONG écologistes veulent aller encore plus loin. Franceinfo fait le point sur cette mesure et ses conséquences.

1 Que va-t-il se passer pendant un mois ?

La pêche va être interdite pendant un mois (22 janvier - 20 février) dans le golfe de Gascogne, entre le Pays basque et la pointe de la Bretagne. Cette zone "couvre plus de 75% des eaux françaises de la façade Atlantique-Manche", selon le secrétariat d'Etat chargé de la Mer. La mesure concerne les bateaux de pêche français de huit mètres ou plus équipés de certains filets (chalut pélagique, chalut-bœuf de fond, filet trémail, filet maillant calé) ainsi que les navires étrangers. Elle ne s'applique pas à tous les pêcheurs ni à toutes les activités, mais près de 500 bateaux français sont concernés.

Cette mesure, qui vise à freiner les captures accidentelles de dauphins et marsouins dans l'océan Atlantique, intervient après un long bras de fer juridique. Saisi par des associations de défense de l'environnement, le Conseil d'Etat avait ordonné en mars 2023 au gouvernement de "fermer, dans un délai de six mois, des zones de pêche dans le golfe de Gascogne pour des périodes appropriées". L'Etat avait pris en octobre un arrêté pour interdire la pêche un mois en 2024, 2025 et 2026 dans le golfe de Gascogne, tout en y incluant plusieurs dérogations.

Le Conseil d'Etat les avait suspendues en décembre, jugeant que "ces dérogations [étaient] trop importantes pour que la fermeture de la pêche ait un effet suffisant sur les captures accidentelles pour avoir une chance de réduire dès 2024 la mortalité des petits cétacés à un niveau soutenable".

2 Quel est le rapport avec les dauphins ?

Cette interdiction temporaire de la pêche répond à un problème grandissant : les captures accidentelles de dauphins et de marsouins se sont multipliées sur la côte de l'océan Atlantique depuis 2016. L'observatoire français Pelagis estime que près de 1 500 cétacés ont été retrouvés morts entre le 1er décembre 2022 et le 30 avril 2023 sur les côtes françaises. La période hivernale a été identifiée comme la plus meurtrière pour les dauphins. "Pour le millier d'échouages recensés en moyenne chaque année sur la côte atlantique, ce sont entre 5 000 et 10 000 dauphins qui sont en réalité morts en mer. La plupart des carcasses coulent à pic et ne dérivent pas jusqu'à la côte", note Olivier Van Canneyt, biologiste à l'observatoire Pelagis, sur le site du CNRS.

"Ces morts correspondent à un taux annuel de prélèvement anthropique de 1 à 5%. Bien au-dessus du seuil communément admis de 1% de mortalité additionnelle", note le scientifique, alors que la population des dauphins est estimée à environ 200 000 mammifères dans le golfe de Gascogne en hiver.

Des militants de l'ONG Sea Sheperd lors d'une opération de sensibilisation à la mort accidentelle de dauphins, le 24 février 2023 à Nantes (Loire-Atlantique). (MAYLIS ROLLAND / HANS LUCAS / AFP)

Dans un avis publié en mai 2020, le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), organisme de référence, recommandait de mettre en place des fermetures de pêche et d'équiper les bateaux de "pingers", des répulsifs acoustiques pour éloigner les dauphins. "Le consensus, c'est qu'entre 5 et 10 000 cétacés meurent [chaque année] et à ce niveau de mortalité, les risques sont réels et avérés pour la survie de l'espèce", a alerté mercredi le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.

3 Comment l'Etat compte-t-il aider les pêcheurs ?

Le gouvernement a annoncé que les pêcheurs seraient indemnisés. Ces aides "vont varier entre 80 et 85% du chiffre d'affaires pour tous les bateaux de plus de huit mètres concernés par cette interdiction de pêche", a déclaré Christophe Béchu sur TF1 vendredi. Elles seront versées "aussi rapidement que possible". L'Etat doit également venir en aide au reste de la filière : mareyeurs, transporteurs, poissonniers.

Les mareyeurs, qui transforment le poisson frais débarqué dans les criées, estiment leurs pertes à plus de 60 millions d'euros. Pour eux, l'aide ne sera pas calculée sur la base du chiffre d'affaires mais "de l'excédent brut d'exploitation", et ira "jusqu'à 75% de leurs pertes". "On veut garder une filière de pêche française et la concilier avec des impératifs de préservation de la biodiversité", a expliqué Christophe Béchu. La Préfecture maritime de l'Atlantique a promis de son côté des patrouilles "un peu plus présentes que d'habitude", notamment pour s'assurer que les pêcheurs respectent bien l'interdiction.

4  Que disent les pêcheurs et les ONG ?

La filière dénonce une interdiction injuste et s'inquiète pour le devenir de la pêche française. "Ce n'est pas en bloquant les bateaux le long du quai qu'on va avoir les capacités à trouver des solutions qui permettent d'éviter ces captures qui, je le rappelle, sont minimes", a jugé jeudi sur franceinfo Olivier Le Nézet, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, qui s'apprête à déposer "des recours sur le fond" contre cette interdiction.

"Cela va avoir un impact énorme sur l'ensemble de la filière, du pêcheur à l'étal du poissonnier. Pour le mareyage, qui est un maillon essentiel de la filière, c'est une catastrophe", a estimé de son côté Frédéric Toulliou, président de l'Union du mareyage français (UMF) et de l'association interprofessionnelle France Filière Pêche.

Les différentes ONG qui avaient saisi le Conseil d'Etat – Sea Shepherd France, France Nature Environnement, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Défense des milieux aquatiques – ont salué cette interdiction de la pêche dans un communiqué. "Cependant, les avis scientifiques montrent qu'il faudra aller plus loin pour assurer un avenir viable à ces espèces protégées", jugent-elles.

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