"Peut-être que je me sens un peu plus protégé en étant français" : en Biélorussie, les expatriés témoignent de la répression de Loukachenko
Ils évoquent la violence, l'inquiétude pour leurs proches, mais aussi le sentiment d'assister à un moment historique. Des Français présents en Biélorussie racontent à franceinfo comment ils vivent la période tendue que traverse le pays depuis la réélection contestée d'Alexandre Loukachenko.
"Ce n’était pas le moment de se promener ou d'aller faire ses courses. On risquait de se faire embarquer, d’être au mauvais endroit au mauvais moment", rapporte Arthur*, Français installé à Minsk depuis une dizaine d'années, à propos des troubles qui ont suivi la réélection contestée d'Alexandre Loukachenko, dimanche 9 août. Depuis le scrutin, plusieurs manifestations ont été violemment réprimées par la police, faisant trois morts et des dizaines de blessés, selon l'AFP. Par ailleurs, quelque 6 700 personnes ont été arrêtées.
La vague de mécontentement actuelle constitue un mouvement "inédit" et "historique" depuis l'accession au pouvoir d'Alexandre Loukachenko en 1994, selon Arthur, qui était déjà étudiant dans le pays au moment de la chute du bloc soviétique. "Vingt-six ans au pouvoir, ça rend allergique."
Décrivant la répression qui a sévi pendant plusieurs jours après l'élection, celui qui travaille désormais dans l'import-export évoque un état d'"anarchie, où "on pouvait être arrêté sans raison".
La journée, vous pouviez sortir, mais le soir, quand ça commençait à chauffer, il ne fallait pas. Sauf si vous courriez vite...
Arthur, Français installé à Minsk depuis une dizaine d'annéesà franceinfo
Les violences contre les manifestants ont commencé dès le soir de l'annonce de la victoire de Loukachenko, comme le rappelle Emmanuel*. Ce jeune comédien, installé à Minsk pour quelques semaines, se rend régulièrement au "Bélarus" (comme les autres interlocuteurs, il préfère cette dénomination officielle au terme "Biélorussie", privilégié en France) pour des tournages ou des représentations théâtrales. Présent au cœur d'un rassemblement dans la capitale, le 9 août, il se souvient notamment d'avoir été touché par un tir de grenade assourdissante, provoquant "des éclats sur [sa] poitrine". Il recevra même un appel de l'ambassade de France, le lendemain, après que des vidéos de sa blessure ont circulé sur les réseaux sociaux. "Mais ce n'était rien de grave", par rapport à ce que d’autres ont subi, tempère-t-il.
La crainte d'être expulsé
Les vidéos d'arrestations et les témoignages sur les tortures infligées aux manifestants détenus affluent sur les réseaux sociaux. Emmanuel évoque notamment l’une de ses connaissances biélorusses, un père de famille emmené par la police en camion, le 11 août, alors qu’il était avec ses enfants sur une aire de jeux. Incarcéré pendant trois jours, "il restait au moins quatre heures par jour debout, les bras en l’air, rapporte le Français. Quand il tenait mal la position, on le tapait". Arthur raconte une histoire similaire, celle d'un homme d’affaires embarqué pendant quatre jours et contraint de se tenir nu dans des positions dégradantes.
Pour les Français interrogés par franceinfo, leur statut d'étranger ne constitue pas une garantie d'être épargné par la répression. "Peut-être que je me sens un peu plus protégé en étant Français. Mais ce n'est même pas sûr en fait", indique, en hésitant longuement, Emmanuel.
Si j'avais été arrêté et placé en prison, je ne sais pas s'ils auraient tapé moins fort ou plus fort parce que je suis français.
Emmanuel, Français présent à Minsk au moment des manifestationsà franceinfo
Après sa blessure, le jeune homme explique avoir continué d'assister aux manifestations, "mais de plus loin", pas tant pour sa propre sécurité que pour celle de la metteuse en scène qui l'a hébergé. "J'ai peur qu’elle ait des problèmes." De son côté, Arthur craint que sa carte de séjour ne lui soit retirée s'il se montre trop critique à l'égard du pouvoir : "En tant qu'étranger, si on apprend que vous êtes un activiste, c'est dehors". Dans son cercle d'expatriés français, plusieurs ont "la trouille" et préfèrent éviter de parler à la presse, et même de sortir dans les rues redoutant d'être arrêtés arbitrairement par les autorités, témoigne-t-il.
Accès restreint aux moyens de communication
Pour faire taire l'opposition, les autorités ont également coupé temporairement l'accès aux réseaux de communication. Le soir des élections, vers 18 heures, Thomas*, qui rendait visite à sa compagne biélorusse dans le nord du pays, se souvient d'une connexion internet fortement ralentie, puis d'un black-out complet dans la soirée. Le lendemain, le Français a embarqué, comme prévu, pour un vol retour vers l'Hexagone. A son arrivée, il a tenté de prendre des nouvelles de sa moitié, restée en Biélorussie, mais "impossible de se joindre par internet et par téléphone".
On n'était pas sereins, l'accès aux réseaux de communication était difficile.
Thomasà franceinfo
Les connexions ont progressivement été rétablies durant les jours suivants. Thomas a pu prendre régulièrement des nouvelles de sa compagne. "Elle sort de nouveau dans la rue, elle a même assisté à une manifestation samedi [15 août]. C'est plus calme, ça sent moins le soufre dans les rues", rapporte-t-il. Un constat partagé sur place par Emmanuel et Arthur. Ce dernier a notamment assisté, dimanche, "au plus grand rassemblement du pays", qui a réuni quelque 100 000 manifestants, et y décrit une ambiance "pacifiste" et "bon enfant" entre les participants.
Dix jours après le vote, la contestation ne faiblit pas contre Alexandre Loukachenko. Le président a notamment été hué, lundi, par les ouvriers d'une usine d'Etat à qui il s'adressait. Arthur espère que la Biélorussie pourra sortir de la crise politique "sans intervention extérieure". Quoi qu'il en soit, il n'entend pas quitter ce pays où il se sent bien.
Thomas prévoit lui d'y retourner rapidement pour retrouver sa compagne. Emmanuel, qui doit quitter la Biélorussie à la fin du mois, assure pour sa part qu'il y reviendra pour un tournage, probablement "à l'automne ou au printemps". Néanmoins, ni l'un ni l'autre n'ont prévu de s'installer définitivement en Biélorussie. Du moins "pas avec Loukachenko au pouvoir", tranche Thomas.
*Les prénoms ont été modifiés
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