Cet article date de plus de sept ans.

Pourquoi les Nord-Coréens se réjouissent-ils des tirs de missile ?

Dénoncées par la communauté internationale, les manœuvres du régime de Kim Jong-un sont manifestement applaudies par la population, prompte à célébrer la puissance de leur armée dans une ambiance de propagande permanente.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une télévision diffuse à Sapporo (Japon) la trajectoire du missile nord-coréen qui a survolé le Japon, le 15 septembre 2017. (RYOHEI MORIYA / YOMIURI)

Les habitants de l'île japonaise d'Hokkaido ont été réveillés à 7h06, heure locale, par le cri des sirènes. Vendredi 15 septembre, un missile tiré depuis Pyongyang, en Corée du Nord, leur est passé au-dessus de la tête, avant de s'abîmer dans l'océan Pacifique, à quelque 2 000 km des côtes nippones.

Depuis que le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, a ordonné l'accélération de ses programmes nucléaire et balistique, le pays a effectué des dizaines de tirs, dont deux ont survolé le Japon en l'espace de 17 jours. Dénoncées de concert par la communauté internationale, ces manœuvres réjouissent manifestement les Nord-Coréens, prompts à célébrer la puissance de leur armée dans ce régime de propagande permanente.

A peine quatre jours après la tenue d'une parade fastueuse dans les rues de la capitale à la gloire des scientifiques du programme nucléaire national, franceinfo s'est penché sur l'attachement apparent des habitants de "la nation ermite" à ses armes de guerre et autres démonstrations de force.

Une population qui se sent menacée

Le 6 juillet, le ciel de Pyongyang s'est embrasé. Aucun missile en vue, mais un gigantesque feu d'artifice. Ce soir-là, des milliers de responsables du régime, de militaires et de civils, en costume-cravate pour les hommes et tenues traditionnelles pour les femmes, ont assisté aux festivités organisées autour de la tour du Juche, en plein cœur de la capitale. La star de la soirée, outre Kim Jong-un, censé faire une apparition, s'appelle Hwasong-14. Le message d'une banderole suspendue place Kim Il-sung est explicite : "Nous célébrons avec enthousiasme le lancement réussi du missile balistique intercontinental, plus grande réalisation de l'histoire de notre république." Pour la première fois, le régime pourrait atteindre deux Etats américains, l'Alaska et Hawaï.

"En Corée du Nord, le peuple se sent en permanence sous la menace américaine. On le ressent très clairement lorsque l'on se rend sur place : chacun est persuadé que les Etats-Unis peuvent attaquer à tout moment", explique Juliette Morillot, spécialiste des deux Corées et co-auteure de Cent questions sur la Corée du Nord (éd. Tallandier). Dans ce contexte, il n'est pas incongru de fêter un tir de missile.

Les scènes de liesse ne sont pas feintes et il faut les comprendre dans le cadre d'un endoctrinement général dès la naissance des Nord-Coréens.

Juliette Morillot

à franceinfo

Vendredi, la réussite du dernier tir a ainsi été relayée par la télévision, notamment sur la chaîne officielle Chungang (il existe cinq chaînes en Corée du Nord), ainsi que par les journaux (il en existe plusieurs également), placardés dans le métro et mis en vente dans les rues. Les photos de Kim Jong-un, souriant, en train d'applaudir le spectacle du décollage d'un missile au milieu de ses collaborateurs, participent de ce récit glorieux.

Le leader nord-coréen Kim Jong-Un observe le lancement d'un missile depuis Pyongyang le 29 août 2017, selon cette photo diffusée par le Rodong Sinmun, organe du parti unique au pouvoir. (YONHAP NEWS / NEWSCOM / SIPA)

Juliette Morillot assure qu'il n'y a pas de consignes ou d'attitude à adopter face à ces nouvelles. Juste un réel soulagement qui parcourt toute une population convaincue que sa survie passe par sa capacité à se défendre d'une probable attaque de l'ennemi américain. "Quand on leur pose la question, les Nord-Coréens disent se sentir menacés et se réjouissent sincèrement de ces manœuvres qui prouvent que leur dirigeant, qui compte plus à leurs yeux que leurs propres parents, les défend et les protège", poursuit l'historienne.

"Quand les Nord-Coréens parlent de guerre nucléaire, ils parlent en fait de leur volonté, de leur détermination à être un pays qui peut faire face à cet immense niveau d'isolement, de sanctions et d'hostilité", explique Evan Osnos, journaliste pour le New Yorker, qui a passé quatre jours, fin août, dans le pays.

Un programme nucléaire glorifié par la propagande

En pleine escalade belliqueuse avec les Etats-Unis, le reporter raconte les vidéos montrant missiles et artilleries à la télévision à l'heure du déjeuner : "Les discussions sur la guerre, les armes nucléaires et les missiles sont partout. Y compris sur les panneaux d'affichage dans la rue", détaille-t-il, interrogé par la radio américaine NPR. "Je suis passé devant l'une d'elles montrant le Capitole en ruine, touché par des missiles." Car en temps de tensions, ces clips de propagande contribuent à galvaniser le peuple derrière une cause commune : la lutte contre l'impérialiste américain, confirme Juliette Morillot.

Glorification de l'arsenal et haine de l'Amérique... Les crises se suivent, mais le discours délivré par le régime aux Nord-Coréens demeure identique.

Dès le plus jeune âge, à l'école, on donne aux enfants des petits puzzles, avec des animaux qui représentent des Nord-Coréens qui tuent des soldats américains. Ils ne jouent pas avec des petites voitures, mais avec des petits tanks.

Juliette Morillot

à franceinfo

"Dans les écoles, sur les fresques, on ne montre pas forcément des missiles, mais des fusées UNHA, qui sont la version civile des Taepodong ou des missiles intercontinentaux qui ont été testés en juillet. Dans les halls des établissements, il y a des maquettes représentant la Corée entière réunifié, avec des modèles réduits... Les enfants jouent avec ça", raconte aussi la spécialiste.

La réaction contre-productive de Donald Trump

Les armes, la guerre... Ces thématiques sont représentées partout et sont sources de fierté de ce côté du 38e méridien. "C'est un fil conducteur que l'on retrouve dans les films, dans les slogans, écrit sur les montagnes en lettres gigantesques qu'on voit du ciel, etc. La population est baignée là-dedans. Comme le pays se sent en résistance, en guerre, tout cela tient une place forte, même si les gens ont une vie normale et que la culture ne se limite pas à cela", souligne-t-elle toutefois.

La propagande, y compris celle qui entoure les tirs de missiles, vise ainsi à "cimenter le peuple derrière un combat commun, qui est le combat contre l'impérialisme américain", continue-t-elle. Or, quand Donald Trump promet sur Twitter "le feu" et la "furie" à la Corée du Nord, "il fait le jeu du régime coréen, il renforce Kim Jong-un. Ces menaces apportent la confirmation aux Nord-Coréens qu'ils doivent être en mesure de se protéger des Américains", conclut l'historienne.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.