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JO 2016 : à Rio, "trois Maracanas d'eaux usées se déversent dans la baie"

Vous avez versé une larme quand de (faux) arbres ont formé les anneaux olympiques lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux ? Vous n'auriez pas dû. 

Article rédigé par Pierre Godon - Envoyé spécial à Rio de Janeiro (Brésil),
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des ordures échouées sur le littoral de la baie de Guanabara à Rio de Janeiro, le 1er août 2016. (MAXPPP)

"Ils vont littéralement nager dans la merde humaine !" Le diagnostic d'un médecin carioca à propos de la qualité de l'eau de la baie de Guanabara dans le New York Times est sans appel. Les participants aux épreuves de voile des JO de Rio, qui ont débuté lundi 8 août, sont prévenus : mieux vaut éviter de chavirer sous peine de boire une tasse au goût encore plus amer. Ce goût amer, Sergio Ricardo l'a en bouche depuis trop longtemps. Ce militant écologiste de l'association Baia Viva ("La Baie vivante") se bat pour protéger l'écosystème. Un combat loin d'être gagné.

Nous retrouvons Sergio à Tubiacanga, une petite favela située juste derrière l'aéroport international Tom Jobin. A son grand désespoir, les très nombreux avions donnent l'impression de frôler les maisons à chaque atterrissage. Une bataille légale à rallonge oppose habitants et propriétaires privés de l'aéroport, qui récupéreraient bien le terrain pour bâtir une troisième piste.

A Tubiacanga, Sergio Ricardo, grand quinquagénaire à queue-de-cheval et à boucle d'oreille, connaît tout le monde. Y compris les pêcheurs qui débarquent, vers 8 heures du matin, la pêche de la nuit. Quelques caisses de poissons, à peine plus de crevettes. Et quelles crevettes ! "Il y a une vingtaine d'années, elles étaient deux fois plus grosses, soupire Sergio. Et il y en avait beaucoup plus."

Le militant écologiste Sergio Ricardo, de l'association Baia Viva, lors d'une sortie en baie de Guanamara, à Rio de Janeiro (Brésil), le 7 août 2016. (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

Sur son tee-shirt blanc, une photo peu ragoûtante montre des poissons morts flottant à la surface, et affiche ce message en lettres rouges : "Défendons la mer, ils sont en train de tuer nos poissons". Aujourd'hui, l'eau paraît un peu plus propre. En surface, du moins.

Une immense poubelle

Sur le quai en bois, aux planches mal ajustées, trônent quelques-unes des trouvailles des pêcheurs. Dans leurs filets, ce matin, un écran de télévision à tube cathodique. Un peu plus loin, le long de la côte, la "plage" n'offre pas un paysage plus réjouissant : derrière un panneau "Merci de laisser vos déchets chez vous", des ordures sur cinq mètres de large, tout le long du littoral. Papiers, plastiques, emballages, morceaux de bois… Des immondices qui ne disparaissent de la vue que lorsque le niveau de la mer s'élève. De temps en temps, à quelques kilomètres de là, la mer recrache même des cadavres. Les mains attachées, parfois.

Des ordures le long du littoral de la baie de Guanabara à Rio de Janeiro, le 1er août 2016. (MAXPPP)

La baie de Rio est devenue une immense poubelle. Les 12 millions d'habitants de l'agglomération (dont sept millions de pauvres) rejettent tous leurs déchets dans la baie. "Les stations d'épuration ont été construites, avec de l'argent international, mais n'ont jamais été raccordées au réseau d'égouts", peste Sergio, en nous faisant visiter la zone sur un chalutier vert et blanc au plancher vermoulu.

Au lieu de traiter le problème, on l'a camouflé. Les Brésiliens ont une expression pour ça : "Para inglês ver", "pour montrer aux Anglais (ce qu'ils ont envie de voir)". Des barges ont ramassé des déchets à la surface. Une société privée a recouvert d'un dôme l'immense décharge de Rio, Gramacho, pour produire du gaz. On sait moins qu'il s'en échappe un liquide noirâtre qui termine, vous l'aurez peut-être deviné, dans la baie de Rio. "18 000 litres d'eaux usées par seconde, l'équivalent de trois Maracanas qui se déversent dans la baie", égrène Sergio, pas lassé de répéter sans cesse les mêmes chiffres. Sur le ponton du chalutier, il déploie ses cartes, explique ses solutions, pointe les carences des politiques publiques. Avec de grands gestes, en levant la voix.

Quand l'écologie fait flop

Car une baie de Rio propre, on la lui promet depuis la fameuse conférence de Rio. C'était en 1992, il y a bientôt un quart de siècle. Depuis, de l'eau (usée) a coulé sous les ponts, le nombre de pêcheurs s'est réduit comme peau de chagrin. Le nombre de poissons aussi. Dans le dossier de candidature carioca, le mot "environnement" était le deuxième plus utilisé, derrière l'inévitable "sécurité". Foutaises. Dans le texte, qui date de 2010, était écrite noir sur blanc la promesse de nettoyer 80% des eaux usées et de planter 24 millions d'arbres pour purifier l'air (lui aussi très pollué). Sergio attend toujours. Le gouvernement vient de reconnaître que c'était "une promesse audacieuse". Un peu tard.

Quand il a vu la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, Sergio s'est étouffé. Les cinq anneaux olympiques formés par des arbres, la leçon d'écologie saluée par les médias, c'est trop pour lui.

Faire de l'écologie le thème des Jeux de Rio, c'est de l'hypocrisie pure et simple ! Ces Jeux ne laisseront aucun héritage environnemental. Depuis une dizaine d'années, l'Etat de Rio a tout misé sur l'industrie pétrochimique et automobile.

Sergio Ricardo, militant écologiste

à francetv info

Au loin, on aperçoit une plateforme pétrolière à l'embouchure de la baie. Il y en avait quatorze dans la baie de Rio, il y en aura bientôt dix-neuf. Plus loin, on distingue aussi les flammes de hauts-fourneaux. Autant d'industries qui ne mettent pas la main à la poche pour nettoyer leurs déchets. Au fur et à mesure que l'on s'éloigne de Rio, l'air redevient plus respirable, mais l'eau demeure toujours marronnasse. Les oiseaux se perchent sur les rochers, quelques poissons émergent à la surface de l'eau. La vie reprend, loin de la pollution.

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