Cet article date de plus de huit ans.

Coupes budgétaires, privatisation effrénée et argent public gaspillé : bienvenue aux Jeux olympiques de Rio

Depuis l'attribution des JO, le Brésil a connu l'une de ses pires récessions et a organisé une Coupe du monde de foot qui a coûté cher. Du coup, Rio prépare des Jeux au rabais.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les mascottes des Jeux olympiques et paralympiques de Rio, lors de leur présentation, le 24 novembre 2014, à Rio de Janeiro (Brésil).  (MATTHEW STOCKMAN / GETTY IMAGES SOUTH AMERICA)

Il était une fois dans un monde merveilleux, Cendrillon (Dilma Rousseff) qui avait mené son pays (le Brésil) au sommet, en décrochant l'organisation de la Coupe du monde 2014 et des Jeux olympiques 2016. La corne d'abondance, pour moderniser et mettre en valeur le pays. Et les douze coups de minuit ont retenti. Le carosse est devenu citrouille. Et Dilma Rousseff se retrouve à la tête d'un pays exsangue, frappé par la pire récession depuis 1930, déprimé par des affaires de corruption au plus haut niveau. A huit mois de la première épreuve, le 5 août prochain, force est de constater que Rio prépare des olympiades au rabais.

Le couac de la climatisation

"Le temps où on dépensait sans compter est révolu", a reconnu Mario Andrada, patron de la communication des Jeux de Rio, à la BBC (en anglais). "Il va falloir se montrer créatif pour trouver des économies." Sur le papier, c'est simple : faire des économies sur les coulisses, sur ce qui ne se voit pas à l'écran. Louable initiative, destinée à calmer la colère populaire devant les montants pharaoniques dépensés pour les Jeux. Sur le papier. Dans les faits, cela donne une impression de panique généralisée.

Prenez l'affaire de la climatisation du village olympique. En décembre, la presse brésilienne relaie une idée des organisateurs : couper la clim dans le village olympique. L'idée va plus loin : faire payer les athlètes qui veulent obtenir la clim – dans une ville où il fait facilement 35 °C en août, même si (théoriquement), c'est l'hiver. Face au tollé provoqué, le comité d'organisation fait publiquement machine arrière... Dans la foulée, il supprime discrètement 95% des postes de salariés recrutés pour l'évènement, remplacés par des bénévoles.

Inutile de préciser que les stars de la NBA ou Roger Federer ont déjà réservé leur hôtel – ce qui entame encore un peu plus la magie du village olympique, où le tennisman suisse a d'ailleurs rencontré sa femme, à Sydney (Australie), en 2000. 

Des économies tous azimuts, sauf pour les cadres du CIO

La cérémonie d'ouverture : low-cost. Les cours d'anglais pour les bénévoles : supprimés (et tant pis si une écrasante majorité de Brésiliens ne parle que portugais). Les clips vidéos promotionnels : réalisés en interne. Installer des télévisions dans chaque chambre ? Remisé aux oubliettes. Le packaging des billets ? Revu à la baisse. Le courant du village olympique ? Fourni par des générateurs, faute d'accord avec une compagnie d'électricité. La facture d'eau et d'électricité du stade olympique ? Impayée – d'une valeur de 200 000 euros – avec club résident et propriétaire qui se renvoient la balle. On en est même à rogner le papier utilisé au sein du comité d'organisation, en supprimant toutes les imprimantes.

L'objectif est de réduire le budget de l'organisation entre 10 et 30%. Christopher Gaffney, universitaire spécialiste de l'économie des Jeux olympiques, dénonce sur la chaîne australienne ABC (en anglais) un système où le pays organisateur perd forcément beaucoup d'argent : "Et les membres du CIO ? Ils n'ont pas besoin de loger dans un hôtel cinq étoiles, pas besoin d'autant de gardes du corps. Et les entreprises qui sponsorisent les Jeux pourraient payer les taxes dont elles sont exemptées."

Comme par hasard, le gouvernement a supprimé la loi de 2009 qui obligeait l'administration à combler le déficit des Jeux, relève El País (en espagnol). La pilule du Mondial 2014, où 85% du déficit avait été payé par le contribuable brésilien, ne passera pas une deuxième fois, prévient l'association Atlas Network.

La gabegie de la rénovation du Maracana

Solution retenue : privatiser à tour de bras, en offrant aux promoteurs des terrains pour bâtir des gratte-ciel et en chassant la population la plus pauvre. "Il faut suivre le bon modèle. Vendre des concessions, privatiser et développer des partenariats public-privé", explique le maire de Rio, Eduardo Paes, à Ernst & Young. Vingt-sept grands projets – dont une zone de deux millions de m² dans le port de Rio – ont été bradés aux rois du béton. Non sans arrière-pensées politiques : les sociétés de BTP étaient les principaux financeurs de la campagne municipale du maire de Rio, qui ne cache pas ses ambitions nationales.

Les leçons de l'accueil des Jeux panaméricains de 2007 – qui se sont soldés par une débâcle financière – n'ont pas été tirées. Prenez l'emblématique stade Maracana. Il avait été rénové une première fois entre 2005 et 2007, en vue des Jeux panaméricains pour 75 millions d'euros. Arrive la Coupe du monde, et ce qui n'aurait dû être qu'un coup de peinture pour remettre le stade en état se mue en lifting en profondeur, chiffré à 500 millions. Rebelote pour les Jeux olympiques, où de nouveaux travaux sont nécessaires. Ainsi, d'après les normes du CIO, le toit doit pouvoir supporter 120 tonnes de feux d'artifices, quand celles de la Fifa n'exigeaient que 80 tonnes, se désole le Latin American Herald Tribune (en anglais). Ou encore les tunnels, 5 mètres avec maximum de 3% de déclivité pour la Fifa, 6 mètres et 3% pour le CIO. Vous avez dit gâchis ? 

Le reste est à l'avenant. La piscine olympique construite en prévision des Jeux... ne répondait pas aux normes du CIO. Elle a donc dû être modifiée à nouveau. Comme le dénonce l'universitaire Christophe Gaffney, "les même gens qui géraient les Jeux panaméricains gèrent les Jeux de Rio".

Les ouvriers, laissés pour compte du gâteau olympique

Un ouvrier pose avec son pistolet à mastic devant le parc olympique de Rio de Janeiro (Brésil), le 6 octobre 2015. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Cerise sur le gâteau : les conditions de travail des ouvriers qui bâtissent le village olympique, qui n'ont rien à envier à ceux des malheureux travailleurs népalais au Qatar. Venus pour la plupart d'Etats pauvres du centre du Brésil, on leur avait promis le gîte et le couvert en plus de leur salaire. Le gîte, c'est une maison pour trente, dans une favela de Rio, infestée par la vermine. "Ils dorment au milieu des cafards, des rats, et des eaux usées", dénonçait en août le procureur de Rio, Valeria Correa, cité par le site spécialisé Inside The Games. "Beaucoup préfèrent dormir dehors. Ce sont des conditions digne de l'esclavage." 

Les sociétés du bâtiment ont été condamnées à une amende, et ont fait appel de leur condamnation. Commentaire du maire, Eduardo Paes, à BBC Brésil (en portugais) "J'espère que l'entreprise sera punie. Mais je ne pense que cela nuise à l'image de Rio. Au contraire, cela montre qu'il y a des contrôles." Trois mois après cette première affaire, il doit maintenant faire face à une grève des ouvriers qui ont construit les courts de tennis, qui affirment ne pas avoir été payés, rapporte Terra.br.com.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.