Vietnam : quatre questions pour comprendre les émeutes antichinoises
Au moins deux Chinois ont été tués et plus d'une centaine ont été blessés lors d'émeutes qui ont secoué plusieurs provinces du pays tout au long de la semaine. A l'origine des violences : un conflit territorial en mer de Chine.
La situation dégénère au Vietnam. Au moins deux Chinois ont été tués et plus d'une centaine blessés lors de violentes émeutes qui ont secoué cette semaine plusieurs provinces du pays, a annoncé, vendredi 16 mai, le ministère chinois des Affaires étrangères. L'agence Reuters (article en anglais), citant des sources médicales, indiquait jeudi qu'une vingtaine de personnes avaient été tuées lors des violences, seize d'entre elles étant des citoyens chinois. Comment cette flambée de violences antichinoises, inédite depuis plusieurs décennies, a-t-elle gagné le pays ? Francetv info retrace le fil de la crise en quatre questions.
1Comment a débuté cette crise ?
Tout commence le 1er mai, avec le déploiement, à environ 250 kilomètres des côtes vietnamiennes, de Haiyang Shiyou 981, une gigantesque plateforme pétrolière chinoise. L'emplacement de cette installation, dont le coût est évalué à un milliard de dollars, est stratégique. Elle est en effet située à l'intérieur de la zone économique exclusive du Vietnam, c'est-à-dire l'espace marin sur lequel un pays possède des droits souverains en matière d'exploitation de ressources naturelles. Cette notion est apparue en 1982 dans la convention des Nations unies sur le droit de la mer, ratifiée à la fois par la Chine et le Vietnam.
Mais en dépit du droit international, Pékin considère que la souveraineté de ces eaux lui revient à deux titres. D'abord, explique le Washington Post (article en anglais), parce que la plateforme a été installée à l'intérieur de la "ligne en neuf traits", une démarcation utilisée par le pays depuis la fin des années 1940 pour délimiter la zone de la mer de Chine méridionale dont la souveraineté lui revient. Ensuite, parce que Haiyang Shiyou 981 se trouve au large des îles Paracels, un archipel quasi-désert contrôlé par Pékin depuis 1974, après de brefs combats avec Hanoï.
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Retour en 2014. Les autorités vietnamiennes ont d'autant moins apprécié l'initiative chinoise qu'elles avaient signé avec Pékin, en octobre 2011, un accord prévoyant des rencontres semestrielles pour régler leurs différends maritimes. La tension est encore montée d'un cran lorsque des garde-côtes vietnamiens ont tenté de s'approcher de la plateforme chinoise, le 3 mai. Ils ont été tamponnés par des navires chinois qui gardaient l'installation, et chassés par des canons à eau.
En guise de réponse, le gouvernement vietnamien a laissé environ un millier de personnes défiler à Hanoï, la capitale, pour protester contre la "provocation" chinoise, dimanche 11 mai. Dans un pays où les manifestations sont habituellement rapidement arrêtées par les autorités, qui craignent des appels à des réformes politiques, la police a cette fois laissé les protestataires entonner des chants patriotiques devant l'ambassade de Chine. Une manière de montrer à Pékin que son intervention au large des côtes vietnamiennes est rejetée par la population.
2Le gouvernement vietnamien s'est-il laissé déborder ?
Dès le 11 mai, des manifestants ont profité de la passivité des forces de l'ordre pour dénoncer le "silence" et la "lâcheté" du Parti communiste au pouvoir sur le dossier de la plateforme pétrolière. "Hanoï est conscient que permettre ce genre de manifestation est un message clair envoyé à Pékin, même si [les autorités] sont aussi conscientes qu'elles doivent maintenir l'ordre social", explique Jonathan London, de l'université de Hong Kong, cité par Le Monde.
De ce point de vue, c'est un échec. Une manifestation organisée dans une zone industrielle située près d'Hô Chi Minh-Ville, mardi, a complètement dégénéré. Des centaines d'usines, appartenant essentiellement à des entreprises chinoises, ont été attaquées et mises à sac. Une quinzaine de bâtiments "dont le logo comportait des caractères chinois" ont également été incendiés ou saccagés par la foule en colère, rapporte la BBC (article en anglais).
Des entreprises taïwanaises, sud-coréennes et japonaises ont également été visées, dans une apparente confusion des manifestants. Un ouvrier chinois a été tué dans cette flambée de violence, et des mouvements de protestation ont encore été signalés mercredi. Depuis, la violence a laissé place à une escalade verbale entre Hanoï et Pékin.
3La crise peut-elle s'aggraver ?
La Chine a demandé, jeudi, que les responsables des dégradations soient sanctionnés et les victimes indemnisées, accusant Hanoï de connivence avec les émeutiers. "Les pillages et les vols qui ont eu lieu (...) sont directement liés à l'indulgence du Vietnam et à sa connivence avec les fauteurs de troubles", a ainsi lancé la porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois.
Vendredi, le quotidien Global Times, émanation du Parti communiste chinois, a publié un éditorial au ton autrement plus menaçant. "Les différends en mer de Chine méridionale doivent être résolus de façon pacifique, mais cela n'implique pas que la Chine ne puisse pas recourir à des mesures non pacifiques si elle est confrontée à des provocations du Vietnam et des Philippines [avec qui Pékin est en conflit au sujet d'un autre archipel]", écrit le quotidien (article en anglais). "Si la Chine ne montre pas sa puissance, sa détermination à défendre son intégrité territoriale sera sous-estimée", prévient-il encore.
Ces menaces sont à prendre avec sérieux, car l'histoire des deux pays est chargée de rivalités. Le Monde rappelle ainsi qu'en 1979, le régime chinois avait mené une offensive sanglante au Vietnam pour punir Hanoï d'avoir envahi le Cambodge. Cette "guerre éclair" avait fait plusieurs dizaines de milliers de morts dans les deux camps. Neuf ans plus tard, Pékin avait attaqué des navires vietnamiens dans l'archipel des Spratleys, disputé lui aussi. Autant de conflits qui ont nourri chez une bonne partie de la population vietnamienne un fort sentiment antichinois.
Ce climat délétère angoisse profondément la communauté chinoise installée au Vietnam. Plusieurs centaines d'ouvriers ont fui les violences en se réfugiant au Cambodge. De nombreux Chinois sont également arrivés par groupes à l'aéroport de Hô Chi Minh-Ville pour sauter dans le premier avion pour la Malaisie, le Cambodge, Taïwan, Singapour ou la Chine.
4Quelles conséquences pour l'économie du pays ?
Les violences de ces derniers jours pourraient coûter très cher à l'économie vietnamienne. Et pas seulement en raison d'une défiance des investisseurs chinois. Formosa Plastics Group, premier investisseur taïwanais au Vietnam, a déclaré que son usine sidérurgique en construction à Ha Tinh avait été incendiée mercredi soir après des affrontements entre ouvriers vietnamiens et chinois. Yue Yue Industrial Holdings, une société de Hong Kong travaillant pour Nike ou Adidas, a suspendu sa production sur les sites industriels en raison des attaques.
De telles zones constituent la colonne vertébrale de l'économie du Vietnam, qui pèse quelque 100 milliards d'euros. Le pays compte officiellement 190 parcs industriels employant 2,1 millions de personnes. Les produits manufacturés produits dans ces zones ont représenté l'an dernier 29 milliards d'euros à l'exportation, soit 30% des ventes totales du Vietnam à l'étranger.
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