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A Pékin, la pollution ne fait pas (encore) fuir les Français

Un an après "l'airpocalypse" de janvier 2013, francetv info s'est rendu dans la capitale chinoise pour voir comment ses habitants vivent avec la pollution. Après les Chinois, nous sommes allés à la rencontre des expatriés français.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Envoyé spécial à Pékin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'indice de la qualité de l'air affiché le 21 janvier 2014 à l'entrée de l'école Eton Kindergarten de Pékin (Chine). (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

"Le jeu, c’est de deviner l’indice de pollution au goût ou à la vue", raconte Arnaud, jeune cadre d'une entreprise française installée à Pékin. La pollution de l'air anime régulièrement les discussions entre expatriés dans la capitale chinoise, surtout depuis "l'airpocalypse" de janvier 2013, qui a plongé la ville dans un épais brouillard de particules pendant plusieurs jours. "C'est LE sujet de conversation des soirées networking", confirme-t-on à la Chambre de commerce et d'industrie française en Chine. "Tout le monde se plaint de cela à Pékin", reconnaît Hervé Cayla, PDG du cabinet de recrutement Gailong.

Arrivée en mai 2010, Emilie, 36 ans, a vu monter l'angoisse. "Le premier hiver, nous n'avons pas senti la pollution. Mais les deux hivers suivants, c'était tout le temps bouché, et cela a commencé à inquiéter tout le monde", raconte la jeune femme. Elle a téléchargé, en janvier 2013, l'une des applications pour smartphone qui permettent de suivre heure par heure l'indice de pollution. "On est un peu tous accros à cette application", témoigne-t-elle.

"On sort peu avec les enfants les jours de pollution"

Mère de deux enfants en bas âge, Emilie a pris ses précautions. Elle a acheté des purificateurs d'air pour la naissance de son deuxième, il y a 18 mois. "On s'est dit que lui, il partait vraiment de zéro", explique-t-elle. Et "les jours de pic, à partir de 500, on ne sort pas beaucoup avec les enfants. Ou alors juste pour les amener dans une salle de jeux en intérieur", ajoute la jeune femme, même si ses enfants ne semblent pas vraiment souffrir de la pollution. Pour les Chinois comme pour les Français, les terrains de jeux des centres commerciaux remplacent le parc les jours trop chargés.

Emilie, son fils, et son purificateur d'air, le 21 janvier 2014 à Pékin (Chine). (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)
 

Au Lycée français, un panneau de couleur accueille les visiteurs. Il informe chaque matin les élèves du niveau du protocole pollution activé pour la journée. Ce texte, qui tient "une place importante dans la vie de l'établissement", est réexaminé deux à trois fois par an par la commission pollution de l'école. Dès que l'indice dépasse 200, les cours de sport en extérieur sont annulés et remplacés par des activités "plus douces", comme le cirque, dans le gymnase équipé de 12 purificateurs d'air. S'il dépasse 300, la récréation est annulée. Dans chaque salle de classe, un filtre à air de marque suédoise trône à côté de la poubelle, sous le tableau.

Les enfants ne sont pas les seuls à éviter régulièrement de mettre le nez dehors. "Il ne me viendrait jamais à l’idée de courir à l’extérieur. Tu ne vois pas d’Occidental faire du jogging dans la rue ici", témoigne Arnaud, 26 ans. Des purificateurs d'air ont envahi les bureaux et chambres à coucher. L'ambassade de France en a acheté l'année dernière, tout comme Thalès. Le groupe français, comme beaucoup de multinationales, distribue également des masques à ses employés. Certains, comme l'ambassade américaine, vont même jusqu'à acheter des filtres à air pour le domicile de leurs employés.

"Partir, cela a soulagé toute la famille"

Ces précautions ne suffisent pas à rassurer tout le monde. Sandrine, 42 ans, est partie. Même si la pollution n'est pas la seule raison qui l'a poussée à quitter Pékin, "partir, cela a soulagé toute la famille", explique-t-elle par mail. Au début, en 2011, elle n'était pas vraiment préoccupée par le sujet. Mais un vendredi soir, elle accompagne son fils de 6 ans au football. "Il a couru 15 minutes, et d'un coup, il s'est arrêté. Il était pris d'étourdissements, il avait mal à la tête. Il a vomi un peu", se souvient-elle. L'entraîneur lui apprend alors que le niveau de pollution est très élevé ce jour-là.
 
"Là, j'ai commencé à me renseigner, et, surprise : on vous explique qu'à Paris, à partir de 70, c'est catastrophique et qu'ici, c'est une belle journée", raconte-t-elle. Elle télécharge l'application, achète des purificateurs d'air et des masques, retire parfois son enfant de l'école (10 jours au total à l'hiver 2012-2013) et passe certains week-ends enfermée chez elle. Son fils arrête le football et se met à la natation. Avec son mari, ils commencent à chercher un moyen de quitter la Chine, et finissent par atterrir à Singapour, en juillet 2013.

"Je reçois encore beaucoup de candidatures"

Si le cas de Sandrine n'est pas isolé, on ne note toutefois pas d'exode massif. L'ambassade de France remarque que le nombre de Français installés à Pékin est stable, et "refuse de sombrer dans le catastrophisme". Si la pollution rentre peut-être en ligne de compte avant un départ, elle ne constitue que l'un des facteurs de la décision.

 

Une salle de classe du Lycée français, équipée d'un purificateur d'air, le 22 janvier 2014, à Pékin (Chine). (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

Les entreprises françaises ne constatent pas non plus une fuite des cerveaux. "Je reçois encore énormément de candidatures depuis la France ou l'Allemagne. Beaucoup d'étrangers veulent travailler en Chine", témoigne Abigail Liu, DRH de Thalès dans le pays. "La Chine attire beaucoup et le facteur pollution est une variable intégrée dans ce choix", ajoute Martin Leys, vice-président de la branche Asie-Pacifique d'EDF. Quant à ceux qui sont déjà présents, ils ne semblent pas tous pressés de repartir : "J'ai beaucoup de CV d'expatriés que les entreprises veulent rapatrier en France mais qui n'ont pas envie de rentrer", constate Hervé Cayla, de Gailong.

"En France, vous avez le risque d'être au chômage"

Médecin à l'Oasis International Hospital, Guillaume Zagury estime que l'on ne peut pas à la fois bénéficier des opportunités d'une économie en développement et du confort européen. "C'est une question de 'risk aversion', comme disent les Américains", explique-t-il, en s'emparant du carnet de son interlocuteur pour y schématiser sa pensée. "On vit entouré de risques. En France, vous avez le risque d'être agressé ou d'être au chômage, développe-t-il. C'est extraordinaire d'être dans un pays qui vit ses Trente Glorieuses".

"Pour des perspectives de carrière, certains sont prêts à faire ce sacrifice. On vient en Chine pour débuter sa vie professionnelle", abonde Hervé Cayla. Surtout, la majorité des personnes que nous avons interrogées ne compte pas rester éternellement à Pékin. "Personnellement, je ne passerai pas ma retraite en Chine. Mais mon travail est ici", témoigne Hervé Cayla. Arnaud part dans six mois pour les Etats-Unis. Emilie envisage de rester encore deux ans. "Aujourd'hui, ce n'est pas encore un problème, résume Abigail Liu, de Thalès. Mais si cela empire... Nous espérons vraiment que le gouvernement va améliorer la situation".

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