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Philippines: des partisans de l'EI décapitent un otage allemand

Les islamistes d'Abou Sayyaf, ralliés à l’Etat islamique (EI), ont décapité un Allemand de 70 ans, a-t-on appris le 27 février 2016. D'une manière générale, les combattants inspirés par ce groupe djihadiste ont intensifié leurs attaques dans le sud du pays. Cette situation fait craindre une implantation dans une zone instable qui couvre à la fois les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Rebelles du groupe islamiste philippin Abou Sayyaf en février 2006 (extrait d'une vidéo) ( REUTERS/Philippine National Red Cross via Reuters TV )

(Publié à l'origine le 4 mars 2016)

L'assassinat de Jürgen Kantner par Abbou Sayyaf a d'abord été rapporté le 27 janvier par le groupe SITE, spécialisé dans la surveillance des sites internet islamistes. Sa mort a ensuite été confirmée par les autorités philippines et allemandes.

Des responsables militaires dans le sud des Philippines ont affirmé que le corps du ressortissant allemand n'avait pas encore été retrouvé. Abbou Sayyaf avait exigé le versement, avant le 26 février, d'une rançon de 30 millions de pesos (560.000 euros) pour libérer son otage.

Groupes influencés par EI
«L’influence (djihadiste) se renforce et s'étend», prévient Rodolfo Mendoza, analyste à l'Institut philippin de recherches sur la paix, la violence et le terrorisme, cité par l’AFP. Des groupes philippins, qui se disent inspirés par EI, «planifient des opérations importantes comme des attentats à la bombe, des attaques, des assassinats», ajoute-t-il. La tentative d'assassinat, le 1er mars 2016, d’un prédicateur saoudien, Aid al-Qarni, qui figurait sur une liste des personnes à abattre publiée par Daech, n'a fait qu'aggraver les craintes.
              
Selon l’expert Rohan Gunaratna, cité par le journal singapourien Straits Times, «après une discussion, qui a duré un an», plusieurs groupes radicaux locaux auraient décidé de nommer à leur tête Isnilon Hapilon, leader de l’organisation séparatiste islamiste Abou Sayyaf, active dans les îles méridionales où vit la minorité musulmane du pays. Abou Sayyaf a prêté allégeance à EI sur une vidéo postée sur Youtube en juillet 2014. Isnilon Hapilon, dans le passé affilié à al-Qaïda, est l’un des terroristes les plus recherchés par le FBI.
 
Son organisation est accusée «d’avoir été responsable des pires actes de terrorisme commis aux Philippines, notamment de sanglants attentats à la bombe, dont l’un contre un ferry à Manille qui avait fait plus de 100 morts en 2004», rappelle Le Monde. Elle s’est aussi illustrée par des enlèvements de ressortissants étrangers.

Autre groupe islamiste philippin à avoir prêté allégeance à l’Etat islamique en août 2014: les Combattants pour la liberté du Bangsamoro islamique (Biff). Ce groupe a fait sécession du Front Moro islamique de libération (Milf) en 2008 à la suite de l'échec de négociations avec le pouvoir philippin. Il a ensuite mené des attaques contre les localités chrétiennes du sud du pays. Lesquelles ont fait plus de 400 morts et 600.000 déplacés.

Processus de paix bloqué
Le sud des Philippines, où vit une grande partie de la minorité musulmane de ce pays catholique à 80%, est gangréné par la violence depuis des années. La rébellion séparatiste islamique y a fait plus de 120.000 morts. Conséquence : la région est l'une des zones des plus pauvres de l'archipel et le terrain privilégié de chefs de guerre et de bandes criminelles pratiquant l'extorsion de fonds.

Camion militaire tirant une pièce d'artillerie (un Howitzet 105 mm) dans l'archipel de Sulu (sud des Philippibnes) le 16 octobre 2014 (Reuters - Stringer)

En 2014, le plus grand groupe rebelle, le Milf, fort de 10.000 hommes, avait conclu un accord de paix avec le président Benigno Aquino. Mais le texte, qui aurait octroyé à la région davantage d'autonomie, n'a pas passé la rampe du Congrès en février 2016. Le processus de paix se trouve ainsi gelé. 

Mais des groupes hostiles à tout compromis avec le pouvoir, tels le Biff, ont commencé à profiter de l'impasse politique pour tenter de prouver leur valeur auprès de l'EI, expliquent des analystes. «Ils veulent montrer qu’ils constituent une force combattante», souligne Zachary Abuza, expert de l'Asie du Sud-Est au National War College de Washington, cité par l’AFP.
 
Dans l'attaque la plus spectaculaire, un groupe jusque-là obscur, considéré par l'armée comme une bande criminelle spécialisée dans l'extorsion de fonds, s'en est pris à un campement militaire reculé à Mindanao, la plus grande île du sud des Philippines. Cet assaut a déclenché une semaine d'affrontements dans lesquels 12 attaquants et six soldats ont été tués. Plus de 30.000 habitants ont alors pris la fuite. Les assaillants brandissaient des drapeaux noirs de l'EI. Lorsque les soldats ont repris le contrôle du détachement, ils ont retrouvé des bandanas marqués au nom du groupe, selon l'armée.

Au même moment, à une centaine de kilomètres de là, les militaires affrontaient les combattants du Biff. Les affrontements se poursuivaient le 3 mars.

Vers la Malaisie et l’Indonésie
Pour Zachary Abuza, il faut s’attendre à de nouveaux affrontements dans le sud des Philippines. L’une des parties les plus instables de la région est apparemment l’archipel des Sulu, où est actif Abbou Sayyaf. La zone est un «pont stratégique reliant les Philippines et la Malaisie», observe Rohan Gunaratna dans le Straits Times. Dans la vidéo postée sur Youtube en juillet 2014, on constate la présence de leaders radicaux malaisiens, fait remarquer l’expert singapourien. La zone est également proche de l’Indonésie. Des liens existeraient entre radicaux philippins et indonésiens. «A deux reprises», la police philippine aurait fait échouer des livraisons d’armes entre groupes des deux pays.

Un père et son fils s'apprêtent à évacuer la ville d'Esperanza (sud des Philippines) dans une zone attaquée par des rebelles des Combattants pour la liberté du Bangsamoro islamique (Biff), le 1er janvier 2016. (AFP  - JEOFFREY MAITEM / NURPHOTO)

Pour les autorités de Manille, les craintes de voir l'EI augmenter son influence sur les combattants radicaux sont infondées. A les écouter, il s'agit de criminels motivés par l'appât du gain. Et non pas de djihadistes. Mais selon l’expert du National War College, l’emprise de l’Etat islamique dépend d’abord de sa capacité à fournir soutiens et financements. «C'est vraiment une question d’argent. Cela n'a vraiment rien à voir avec l'idéologie», estime-t-il. Les préoccupations religieuses seraient donc bien loin.

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