Pakistan : un «Bus-Tribunal» pour rendre la justice devant les talibans
Dans un long bus vert serti d'un croissant de lune nacré, le juge Fazal Wadood se tient face aux plaignants qui se succèdent devant sa cour itinérante. Pour son tout 1er déplacement, le tribunal-mobile s'est installé sur un parking de Hayatabad, un faubourg de Peshawar, une région instable accolée à l'Afghanistan et secouée depuis des années par la violente rebellion islamiste des talibans.Le long de l'autocar reconverti en mini-parloir de justice, protégé par des policiers armés, des dizaines de personnes patientent sous un auvent, face à un écran de télévision chargé d'annoncer leur ordre de passage.
Les affaires se succèdent, y compris le cas de 3 afghans menottés qui reconnaissent vivre illégalement au Pakistan. La sentence tombe : une semaine de prison puis l'expulsion.
Le juge Waddo a traité une trentaine de cas le 27 août 2013 dans cette salle d'audience bondée que la chaleur de l'été et l'absence de climatisation a transformé en sauna. Tout le contraire des tribunaux pakistanais classiques où de simples affaires de propriété ou de succession peuvent prendre des années à être résolues. Dans les zones reculées, les habitants des villages doivent parcourir des kilomètres pour se rendre dans les tribunaux en ville. Et il suffit qu'une des deux parties ne soit pas présente pour que l'affaire soit reportée.
Les talibans se sont engouffrés dans la brêche, prospérant dans le nord-ouest, sur le terreau de la pauvreté et de la faiblesse de l'Etat, jusqu'à prendre brièvement le pouvoir dans un de ses recoins montagneux, la vallée de Swat. A Swat, comme en Afghanistan, les talibans ont rallié certaines populations en leur apportant une justice expéditive.
D'où l'idée, pour leur couper l'herbe sous le pied, de lancer un tribunal mobile chargé d'aller régler les conflits dans le village en misant sur la médiation plutôt que sur des procédures formelles et fastidieuses. Le projet de 15 millions de dollars, dont 98 000 pour le seul bus, a été initié par la Haute Cour du Khyber Pakhtunkhwa (la province du nord-ouest) et soutenu par le Programme des Nations-unies pour le développement (PNUD). «Renforcer le système judiciaire est l'une des principales manières de contrer l'influence des acteurs non étatiques dans la région», explique Marc-André Franche, chef du PNUD au Pakistan.
Les autorités ont formé 8 juges et 18 avocats, appelés «médiateurs» ou «amis de la cour» pour régler rapidement de gré à gré des différends qui engorgent les tribunaux et empoisonnent la vie des gens. Le tribunal mobile s'occupe d'affaires courantes, y compris de petite criminalité, mais ne touche pas aux affaires sensibles comme le meurtre, l'adultère ou le blasphème.
Plusieurs incertitudes se dressent toutefois face au 1er tribunal mobile, notamment la présence dans la région des «jirgas», des assemblées traditionnelles d'anciens ou de sages qui rendent des décisions rapides mais parfois jugées arbitraires, et qui risquent de voir d'un mauvais oeil l'arrivée de ces «nouveaux médiateurs».
«Nous ne voulons pas concurrencer les jirgas, nous voulons putôt leur faire une place à bord», tempère Hayat Ali Shah, directeur de l'Ecole de magistrature de Peshawar.
Autre inquiétude : la sécurité. Les autorités se posent d'ailleurs la question de savoir si elles devoileront à l'avance le calendrier des déplacements de l'autobus pour minimiser les risques.
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